On aurait aussi pu titrer « Evangile selon Saint Jean-Baptiste de Laubier ». Mieux vaut vous prévenir tout de suite, cette interview est longue, très longue. Para One est tellement passionné par la musique qu’il était interdit de le couper. Son prochain album, le cinéma, Sound Pellegrino, Alizée, le dubstep, Drexciya, les fêtes à Philadelphie avec Institubes, Vitalic… tous les sujets ont été abordés pendant une quarantaine de minutes, juste avant son set au Chat Noir le 14 octobre dernier lors d’une soirée organisée par Guls Rec dans le cadre du festival Résonances. Entretien colossal avec un mec qui trouve que Flying Lotus et le breakcore, c’est quand même bien chiant.

SPARSE.FR : T’étais venu jouer au Chat Noir déjà il y a quatre ans, c’était une bonne soirée ?
Para One : Excellente soirée passée avec Mstrkrft et John Lord Fonda.

Tu les as revu depuis Mstrkrft ?
Très souvent, ce sont des amis très proches. On se voit à Paris ou chez eux, au Canada.

Et ça te plaît ce qu’ils font maintenant ?
En fait je t’avouerais que j’ai pas ultra suivi parce que je fais une différence entre les amis, enfin les gens et la musique et j’écoute pas forcément tout. J’entends la musique que mes amis font parce qu’on la joue ensemble pendant les concerts mais ce n’est pas ce que j’écoute chez moi. Je ne suis pas vraiment leur actu.

San Serac, c’est aussi un ami ?
C’est à la fois un ami et on fait de la musique ensemble (ndlr Slice and Soda). On a fait un album qu’on a fini il y a un an et demi, j’espère qu’il sortira bientôt. On a eu plein de problèmes au niveau technique qui ne sont pas de notre ressort mais ça finira par se faire. San Serac habite à Boston, il a une vie très simple avec sa femme, il n’a pas envie de passer son temps à prendre des avions et à être sur scène donc je ne pense pas qu’on défendra le disque de cette façon là, comme le ferait un groupe. La majeure partie du disque s’est d’ailleurs faite via Internet.

Ca va sortir sur Institubes ?
On a travaillé avec Institubes jusque là, on va voir la forme que ça va prendre… On est toujours main dans la main avec eux, surtout au niveau de la direction artistique. Jean-René Etienne (ndlr, le boss du label) est très impliqué avec House of Kids, au niveau des visuels. En fait on recherche surtout une manière de le distribuer.

Donc il n’y aura pas de tournée ?
Probablement pas, peut être quelques événements, je vais essayer de défendre le projet tout seul.

En même temps, à ton niveau il n’y pas que ça, il y a eu la sortie de « Kiwi » récemment.
Le maxi sur Sound Pellegrino… ça c’est génial.  J’adore la capacité de Teki à trouver des nouvelles formules et ce que j’aime, c’est que le crew TTC continue à exister sous plein d’autres formes : je produis pour l’album de Cuizinier, je fais des remixes, j’ai sorti des trucs sur leur label, c’est vivant, c’est cool.

D’autres sorties à venir sur Sound Pellegrino ?
En fait leur politique c’est de ne jamais faire deux fois les mêmes artistes. En même temps je suis sur 3 de leurs releases : le Kiwi, j’ai signé un remix pour Bart Bmore (Romane) et je suis sur leur compilation, ça fait déjà pas mal. Quoi qu’il en soit je suis complètement impliqué dans les discussions concernant le label, musicalement. On est amis, on se voit constamment.

C’est drôle, parce que le remix de Bart Bmore ressemble beaucoup plus à ce que tu faisais avant, par rapport à Kiwi…
C’est un peu un clin d’oeil. Pour Kiwi, Sound Pellegrino m’avait demandé de faire un truc  différent de ce que je fais d’habitude, un truc où je m’amuse vraiment et je l’ai fait dans la fraîcheur la plus totale. Et c’est ce que j’ai fais pour ces deux morceaux qui sont très différents l’un de l’autre.

