Après le chapiteau des Trottola, le Théâtre Dijon Bourgogne rentre à la Maison Saint-Jean et reçoit sans respirer, L’Homme inutile ou la conspiration des sentiments. Texte russe inédit sur les scènes de France et de Nevers, pyjama party, bréviaire léniniste pour enfants, match de foot en coulisses : Bernard Sobel tente de nous faire le coup de Shakespeare chez les Soviets. Karamba, oднако пропущенный !

Rejeton du Berliner Ensemble tout juste laissé orphelin par Brecht, Bernard Sobel est germaniste et fin scrutateur des secousses de l’Est même s’il se défend de l’exclusive de répertoire. C’est sans doute ce qui a poussé dans les pognes du fondateur historique du Théâtre de Gennevilliers et de Théâtre/Public, les vers sauvages de Iouri Olecha, poète ayant vécu sur la charnière Russo-soviétique. Réglons la mise d’entrée. L’Homme inutile est un putain de texte magnifique, éclatant d’audace si on considère la date de sa création, 1928. Balancer des faux lutins stakhanovistes, railler au rasoir des faiseurs de saucisses en plein dans l’apologie du réalisme socialiste sain et sportif, on en a connu les tripes à l’air en Sibérie pour moins que ça. Son Homme inutile est un diagramme complexe et jouissif où le monde d’avant 1917 traine la ganache dispersant du sentiment bourgeois par ses poches percées. L’homme nouveau, lui, a éclos, froid et utilitaire. Presque alimentaire, il fait ses comptes au son des sulfateuses. Ce diable d’écrivain qu’est Olecha, pris dans la tenaille soviétique en action, ne croit pourtant ni à l’un ni à l’autre. Il accroche ses burnes de poète libre à la corne des étoiles et promet le vertige du paradoxe.

Boucle d’or et les trois URSS

2h15 de spectacle et pas le temps de se refaire la cerise. Dans la pâte bien épaisse mise en place par Sobel, on a les deux genoux pris. Et ce dès l’entrée en salle, une blague au néon (contemporain oblige) nous cueille d’emblée affichant : Marx Donald. Hum. Soit c’est le meilleur du conte philosophique, le clown à rouflaquettes utilisant le même saucisson que les soviétiques dans ses burgers (et là, camarades, c’est un siècle de luttes pour rien qu’on vient de voir passer) soit c’est le pire du théâtre-à-thèse-éducative-à-effet-de-masse. Ah nan, c’est vraiment juste une blague nous rit au nez le comédien qui ouvre le spectacle un peu en force. Suit une première demi-heure où le jeu de ses collègues a oublié la convulsion révolutionnaire et s’empâte tragiquement dans les boudoirs de la vieille Europe. Blood’n’Guts, ça sent le goulag, ça !

La boursoufflure tire plus sur le blanc pâle que sur le rouge insurgé et la mise en scène se regarde au moins autant le nombril qu’un ventriloque nostalgique et aphone. Les recoins du poème d’Olecha sont éclairés au magnésium, perdant leur mystère, les silhouettes viennent des pires cases de la première époque d’Hergé, les tableaux se vautrent dans un didactisme quasi-colonial s’appuyant sur des fausses barbes mal peintes et des bottes trop grandes. Seul John Arnold, comédien récalcitrant, offre ici et là des accents élisabéthains salvateurs, se débattant avec un tempo de spectacle à côté de ses pompes, qui manque de nerf et finalement pousse à la consommation préalable de LSD.

Sobel dit : « être poète, c’est une maladie. » Yep, mais de là à enfermer son spectacle dans un caisson stérile, de là à mettre ses comédiens sous clef, c’est excessivement soviétique, mon cher Joseph !

Badneighbour

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Autres représentations :
vendredi 14 octobre à 20h et samedi 15 octobre à 17h 
Parvis Saint-Jean
Renseignements et résa : 03 80 30 12 12 / www.tdb-cdn.com

Photos : (c) H. Bellamy