Le jeune trio Is Tropical, petit dernier de la scène arty de Shoreditch, débarquait en décembre dernier à GéNéRiQ lors de la deuxième soirée du festival organisée au Consortium. On est allés rencontrer ce groupe qui s’est fait remarquer en 2011 en sortant un premier album chez Kistuné, Native To, et qui a fait le buzz sur la toile avec un clip critiqué jusque sur nos plateaux télé.

Le groupe est au complet quand nous arrivons en loge : Simon, Gary et Dom nous attendent, installés confortablement dans des fauteuils, une bière à la main. Moment de panique quand on réalise que les questions sont restées… à la maison.  Ils en rigolent et commencent à nous rassurer en nous expliquant qu’ils ne répondent jamais deux fois la même chose aux questions posées. Ouf. On se sent vite à l’aise en leur compagnie ; les mecs sont drôles, et à trois, c’est forcément la surenchère à chaque réponse.

On évoque avec eux leur collaboration avec le studio français Megaforce, les artistes qui ont inspiré leurs coupes de cheveux respectives, le choix du label Kitsuné et les penchants sexuels de Connan Mockasin.

ENGLISH VERSION

Quand vous êtes arrivés à Londres, vous viviez dans une sorte d’entrepôt, de squat pour artistes. Peut-on parler d’une véritable communauté là-bas ?
Simon : Oui, je pense que le sud de Londres regorge d’endroits comme celui-ci, comme autour de Peckham par exemple. Notre squat était devenu une galerie ; à la même époque il y avait un autre groupe, « The Children of Wah Wah » qui avaient eux aussi une galerie un peu plus loin dans la rue. Cette scène a maintenant totalement disparu : tout le monde est devenu professionnel dans sa branche et s’est barré. Et puis le squat est devenu illégal à Londres.

Gary : Des gens se font virer encore à l’heure actuelle. Ça se passe comme ça avec le gouvernement conservateur, ils ne veulent pas que des maisons vides soient occupées par des mecs qui ne payent rien, même s’ils sont capables d’en faire quelque chose d’intéressant.

Ça vous a aidé dans votre parcours ?
Simon :  Ça nous a beaucoup aidé déjà parce qu’on n’avait pas besoin de travailler et puis on était entourés de gens super créatifs.

Gary : Si t’avais besoin de faire une séance photo, tu l’avais gratuitement en échange d’un concert, pour une des fêtes du photographe. On était constamment en train de recycler les talents de chacun.

Simon  : Comme une sorte d’atelier vivant.

Tout a commencé il y a à peine deux ans pour vous. C’est grâce à Myspace ?
Simon : Beaucoup de monde nous a découverts grâce à Myspace il y a de ça un an et demi. Je sais pas trop si les gens vont toujours sur ce site pour écouter des artistes maintenant.

Gary :  Je crois qu’on était en tournée et sans doute le bouche à oreille a commencé à fonctionner auprès de certaines personnes, nous on essayait de faire passer le message qu’on était disponibles. Je sais pas si tu comprends ce que je veux dire.

Simon : C’est une bonne et une mauvaise chose d’être un groupe à Londres ; après seulement ton premier concert, les gens vont commencer à parler de toi, à en entendre parler. T’as pas vraiment le temps de faire évoluer, mûrir ton truc. Alors que si t’es un groupe qui joue au fin fond de la campagne, t’auras beau jouer encore et encore, tu n’auras aucune visibilité.

Gary : Si tu fais de la merde au premier concert, les gens reviendront pas.

Dom : Il dit ça comme si c’était quelque chose de négatif mais pas forcément. Ça peut être cool de signer un groupe et de le faire jouer dix ans au même endroit, le laissant devenir graisseux et introverti.

J’ai lu que vous vouliez être signé chez Kitsuné…
Gary :  Je pense que tu veux forcément quelqu’un de confiance pour te représenter. Les mecs avec qui ils ont déjà bossé ont tous évolué dans le bon sens. Donc on savait qu’ils conviendraient aussi à notre manière de travailler, à la musique que nous produisons. Et leur public est le genre de public que l’on veut toucher.