Mais moi j’ai toujours fait des mélodies un peu émo avec de la techno derrière. Kiwi c’est juste une forme très très lisse mais ça me plaît cet exercice, de faire une chanson. Du coup des gens qui écoutent de la pop écoutent Kiwi ; pour eux c’est une chanson comme on pourrait la faire avec une guitare, avec un sifflement, couplet/refrain limite… C’est ce qui m’a intéressé.

Justement à propos de Kiwi, certains comparent ça au travail de Pryda…
Non mais Pryda c’est quand même une grosse machine. J’admire vachement la Swedish House Mafia, je trouve ça super bien fait mais c’est pas la musique que je fais… et j’ai jamais pensé Kiwi comme ça pour être honnête.  Le format de ce morceau me fait plus penser à ce qu’on aimait chez Border Community, dans le genre long et progressif. Je veux pas rentrer dans le délire de ce qu’est la vraie house progressive, avec tous les codes que cela implique. Je trouve ça bien de faire de la musique en connaissant mal les codes parce que du coup, t’inventes un peu ton truc.

Concernant Alizée, le morceau que t’as produit pour elle sur le dernier album, Une Fille difficile ?
Je suis arrivé au dernier moment sur le projet, j’étais pas censé être dans le casting. Il a été monté par le reste du crew et c’était très bien. Jean-René, qui dirigeait un peu les opérations, avait envie d’un morceau à part, qu’on fasse vite, ça s’est fait au dernier moment. Moi j’avais cette instru, on a fait les paroles, elle a chanté, ça a été très vite. C’est le genre de projet, il y a quelques années on aurait été complètement hystériques de produire Alizée ou un disque de pop comme ça… Peut être que c’est un truc d’âge, maintenant ça m’obsède pas, je trouve ça intéressant de participer, mais je mettrais pas toute mon énergie dans un projet comme ça parce que je crois plus en l’underground. Je crois plus au truc de nerd extrêmement pointu et qui ne passe pas par les réseaux traditionnels. Pour moi il y a une impasse à vouloir absolument rentrer dans ces réseaux. Je pense que pour Alizée ils ont fait une sorte de sabotage, c’est un ovni dans un réseau traditionnel.

Tu penses que c’est pour ça que l’album n’a pas bien marché ?
C’est possible. En même temps, aujourd’hui les succès n’existent pas beaucoup et encore moins dans la musique qu’on aime.  Ce sont des sortes de succès d’estime maintenant, des succès de blogs. Moi ça fait longtemps que j’ai fait une croix sur le fait que réussite commerciale et réussite artistique soient liées. Il y a Zaz… Yaz (?)… Zaz qui cartonne… Tu vois ça et tu te dis que c’est flippant, que ça soit validé par tant de gens comme Télérama, « ouais c’est génial, l’univers de cette fille » alors que c’est une arriviste qui fait de la merde. Le fait qu’à une époque, quand il y avait de la merde, c’était clair c’était vraiment de la merde… Maintenant c’est de la merde un peu déguisée, c’est un peu cool et ça commence à jeter le trouble.

En tant que musicien j’aime la musique et j’aime entendre un truc qui me touche vraiment, profondément et qui ait le mérite d’exister. Je ressens pas trop ça avec les trucs qui marchent au sens pop, qui passe à la radio en ce moment. Donc pour moi la guerre de la radio, de chercher absolument  à placer des morceaux c’est un peu fini, c’est un fantasme qu’on avait au début des années 2000 mais qui ne nous passionne plus. Avec le développement des blogs et du net tu peux tout à fait avoir une carrière sans passer par les radios et c’est là que j’ai envie d’être aujourd’hui.

Et ça a marché un peu les morceaux de classique revisités ?
Ca a marché pour un tout autre public. Moi j’ai fait ça parce que ça m’a beaucoup intéressé de travailler avec Laurence Equilbey qui est une énorme référence pour moi . Elle avait bossé avec mon frère qui est chanteur lyrique,  il y a 20 ans. Donc il y avait une petite filiation… Je viens d’une famille à la sensibilité classique très forte et je trouvais ça bien de m’essayer à ça. Après ce n’est pas un projet qui m’a mobilisé pendant des années.

