Chez Sparse, on va à Kill Your Pop, au Humanist Records festival, au théâtre, on interviewe des stars allemandes de l’electro minimale dont je ne soupçonnais absolument pas l’existence… point de vue hype, on est au top (et on prend du plaisir gratuitement, faut bien l’avouer…). Alors on se disait qu’on irait bien voir aussi la vraie France (celle de Raffarin, qui sent le sueur et la terre) encore une fois. On ne l’avait pas fait depuis Jean Roucas à l’Agora de Genlis ou les travées du stade du DFCO, ça nous changerait un brin.

Ma grand-mère a 84 ans. Bien sûr, comme toute personne de sa génération, elle est fan de Tino Rossi. Mais c’est un peu difficile en ce moment de choper au vol la tournée de Tino Rossi… Par contre il y en a un qu’elle kiffe par dessus tout, c’est le Frédo. Ce bon vieux Frédéric François, pour tout un tas de raison que vous comprendrez plus tard.

On savait depuis un moment que le Frédo passait au Zénith de Dijon le 14 mai. Comme la place est à 45 euros minimum, on s’est permis de gratter des tickets à nos amis du Zénith, qui n’étaient d’ailleurs pas dupe du fait qu’on y allait avec mamie. On peut dire qu’avant même le début du concert, j’ai marqué des points en tant que petit fils : accueillis en VIP par le Zénith. Bien placés. Mamie est heureuse et ça se voit : ça fait bien 10 minutes qu’elle ne m’a pas braillé dessus (ouais, elle est bressanne et a donc pour habitude de hurler sur les gens en roulant un maximum de « r » pour s’exprimer). Elle s’est bien apprêtée, maquillage et tout le tintouin pour le concert d’un artiste qu’elle a vu seulement 14 fois en live. Conscience professionnelle oblige, on avait pris soin de demander une interview au manager… réponse simple : NO WAY. Pas d’interview, il a juste accordé un phoner à la Gazette, point barre et il n’a pas envie de prendre du temps pour des p’tits jeunes qui peuvent le piéger… aller va…

Ban bourguignon et hôtesses du Zénith

Le Zénith est plein comme un œuf (5000 personnes environ). Le public est déversé par cars entiers de toute la région et plus (ça vient de Haute Marne, de Saône et Loire, de Haute Patate-Saone, du Jura…) des têtes grisonnantes pour la plupart, mais pas que… y’a pas mal de quarantenaires, des trentenaires… ah non ! Ca, ce sont les techniciens. Beaucoup d’hommes (qui sont certainement venus pour voir les hôtesses du Zénith, charmantes), et aussi des jeunes, mais comme moi, ils accompagnent maman ou mamie… ou alors ils sont perdus au Zénith depuis le dernier « Live from Staps » avec Joachim Garraud.

Attente… Frédo fait monter la tension. Applaudissement, bans bourguignons pour le faire venir, petits hurlements. D’autres, comme moi, décident d’attendre au bar et je dois dire que je ne m’attendais pas à y trouver des vieux loups en train de draguer les p’tites serveuses qui m’expriment leur désarroi ; « reste s’te plait, on veut plus être seules avec lui ! ». Désolé les filles, le fauve arrive sur scène, faut que j’y aille ou je vais me faire engueuler.

La lumière s’éteint. Les gens se recalent tous en même temps dans leur siège ; ce qui donne l’apparence d’une ola. Sympa. Entrée sur scène. D’abord le backing band : 2 guitares, 1 basse, 2 choristes, 1 batterie (cachée derrière une vitre, des fois qu’il fasse trop de bruit, et donc de l’ombre à la star). Et forcément, 2 bons gros synthés. Monsieur Frédéric François arrive. Hystérie dans la salle. Il est beau et bronzé, ou plutôt devrais-je dire orange tellement il est bombardé aux UV. On a envie de le lécher comme une glace à l’italienne. C’est parti pour deux fois 1 heure de show sur talonnettes de 10 cm. Visiblement, ils ont mis tout le pognon dans les lumières. Gros show. Y’en a dans tous les sens, c’est assez impressionnant.

Forcément, y’a pas grand chose point de vue son… Pour ceux qui ne le connaissent pas,  Frédéric François, de son vrai nom Francesco Barracato, est un chanteur d’Amour de 60 ans . D’ailleurs, il passe son temps à le dire entre les chansons : « Je resterai toujours un chanteur d’amour », car le Frédo fait des rimes en parlant aussi. Putain d’artiste !

Il chante UNIQUEMENT des chansons d’amour. Ses plus gros tubes : Je t’aime à l’italienne, Mon cœur te dit je t’aime, Chicago… Le genre de skeud vendus tous à 1 million d’exemplaires (85 disques d’or), et encore maintenant parce que le public du Frédo, il ne télécharge pas sur Internet, il ne sait pas comment ça marche. En fait, de bonnes grosses histoires de fion masquées derrière une belle histoire de romance ; ce dont ma grand-mère ne s’est absolument jamais rendu compte.

Frédéric François, un mec ultra pro

Le Frédo, il est là depuis 1970 (ça aussi il te le répète environ 40 fois dans le soirée). Et sans passer trop à la télé et très peu à la radio, il vend encore à mort de disques. Visuellement, les zikos ne bougent pas. Pas du tout. À part les 2 petites choristes qui dansent de temps en temps autour de la star du soir. Fredo réussit le challenge d’occuper la scène sans danser particulièrement. Il se ballade en se fendant de petits coucou au public qui connaît TOUT par cœur. TOUT. Comme ma grand-mère. Il y a de la vidéo aussi. Un énorme écran au dessus de la tête des musiciens. Dessus, pendant le concert, on te passe des anciens lives de Frédéric François (???!!??). J’avais jamais vu ça. Tu vois le mec sur scène ou sur des plateaux télévisés des années 70-80 pendant le concert.

