Cette semaine, retour à l’actu et la jeune création avec Marie Caillou et Les Monstres de Mayuko, un très beau récit graphique japonisant. Le livre est sorti en février dernier et elle a un talent évident. On va tout suite tricher. On va dire qu’en plus, elle est de chez nous. Bon, pas vraiment Dijon-Dijon mais sa grande banlieue… Montbéliard !

Les Monstres de Mayuko est une plongée dans la fantasmagorie, les mythes et croyances du Japon ancestral. Alors petit quizz direct ! Tout le monde connait Kitsuné ? Mais qu’est-ce que ça veut dire, hein ? Parce que le kitsuné est une figure centrale de ce bouquin… C’est un renard et très souvent une femme renarde, c’est un esprit, associé au shintoïsme, au bouddhisme, un peu blagueur, hein, ‘vaut mieux pas trop lui faire confiance à ce renard qui cause, parce qu’il a la capacité à rendre les gens fous, à leur mentir et même… à transformer l’espace ou à le tordre.

On continue avec le tanuki, autre figure  du livre… quelle bestiole ? Le chien. Bon entre nous, il ressemble plus à un ours ce clebs ou à un blaireau ; et c’est le symbole de la prospérité qui se trimbale avec une gourde saké, un gros chapeau de paille et d’énormes testicules. Là, Marie Caillou lui a coupé. Il est lui aussi facétieux mais plutôt inoffensif. Vous placez au milieu de ces deux divinités une petite fille souffrante. Elle a une forte fièvre et sa maman la couche. On sent que la petite est pas forcément une poupée modèle à écouter papa maman. Bref, elle se couche mais sans boire. Fièvre et chaleur ça fait…soif. Et soif et nuit = réveil. Et surprise ! Au réveil, un kitsuné attend la petite Mayuko, il va l’emmener au milieu de son rêve dans des passages cauchemardesques entre squelettes pendus par les pieds aux arbres et sentiment d’étouffement sous l’eau.

Jeux d’ombres et post-graffiti

Graphiquement, c’est beau et virtuose. Y’a de très grands ronds multicolores ce qui donne un faux sentiment de bien être, de tranquillité. Tout en aplats de couleurs. C’est fait à l’ordinateur, techniquement, c’est du dessin vectoriel, et ça en jette. C’est comme du découpage. Comme si chaque forme, chaque objet du paysage, les chemins, les fleurs, les portes (y’en a d’ailleurs beaucoup dans l’histoire) étaient des collages sur des pages de couleurs. Sombre et flashy en fonction. Y’a un coté jeux d’ombres, théâtre de marionnettes type bunkru ou même théâtre nô, mais aussi un truc que « les observateurs spécialistes de la spécialité » étiquetteraient post-graffiti. Les grands formats, on les imagine facilement sur un mur…

Les persos sont à la fois naïfs et en même temps réalistes. C’est un trait typiquement japonnais, finalement d’un grand classicisme. Elle connait visiblement bien ce pays et ses traditions puisqu’elle pousse au maximum le détail. Par exemple, lorsque le tanuki se transforme, il y a là une petite feuille verte pleine de chlorophylle posée sur sa tête. Pour nous occidentaux, c’est insignifiant, invisible, mais c’est pourtant très important pour un nippon car c’est cet attribut qui permettra à la bestiole de changer de forme ! Cette connaissance et cette proximité expliquent certainement pourquoi, à coté du graphisme papier, elle a dessiné, designé des kimonos pour une marque japonaise.

Le bouquin se présente sous un assez grand format sur un gros papier à gros grains et honnêtement on envie d’encadrer les pleines pages, les grands formats. On a envie de découper ses pages et de les afficher chez soi tellement c’est beau.

Au niveau de la narration c’est simple, c’est tout droit. Comme un conte avec une jeune fille qui doit franchir les obstacles, au milieu d’une nuit de fièvre, sans se faire attraper ou détourner par toutes les divinités et sous monstres qui n’ont qu’une envie : l’attraper dans la forêt ou lui jouer de vilains tours. Et forcément, on ne passe pas une nuit avec un kitsuné et un tanuki sans être transformée à son réveil. Seule réserve : les cases. Le truc tapé façon phylactère, je suis pas fan.

Un très très beau livre, un faux conte pour enfants.

Martial
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Marie Caillou, Les Monstres de Mayuko – Dargaud – autour de 19 euros
http://www.mariecaillou.fr