Parce que c’est toi qui a sélectionné les morceaux ?
Non justement. En fait les morceaux, c’est difficile de ne pas les aimer parce que ce sont des tubes absolus. Personnellement j’aurais préféré un Pergolese. On était dans des trucs que j’entends depuis que je suis petit et je trouvais ça bien de se prêter à l’exercice. En fait j’ai trouvé ça super excitant parce que c’était casse-gueule. Parce qu’il y a Wendy Carlos derrière et des grosses références, on ne peut pas faire l’impasse dessus… donc oui c’était un projet vraiment glissant, y compris de le faire sur scène. C’est intriguant de travailler avec des musiciens classiques. Pour moi tous ces trucs là, comme faire une musique de film, c’est apprendre. J’ai 31 ans, ça fait 15 ans que je fais de la musique quotidiennement et je me dis que c’est génial que tu puisses continuer à halluciner, découvrir des approches, des méthodes, des univers… Tu vois,  l’univers des chanteurs lyriques c’est complètement dingue, cette espèce de rigueur hallucinante où les mecs doivent gérer leur corps. Du coup ils sont très précieux avec ça, il se mettent en danger à chaque fois… Ils ont des cachets de galériens parce qu’ils sont dans des choeurs, des chorales et c’est pourtant des musiciens de dingue… Je ne peux qu’être humble devant tant de travail, ça donne envie d’avancer, de progresser.

Sinon, niveau cinéma ?  J’imagine que ça occupe pas mal de temps dans ta vie …
Oui, surtout en ce moment.

Tu bosses sur un film en ce moment ?
J’ai fini un moyen métrage que j’ai fait pour la marque Sixpack qui continue d’être projeté dans des exclusivités. On a commencé par Los Angeles, ainsi que Milan, Tokyo et Avignon, d’où vient Sixpack. On va faire Paris et Londres, et ensuite on le mettra à disposition sur Internet. Je suis impatient de cette étape, le film a été conçu pour être vu en ligne, c’est un film un peu lo-fi.

Mais ça a débuté en février à LA  ?
Oui, je l’ai fini il y a un an ce film. Pour moi c’est de l’histoire ancienne presque, je suis impatient que les gens le découvrent.

Et pourquoi ça n’est pas sorti encore ?
Parce que c’est une commande d’une marque qui se retrouve mécène et productrice du court métrage et eux, évidemment, il faut qu’ils capitalisent dessus, c’est normal. Ils font  des exclus, des projections avec des interventions d’artistes… Et par ailleurs,  je suis en pleine écriture d’un long métrage que je compte tourner dans un an, ça prend forme.

C’est financé par qui ?
J’ai une boite de prod qui s’occupe de ça mais tant qu’on n’a pas de scénario, c’est difficile de savoir à quel point on va se faire financer par les circuits traditionnels. On est prêts à le faire en pirate avec peu de fric, ça ne me dérange pas du tout, au contraire c’est assez excitant… mais si les portes s’ouvrent pour le produire de façon traditionnelle, pourquoi pas.

Et au niveau de la diffusion ?
Ca sera un long métrage donc ça sera diffusé dans les salles, j’espère.

Donc pour l’instant, ce qui te plaît un peu plus c’est le cinéma ?
Non, là je bosse mon deuxième album solo, j’ai un maxi qui sort sur le label digital de Boys Noize en novembre, j’ai fait plein de remixes : pour Drop the Lime, pour Canblaster...

T’arrêtes plus  !
Non. En fait ça se voit pas mais je bois moins d’alcool, je fume moins de cigarettes, j’ai passé la trentaine.

C’est vrai que tu as l’air un peu plus sain
Oui, je pense. Du coup je travaille bien, je suis dans mon studio ; on est avec tous nos amis, avec Jackson, Surkin, Bobmo, Birdy Nam Nam, Bot’ox, on va au resto, on bosse, on parle de musique et d’art en géneral, et puis après je prends mon scooter et je rentre me coucher… Et le week end je fais des dates comme à Dijon, à Brest, c’est parfait.