En toute honnêteté, le mec est ultra pro. Tout est calculé par ordinateur : sourire, petites phrases d’amour envers son public qu’il aime et qui le lui rend tellement bien, intro des chansons… ainsi que les moments d’interaction avec le public. De temps en temps, Frédo de penche vers le public en tendant la main. C’est le signal officiel du « top-départ bouquet-touché » : au moment où il se penche, une partie du public se rue vers la scène pour lui jeter des fleurs ou juste le toucher (des fois qu’il guérirait des écrouelles comme le roi thaumaturge). Ca énerve beaucoup ma grand-mère toutes ces hystériques qui en veulent au corps de Fredo parce que, elle, c’est les beaux textes qu’elle aime. Tout est très codifié. Dès que la star se redresse, c’est fini. Le service d’ordre reflue les groupies déçues qui pourront revenir vers la scène dès le prochain « top-départ ».

Pour venir danser devant, aussi, c’est très codifié. Oui tu peux venir danser (si tu peux encore). Mais quand Frédo t’y a autorisé. Sur certaines chansons un peu plus rythmées (mais d’amour quand même hein !), le public y est invité. Autant qu’à s’asseoir par le service de sécu à la fin desdites chansons.

Mi-temps (qu’on appelle entracte dans le milieu du spectacle). Le stand merchandising est tout simplement pris d’assaut. Les gens sont visiblement prêts à se battre pour un sweat à capuche floqué Frédéric François. C’est très impressionnant de voir des gens d’un certain âge prêts à en venir aux mains. J’ère dans le hall en observant tout ça et en essayant de prendre des photos avec mon portable quand une dame m’interpelle, moment surréaliste :

– « vous avez le net sur votre téléphone ? »
– « oui, qu’est qu’y a ?! Tu veux la date de naissance exacte de la dernière fille de Frédo. Elle est née le 1er mars 1990 et elle s’appelle Victoria. Ça vous va c’est bon ? »
– « non, non, je voudrais le score de PSG-Lille à la mi-temps, s’il vous plait ; je suis fan du LOSC ! »
– « ah… ok pas de problème, y’a 1-1 pour l’instant »

La course aux toilettes, cystite oblige

Une fan de foot à un concert de Frédéric François ?! Plaisir. Queue de 35 mètres pour aller aux toilettes, cystite oblige. La personne âgée se comporte aux toilettes d’un concert à peu près comme pendant un buffet offert. Elle en a rien à branler, elle fonce, double dans la queue et va indistinctement dans les chiottes filles ou garçons. Il faut aller vite. Des fois que le show recommence sans elle

Après une demi-heure, ça reprend. Fredo rattaque fort avec des bons gros tubes (que je me surprends à fredonner, ce qui rend ma grand mère très fière. Forcément, je les entends en boucle depuis 30 ans, j’ai assimilé. Frédo passe alors au moment « partage avec le public ». Plein feu dans la salle. Frédo veut voir ses fans. Son ami Pascal, sorte de Jean-Pierre Descombes du pauvre, descend dans la salle. Il choisit des gens au hasard qui, comble du bonheur, vont pouvoir parler à leur idole. On échange 2/3 mots : « On vous aime tous dans la famille » ; « Je vous aime » ; « Vous êtes tellement gentil » ;  » Vous égayez ma vie ». Mon Frédo a un bon mot pour tout le monde (il est ultra pro je vous dit). Il place 2-3 mots d’amour entre les blagues graveleuses de son pote Pascal. L’un des spectateurs s’étonne au micro de ne jamais avoir eu de réponse à ses lettres où il avait glissé des photos des statues Lego à l’effigie de Frédo que son fils avait confectionné (la vraie France, j’vous dit). Les heureux élus ont le droit de choisir un des succès de la carrière du héros du soir qu’il se fait un plaisir de leur interpréter de suite. Bonheur. « T’as vu comme il est simple », me glisse ma grand-mère.

On s’approche tranquillement de la fin du show. Les psychotropes commencent à retomber. Ça devient dur. Frédo reprend des standards italiens pour bien rappeler ses origines siciliennes. Il nous parle encore de sa vie. C’est un anti-DSK, il aime sa femme, aime les enfants, n’aime pas la guerre, et trouve que la famille, c’est une valeur très importante. On arrive au rappel. Frédo nous présente ses musiciens : pour les hommes, c’est nom-prénom et spécialités. Pour les choristes, c’est Sandrine et Véro. Point barre. Vain Dieu de potiches…

Le rappel, à un concert d’amour, c’est particulier. Il nous gratifie d’un petit « Je t’aime à l’Italienne ». Les fans ont tous le droit de s’approcher de l’idole. Re-hystérie, ban bourguignon, bouquets de fleurs à gogo. Frédo s’en va et revient environ 25 fois, pas pour chanter, juste pour faire coucou et rappeler au public que tout ce qu’il fait, il l’a fait pour eux.

Fin du show, sortie de salle. Les gens sont visiblement plus heureux. Ma grand mère aussi :

– « Alorrrrs, t’as vu ? Tu vas arrêter de te moquer maintenant ! Ce mec il est pas fier, simple, aimé de tous. Tu ne peux pas dire le contraire. C’est pas comme l’autre, l’Eddy Michel, lui je le déteste, il est odieux ! Dégueulasse ! »
– « Ouais mais tu sais, dans la vraie vie, si ça se trouve, Frédo, il… »
–  » …Ferme la et ramène moi chez moi »
– « D’accord ».

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Photos : fredericfrancois.com