Pourquoi ?
Gary : Ils sont ouverts d’esprit, ils ne cherchent pas toujours ce même produit générique. Si tu essaies de faire quelque chose de différent… Ils ont su dénicher des groupes comme Klaxons et Foals, bien avant qu’ils ne deviennent populaires. Ils ont sauté sur l’occasion et ont su décrypter ce qui allait intéresser les gens. A partir du moment où tu sais que c’est un groupe plutôt éclairé qui est derrière toi, ça rend l’ensemble plus simple, plus intéressant aussi.

Simon :  On aime aussi l’idée d’être signé sur un label indépendant plutôt que sur l’une des grosses compagnies ; on se sent proches d’eux. Gildas, le boss de Kitsuné qui est lui aussi un artiste, est souvent en relation avec nous. En plus avec Kitsuné, les sorties sont mondiales, là où la plupart des labels anglais n’ont que des sorties au niveau national. Ce qui signifie qu’on aurait pu jouer là bas encore longtemps avant d’avoir les moyens de se produire ailleurs.

« Faut vraiment que les Américains arrêtent leurs conneries au niveau des quantités. Chaque repas pris dans un restaurant pourrait suffire à nourrir quatre personnes » – Dom

Qui est votre artiste préféré sur le label ?
Dom : J’aime beaucoup Citizens.  Ils ont aussi découvert cette fille de Brooklyn, Computer Magic.

Simon : Mes préférés sont les beaux mecs de Beataucue.

Vous avez joué l’année dernière au festival Les Inrocks Black XS. Ça vous gêne pas de jouer pour un festival de musique étiqueté officiellement par un parfum de Paco Rabanne ?
Dom :  Si on n’avait pas eu l’accès gratuit au bar, ça aurait pu nous poser problème.

Simon : J’avais même pas remarqué.

Gary : J’imagine que c’est pas très important de savoir qui a placé de l’argent tant que le concert et le public est de qualité.

Dom : Les gens doivent dépenser plus d’argent dans la musique, peu importe qui ils sont.

Simon : Depuis que plus personne n’achète de disque et que tout le monde télécharge gratuitement, l’industrie a bien changé. Être dans un groupe, c’est un job où tu ne fais plus d’argent. Par contre, si ces compagnies montent des festivals et que tu es invité à y jouer, pour être honnête avec toi, la provenance de l’argent m’importe peu.

Gary : C’est pas comme s’ils voulaient conquérir le monde, avec quelqu’un à chaque coin de rue…

Vous dites être fatigués d’être constamment assimilé à la scène londonienne et à l’Angleterre. SI vous pouviez changer de nationalité, laquelle choisiriez-vous ?
Gary : Probablement indonésienne, à cause des albums produits par les Tielman Brothers en 1965, des indo-néerlandais, qui étaient juste incroyables. Ils sont une source d’inspiration pour moi.

Dom :  Pfff, je sais pas comment je peux renchérir là dessus…. c’était très beau.
Et bien je prendrais le Costa Rica parce qu’ils n’ont pas d’armée, les mecs ont l’air cool.

Simon : Je sais pas. Bonne question…

Dom : Suédois non ? Parce que les filles sont canons !

Simon : Oui, n’importe où en Scandinavie.

Gary : On n’en a pas forcément marre d’être Anglais. C’est essentiellement quand tu es coincé dans un endroit que tu as ce sentiment de vouloir t’échapper. Mais quand tu es parti depuis trois mois, c’est agréable de rentrer à Londres.

Dom : On en a enfin terminé avec ces cinglés d’Américains. (il parle de leur tournée aux USA en octobre)

Comment ça, ces cinglés d’Américains ?
Dom :  Faut vraiment qu’ils arrêtent leurs conneries au niveau des quantités. Chaque repas pris dans un restaurant pourrait suffire à nourrir quatre personnes, c’est dingue.

Simon : Tout était si gros, c’était vraiment ridicule.

La première fois que j’ai entendu parlé de vous c’était grâce à la vidéo pour « The Greeks »…
Gary : Comme 80% des personnes qui nous ont découverts cette année.

Simon : Oui, merci Megaforce !

C’est l’agence française qui a réalisé le clip n’est-ce pas ? Comment les avez-vous rencontrés ?
Simon :  On était fans de Megaforce bien avant de trouver un label. On savait qu’ils habitaient Paris et on voulait aller boire des coups avec eux un soir. C’est ce qui s’est passé, à plusieurs reprises quand ont jouait à Paris. Puis on a fini par leur demander s’il était possible de faire un clip et ils nous ont dit oui. On a un peu fait les effrontés en insistant mais ça s’est bien passé. Ils ont fait du super boulot.