Donc ça y est tu mènes une vie de trentenaire
Oui et c’est assumé. Là je suis content parce que j’ai l’impression que je me suis pas engouffré dans le succès de la french touch 2006/2007 qui va vite mais qui retombe très vite aussi. On l’a vu assez rapidement chez Institubes. On n’a pas pris cette voie parce que je pense que fondamentalement,  que ça soit  dans la house ou le rap, on vient de l’expérimental, de la musique un peu ghetto. Et je pense qu’on va garder ce truc qui fait qu’on n’est pas à l’aise pour headliner un festival. Moi ça me fait un peu chier en fait, je m’admire pas à ce point là.

C’est pour ça qu’on te voit pas souvent ?
Je fais pas beaucoup de dates. Je trouve que se brûler pour le succès, ce n’est pas intéressant parce que je me suis toujours vu comme faisant de la musique à 50 ans. Je me vois comme un producteur. Je pense que les producteurs ont une carrière plus lente, je suis pas une rock star en fait ! J’ai jamais voulu l’être et je m’en fous. Je produis, et quand j’ai commencé à faire de la musique c’était pour TTC, j’ai jamais pensé faire de la musique tout seul. Je me suis retrouvé sur le devant de la scène pendant un moment, ça me dérange pas de revenir en tant que producteur derrière des projets, je me sens très à l’aise là dedans.

Est-ce qu’il y aurait un autre style que tu aurais envie d’investir après tes projets en musique classique et la BO de « La Naissance des pieuvres » ?
J’ai fait une autre musique de film pour un moyen métrage ;  c’est  encore autre chose mais ça se rapproche de « La Naissance des pieuvres ». Mais un autre style je sais pas… moi j’aime vraiment la musique électronique, donc c’est assez limité… Il y a bien  le krautrock que je n’ai pas encore exploité mais avec Slice and Soda on est parti dans le post punk, une espèce de disco dub et de disco expérimentale. Avec mon deuxième album je vais revenir à quelque chose d ‘extrêmement futuriste, surtravaillé…

Futuriste ?
Oui dans le sens où ces sons ne peuvent exister qu’en 2010 : c’est pas du tout un revival, c’est vraiment le son d’aujourd’hui, qu’on peut faire avec des ordinateurs. J’ai envie de travailler là dessus et de le pousser plus loin. Je pense par ailleurs que le dubstep, qui m’a beaucoup fait chié, a ramené  un goût pour des rythmiques plus subtiles, dans le meilleur des cas en tout cas… On est post post post moderne, c’est à la fois post timbaland et post techno, y’a un truc très actuel, très européen… J’ai envie de revenir un peu à ça… Je le faisais déjà sur mon premier maxi « Beat Down ».

Donc il y a des artistes dubstep qui te plaisent ?
Oui, certains. Untold, Ramadanman, mais est-ce qu’on peut définir ça comme du dubstep ? C’est du post dubstep, je pense. Je vais pas écouter Rusko. Hudson Mohawke par exemple, a dû écouter TTC et du coup il y a une sorte de dialogue ; les mecs proposent autre chose, à la fois avec une approche dj et une approche hip hop.

Mais tout le monde le voit comme le Flying Lotus européen
Flying Lotus je trouve ça chiant, pour moi c’est Dabrye en moins bien. C’était plus cool, il y avait un truc riddim, et je trouve que FlyLo se la raconte un peu à vouloir faire des ambiances… Ca me crispe un peu mais je ne demande qu’à être convaincu ! Pour le moment je trouve ça pas très touchant. Par exemple, James Blake quand il fait pas trop l’intello c’est bien. Quand il accepte que c’est aussi de la rave, la musique qu’ils font ; quand il accepte qu’il y a du dubstep dans ses prods, enfin, du 2-step plutôt,  je trouve ça cool, cette sorte de chanson post 2-step, hyper émotionnelle.

Et tu comptes toujours Drexciya dans tes…
(il coupe) Ah mais moi je joue Drexciya dans tous mes sets, c’est un absolu artistique qui dépasse tout, ça fait se rejoindre plein de choses. Je pense que l’attitude de feu James Stinson qui disait : « je veux pas écouter la musique qui sort parce que je veux pas être un suiveur », c’était assez grosses couilles de dire ça mais c’est vrai et ça ne l’a jamais autant été. Lui ou Gerald Donald, ce sont des mecs qui ont été hyper dominateurs et puissants en proposant quelque chose de nouveau, de radical, de presque dérangeant parfois. Ils jouent  avec des imageries qui sont un peu flippantes…

C’est pas juste sa musique en fait, c’est plus le concept qu’il y a derrière ?
Oui, pourtant je suis pas tellement dans le délire visuel et musique. Mais là dans ce cas précis, je trouve ça réussi. C’est intriguant, t’as envie de t’intéresser à l’histoire du groupe, de qui est le mec au delà de la musique.

Et puis c’est quand même très underground…
Au départ oui, c’est hyper underground, et ça l’est encore. Drexciya, ce qui me touche aussi c’est que ça peut être un truc teuffeur hardcore de free party ou un truc de graphiste. C’est vraiment évocateur et radical, ça résiste à tout.

T’as jamais traîné en free party toi ?
J’ai traîné en free quand j’étais dj pour les Svinkels et j’ai trouvé ça atroce. J’ai subi les free party, même s’il y a quelque chose de  fascinant dedans, ce côté extrémiste. A la fin des années 90 c’était encore drôle mais aujourd’hui, c’est un peu pathétique. Et quand c’est du breakcore ça me fait chier.

Tu mixes toujours pendant tes sets ?  T’as pas envie d’intégrer du visuel ?
Alors c’est pas du mix, c’est du live sur Ableton avec Reason qui me permet d’improviser. C’est comme si tu avais une 303, une groovebox, j’en sais rien mais c’est un peu l’équivalent niveau ordi. Et le côté dj, j’aime beaucoup… Je serai jamais un dj de nouveautés parce que je suis pas assez là dedans. Je vais pas jouer de la tech-house comme Brodinski, qui le fait avec talent, c’est pas mon truc. Par contre ça me plaît de jouer des morceaux en dj set et de partir en impro par dessus.

Mais insérer des visuels, j’essaie d’y penser. Avec mon deuxième album, je pense insérer des visuels en live. J’aime bien l’idée de rendre lisible la musique électronique sur scène. A chaque son une image correspond, comme ce que faisait Jamie Lidell à l’époque où il avait son casque. On voyait sa gueule en train de chanter, il se doublait lui même et à la fin il comprenait pas vraiment ce qu’il faisait mais tu te disais « quelque chose se passe ».  J’adore ce genre de trucs, c’est peut être une direction pour moi, pour le live. Concernant les visuels, même Pfadfinderei, ça ma gonfle, y a un truc daté direct, pour moi c’est anxiogène.

C’est quand même apaisant, Pfadfinderei…
Je sais pas si c’est apaisant. Moi je me sens violé quand j’écoute de la musique, que j’imagine des images et que je vois celles d’un VJ à la place. C’est un problème que j’ai, et dans certains cas ça peut être vraiment réussi, mais c’est trop rare. Théoriquement c’est fabuleux, j’ai peu d’exemples en tête de trucs réussis, à part Hexstatic de Ninja Tune.

…Qui a fait beaucoup de clips justement dans cet esprit
Une image = un son, moi je trouve que c’est mortel parce que c’est simple. Ca parle aux enfants, aux vieillards et aux gens qui aiment la musique électronique.

Ca a quand même vieilli
Oui mais je trouve ça mieux que le VJ random qui va mélanger films super 8 angoissants et films muets. Certains s’en sortent. Jeff Mills par exemple avait fait un truc fabuleux avec 2001 l’Odyssée de l’espace. Mais ça reste des exceptions. Je ne vois pas de jeunes sortir en club et se dirent « mortel, y’aura tel VJ » , et pour moi, ils ont raison. C’’est un truc qui est trop poseur, c’est un peu comme la différence entre art-vidéo et cinéma, y’a des trucs fabuleux d’un côté et les productions moyennes qui font chier tout le monde mais qui sont quand même subventionnées.