Dom :  On est comme frères maintenant, ils sont vraiment charmants.

Gary : On a leur adresse Skype et tout…

Mais alors qui a choisi le sujet de ce clip ?
Simon : Au début d’Is Tropical on faisait tout : les artworks, les vidéos… On voulait que ce soit un vrai pack. Puis on a commencé à enchaîner les tournées, on avait besoin d’une vidéo et, comme Mégaforce faisait partie de l’équipe, on voulait pas régenter leur choix.

Dom : C’est comme si tu rencontrais Picasso et que tu lui disais : « Non, ne le fais pas comme ça, mais comme ceci ! »

Gary : On leur a donné des mots clés, comme « gang », « enfants ».

Dom : Ils savent ce qu’on aime, on a fait plusieurs soirées ensemble. C’était un hommage à notre nature sauvage.

Qu’en est-il de la vidéo pour « Lies » ?
Simon : On pensait présenter une idée complètement à l’opposé de ce qui a été fait. On voulait que ce soit une scène érotique entre des hommes. Mais c’est aussi le travail d’un artiste qui l’a réalisé alors que nous étions en tournée… Ça a bien fonctionné aussi, beaucoup de magazines en ont parlé. Le modèle est une magnifique fille de New York, plutôt connue. T’aurais préféré une scène entre mecs  ?

Probablement non. La fille en face est vraiment jolie, faudrait que les mecs soient à la hauteur…
Gary :  Imagine Brad Pitt en train de sucer Johnny Depp.

Dom :  Ce serait un truc de malade.

Gary : Ça ferait un sacré film…

« On ne pourra jamais se payer
un studio d’enregistrement » – Dom

Apparemment vous écoutez Radiohead quand vous avez la gueule de bois, et Justice sur la route… Vous avez écouté les albums de 2011 ? Vous avez aimé ?
Gary :  Oui, Radiohead, c’est parfaitement adapté aux lendemains de cuite. Tu peux te vautrer dans l’apitoiement que tu t’es créé tout seul. Pleurer un petit peu sous ta couette.

Simon : A vrai dire, nos goûts musicaux sont très larges, ça évolue pas mal.

Dom :  Radiohead a sorti un dvd du nouvel album joué en live, c’était très bon.

Gary : Tu remarqueras que Simon a la même coupe que Thom Yorke.

Et Justice ?
Simon :  J’aime les nouveaux morceaux. Ça sonne bien.

Gary :  Et puis ils ont vraiment inventé ce son. C’est assez dingue en fait, en y pensant.

Simon :  C’est plus prog qu’avant, ça sonne plus comme un vrai groupe. Mais ils sont confrontés au problème d’avoir eu un premier album qui a été un gros succès, ils ont inventé une nouvelle sonorité, maintenant ils sont un peu baisés pour sortir un deuxième. Tu peux au contraire, prendre le temps de construire ta réputation, comme l’a fait Metronomy par exemple. Sur chaque album ils devenaient plus influents. Justice avec le premier album, ils ont trouvé un son tellement parfait pour l’époque, que maintenant ils sont un peu coincés.

Dom : C’est comme quand tu rencontres quelqu’un pour la première fois et que tu trouves ça excitant. Mais si tu le croises à nouveau le lendemain, que t’es un peu encore défoncé de la veille et qu’il agit de la même façon, tu vas commencer à moins l’apprécier.

Gary : Si tu aimais un des morceaux du premier album et que tu le remplaçais par un morceau du nouvel album, les gens auraient toujours la même opinion. Ils adoreraient le morceau du deuxième album et dénigreraient celui du premier. Je pense que si tu connaissais rien sur un groupe et que tu écoutais les morceaux sans te préoccuper de la hype et des dires des magazines, parfois tu pourrais apprécier les morceaux plus pleinement. C’est compliqué parce que de manière presque instantanée, on s’attend à entendre quelque chose de nouveau de la part d’un artiste.

Simon : Comme quand tu détestes un groupe et puis tu te mets à aimer un morceau jusqu’à ce que t’apprennes que c’est Coldplay.