Tu vas jouer quoi ce soir ?
Ce soir j’ai envie de commencer lent. J’ai envie de caser le remix de Midnight Magic par Jacques Renault, qui est un peu le tube du moment, complètement hédoniste, hyper lent et sexuel. Ca peut être pris comme une blague mais je trouve ça inspirant pour commencer un set. Quoi qu’il arrive, je vais finir par jouer mon remix de Boys Noize. Il y a toujours ce moment à la fin où je sais que j’y arrive. Le moment où ça devient un peu too much. Je pense que je vais faire de l’edutainment, comme ils disaient chez Nintendo dans les années 90, c’est à dire amuser et éduquer en même temps. Enfin, éduquer c’est complètement con de le dire mais le fait de placer des morceaux de Joey Beltram et des trucs de early house de Chicago, ESG… Jouer  des morceaux qui sont tellement intemporels que les gens se disent « putain, c’est quoi ce beat récent ». J’aime bien cette idée de prendre des morceaux qui sont clés pour moi, dans ma perception de la musique electro. Je jouerai un Drexciya aussi.

Il y aura des clin d’oeils au premier album ?
Oui. Mais maintenant je les joue sous une forme complétement digérée et re-digérée donc ça sera un remix de Riton que j’aurais re-remixé et dont je vais faire un dub pour l’occasion.

Justement « Dundun-dun », qui est un peu ton hit, tu le vois comment maintenant, 4 ans après ?
En fait Dundun-dun c’est un morceau que j’ai haï instantanément. Je l’ai sorti et j’ai tout de suite vu en quoi il me gonflait, ce qui est positif. J’en parlais avec Jackson récemment, il me disait qu’il réalisait que ce qu’il produisait en ce moment était un peu craignos. Quand tu fais un morceau, tu en souffres un peu, et arrive le moment où il faut accepter de le donner aux gens, de le rendre participatif. Et Dundun-dun c’était ça, les gens se le sont appropriés en disant « c’est le morceau avec les voix, c’est un peu tube, c’est cool, on aime ». Au final, ça n’est pas à moi de juger si c’est bien ou pas. Moi je l’ai fait pour l’intro, la basse, pour le truc dur. J’ai voulu faire un contraste avec un morceau super pop, et si je pouvais le refaire, je m’y prendrais mieux au niveau de la production. J’étais quand même inexpérimenté dans la techno, à l’époque.

J’imagine qu’avant, tu ne pensais pas du tout que ça allait prendre cette ampleur
Quand je l’ai fait j’ai senti que ça pourrait marcher, mais je m’attendais pas à ça non plus. Tout s’est passé en même temps : l’arrivée d’Ed Banger, Surkin chez Institubes… Le fait qu’on puisse jouer autour du monde aussi, je l’ai pas vu venir. J’ai halluciné. Quand Mehdi m’a dit que les mecs en Australie jouaient mon remix des Daft Punk et que pour eux c’était un tube monumental, je le croyais pas. On avait beaucoup joué en France, on a fait des concerts avec TTC, avec des mecs de Ninja Tune, de Big Dada, de Warp, pour nous c’était de la musique expérimentale, underground. Nous, on sortait de notre chambre.  Quand on a commencé à aller dans des clubs on a halluciné qu’il puisse y avoir une réponse à notre musique. Qu’Ellen Allien apprécie mes prods, c’était hallucinant pour moi. Je me disais qu’ils étaient dans cette culture berlinoise, qu’ils savaient de quoi ils parlaient. Alors que nous on est des glandus, on squatte ente couilles chez nous.

Le remix des Daft Punk ça s’est passé comment ?
En fait Thomas avait aimé mon remix de Krazy Baldhead, il avait dit à Pedro qu’il trouvait ça intéressant, et il m’avait au départ donné les parts pour Technologic. Mais finalement en rentrant chez moi j’ai écouté Prime Time of Your Life et c’est ce mp3 que j’ai découpé pour faire mon remix.

Ils ont trouvé ça hyper patate, je pense que ça leur rappelait un truc un peu Roulé, de leur première période. Les djs ont vachement aimé ce morceau, même s’il n’était pas dans le package de remixes officiels, avec Justice , SebastiAn… Il a marché grave,  ça a été un gros décollage. Autant que Dundun-dun, parce que ça a interpellé plein de gens, ça synthétisait bien le son de ce moment là, très découpé, comme ce que faisait Surkin à l’époque.

Et la tournée 2008 aux USA avec Surkin, Orgasmic, Curses aux USA, c’était le même accueil ?
Oui. J’avais déjà fait une tournée aux USA avec Boys Noize, qui avait un peu plus l’expérience des USA que moi. De mon côté, j’avais juste fait NY avec Ed Banger. J’ai découvert Los Angeles avec Boys Noize, et on s’est rendu compte qu’on était des héros là bas. C’était touchant. Tous les mecs de l’indie se faisaient chier dans leurs after parties donc ils achetaient serato, ils allaient sur hype machine pour télécharger nos morceaux.

Plus tard on a fait ce tour avec Orgasmic, Surkin et Curses et c’était la folie. Pendant 3 semaines, on n’a pas dormi, on a pris 15 ans. Pour moi c’est un expérience épileptique, complètement hypnotique. C’est un truc dont je me rappellerais. Le film, c’est l’histoire de 4 mecs qui deviennent fous à force de ne pas dormir, de picoler et d’être dans tous leurs états. C’était une époque magique, où tu pouvais monter une soirée Institubes à Philadelphie, tous les étudiants se pointaient et on faisait une rave jusqu’à 6 h du mat. Diplo et Amanda Blank venaient. Après c’est devenu plus gros avec Switch et compagnie, et on s’est tous retrouvés dans les trucs genre Coachella avec tout Ed Banger, Institubes, Switch, Kavinsky, Diplo. Pour moi c’est là que c’est devenu un tout petit peu moins drôle et un peu triste. On se disait qu’on était un peu obligés d’être là.

Moi j’aimais bien le moment un peu foireux, où ça commençait à marcher, c’était émouvant. Les nerds viennent te voir, il y avait 30 personnes avec des t-shirts Institubes, mais le reste était là par hasard et comprenait pas trop ce qu’il foutait la. Je trouve ça plus drôle que le côté stade un peu néo-nazi.

Un peu à la Justice quoi…
Je dis pas que Justice c’est néo-nazi mais…

Non mais pas dans ce sens la, dans le sens star…
Oui, dans le sens communion collective, rock star, truc dont j’ai rien à battre en fait. Pour nous, dj fun, c’était notre idéal, pas dj star. L’esthétique rock , je ne l’ai pas et je m’en branle. Je n’ai jamais écouté Metallica, donc ça ne me touche pas d’avoir une façade d’amplis. C’est le délire de Justice et ils le font incroyablement bien mais je n’aurais jamais pensé à ça en faisant de la musique. Musicalement, le morceau qui se rapproche le plus du genre, c’est mon remix pour Boys Noize qui est très saturé, mais super jacking, super Chicago. Ce n’est pas la même culture.

Et Vitalic, ça te touche ? Lui aussi a évolué musicalement
Oui complètement, on en parlait lors de la dernière interview justement (ndlr : lors de son dernier passage à Dijon). Ca a beaucoup évolué. Alors moi, forcément, je suis un peu un beauf , parce que le truc qui m’a marqué c’est « La Rock » ; c’était hyper marquant, cette époque où on était dans l’électro-clash et on découvrait la techno « dure » via Vitalic.  Je trouvais ça mortel, et quand il s‘est tourné vers le disco, c’était le moment ou j’écoutais moins la musique de mes potes, mais je reconnais qu’il y a une évolution… Et il a ce sens de l’efficacité qui est hallucinant, c’est pas du tout cynique chez lui, c’est vraiment authentique. C’est typique des gens qui aiment la techno : ils peuvent s’en éloigner mais ils arrivent à choper les gens pour danser, provoquer une extase, c’est vraiment beau. En tant que fan de  musique électronique, ça me touche.

Interview : Sophie Brignoli & Pierre-Olivier Bobo
Retranscription : Sophie Brignoli & Alexandre Claass
Photos : Yoman /
http://www.flickr.com/photos/yomanphoto
Merci à Para One, Alex, Sophie et Octarine, Morgane, Yoman et Guls, le Chat Noir.

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