Dom : En fait c’est un jeu à la fois mystérieux et dangereux. Tu dois signer un contrat avec le grand homme directement. (il se met à grogner)

On aura droit à des vidéos ce soir ?
Simon : Notre ingénieur lumière a oublié pas seulement les vidéos, mais aussi le câble qui relie son ordinateur au projecteur. Donc pas ce soir, non.

Gary : C’est aussi notre chauffeur, donc il a dû partir de chez lui à 4h du matin pour passer nous chercher. En fait il a pas dormi, donc il oublie plein de trucs.

Dom : Tu sais, quand tu vois une grenouille sur le bord de la route et qu’elle a passé trop de temps au soleil et que, du coup elle est desséchée et se déplace lentement. Et bien c’est ce qui se passe avec lui. Faut qu’on lui donne de l’eau.

Donc vous faites ces vidéos ?
Simon : On en fait tous. On regardait pas mal de documentaires d’Adam Curtis quand on a commencé à faire de la projection en live. Le seul problème avec ça c’est que Lana Del Rey et plein d’autres groupes le font aussi maintenant.

Dom :  J’avais pas idée qu’elle le faisait aussi  ! Quelle connasse !

Gary : Linkin Park aussi…

Simon : En fait tout le monde fait ça depuis des lustres. Mais nous au moins on projetait que certaines choses, et Adam Curtis dans le genre c’est assez incroyable.

Dom : C’est un journaliste de la BBC qui fait des documentaires très théoriques sur la politique et la sociologie.

Simon : Pour moi quand tu vas à un concert, tous tes sens doivent être sollicités.

Dom : Tous ceux qui assistent à des concerts sont stupides. Non seulement il faut leur dire quoi écouter mais il faut aussi leur dire quoi regarder. T’es toujours obligé de surveiller ces tordus. (rires)

Quand vous enregistrez en studio…
(ils se mettent à rire tous les trois)

Dom : On ne pourra jamais se payer un studio d’enregistrement.

C’est la raison pour laquelle il y a ce grain lo fi ?
Gary : On a enregistré pas mal de choses à la maison, directement dans le micro du macbook. On a ajouté quelques effets puis on l’a emmené à l’autre bout de la rue, dans un semblant de studio pour essayer de le faire sonner un peu.

Simon : 90% des voix de l’album ont été enregistrées avec un macbook.

Si un jour vous devenez riches, vous seriez prêts à perdre cette esthétique en enregistrant dans un vrai studio ?
Gary :  On arriverait probablement à mieux saisir cette esthétique justement.

Simon :  Il y a plusieurs façons d’y arriver. Tu sais, sur le premier album des Strokes, il y a un véritable grain sur la voix de Julian Casablanca, qu’il a obtenu grâce à un procédé très onéreux.

Dom : Avec un compresseur à 10 000 $.

Je vais vous citer trois artistes/groupes qui ont connu un certain succès cette année avec leur nouvel album, vous allez me dire lequel vous préférez…
The Rapture, Metronomy et Connan Mockasin.
Dom : Mon préféré est le deuxième, même si le numéro 3 est cool parce qu’ils aiment les japonaises. Un jour il m’a dit (il prend un accent australien) : « Tu devrais te trouver une japonaise, elles sont géniales. Elles font ce que tu veux et en plus elles aiment les blonds ». Alors, tu vois un peu ! (il montre ses cheveux teints en blond platine)

Gary : Oui ça c’est une coupe inspirée par Connan.

Simon : Metronomy est évidemment très bon. C’est bizarre mais j’ai toujours pensé qu’il y avait plus de hits sur leur ancien album, plus de morceaux adaptés au format radio.

Vous travaillez sur de nouvelles choses ? Un nouvel album ?
Simon : Dès qu’on a une idée on la note. Il n’y a pas vraiment de moment dédié à ça, par exemple, en studio. Donc oui on peut dire qu’on a commencé de travailler le squelette de certains morceaux.

Musicalement, allez- vous prendre une autre direction avec ce nouvel album ?
Simon : Pour l’instant, un morceau reste un morceau, c’est après en studio que tu lui fais prendre la direction de ton choix.

Un dernier mot ?
Simon :  « Peace & love ».

Dom : C’est plutôt sympa la moutarde au cassis.

Gary : Ceci est un message pour les mecs pas sympas : vous devriez essayer d’aimer nos nouveaux titres.

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Propos recueillis par Sophie Brignoli.
Photos : Matti Slembrouck (3), DR.
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