On les entend déjà les cornettes du quartier Bossuet : « ils ravagent notre église ! » En plus d’en avoir fait un théâtre en 74 (bonne année, ça, 1974), les gauchiss du théâtre, version 2012, la transforme en repère multiculturel avec restau, studio de radio et conversations à bastions rompus. Et, visiblement, ce n’est pas la bande à Chattot-Brunet qui calmera le jeu. Le hall est redécouvert par l’équipe technique, on sert du Coréen à l’heure de l’apéro, de la soupe à l’escargot plus tard et un Pernand-Vergelesses nickel à toute heure.

On l’aura compris, tant pis pour les cornettes, Théâtre en Mai est de retour, festival 23ème du nom. Peut-être signaler ici, en dehors des alentours furieusement attirants, que c’est de théâtre dont il s’agit. Des bruits du monde aux vibrations intimes, saison dans la saison, les spectacles de Théâtre en Mai vont bourdonner dans la ville jusqu’au 27.

Mercredi 16 mai, le festival est lancé avec le même bruit que le bris d’une bouteille de champ’ sur la coque d’un paquebot. Ouverture de même d’un live report sur une sélection carrément subjective des spectacles à venir.

« On t’a pissé avec l’eau du riz »

D’emblée, c’est sous les voûtes de la Maison Saint-Jean que tout commence. Retour des Wuturi Players, temps de retrouvailles et des fidélités. Le combo Coréen avait ranimé la pièce de Vinaver, Les Coréens, avec un bâton et de l’encens en 2009. Souvenir d’une émotion sans pareille, souvenir aussi d’un Vinaver touché au cœur d’avoir compris encore plus intimement son théâtre.

Peut-être plus que l’énergie, c’est la naïveté qui fait le sel de leur nouvelle prod, Wuturi, l’Histoire du Bébé Géant. Gazza a beau se marrer en sifflotant l’air du Soulier Magique, il ne m’enlèvera pas de l’idée que sous ce titre, certes pas terrible, les Coréens posent là undes meilleurs spectacles du festival. Putain, les enfoirés, réussir ça, les doigts dans le zen ou sur leurs flûtes : la naïveté lestée du poids de la tradition revisitée. La bande au plateau sait tout faire : chanter, danser, jouer. À faire passer Kamel Ouali pour ce qu’il est vraiment, un faussaire sans burne mais aux poches pleines. Et surtout, ils réussissent sans se salir à démonter le folklore et le poids traditionnel d’un moyen d’expression hyper codifié. Le plus poétique (là, Gazza tique) cohabite avec le plus trivial (là, Gazza jubile, terrible traduction de Péjaudier !). Alors oui, on la connaît l’histoire, celle du Général fou d’amour et de violence, celle de la femme cupide, celle de l’enfant laid et roi du monde qu’il faut dézinguer. Mais chez les Wuturis, la tradition avance comme ça, par démolition. On montre le connu (les pas de danse, trois motifs asiat’ à la flûte…) et on le plastique, on insulte l’ancien la joie aux lèvres, on tape dans le grotesque et dans l’humain. C’est du Brecht (dé)bridé qui ravive le sang. J’en sors carrément serein.

Lutte des crasses

Suite de la soirée à l’atheneum où Le Théâtre Nomade a installé ses tréteaux pour Dernière Noce. Sortis du Cons’ de Paris, la bande travaille le masque en s’éloignant des codes de la commedia dell’arte. On sent ça chez les jeunes pousses icaunaises : boulot sur le corps, sur l’expression, envie aussi de parler aux spectateurs du jour. C’est louable mais ça ne fait pas du fond à spectacle. Et là où les Coréens maniaient une putain de naïveté féroce, les cocos Nomades tapent dans le cul-cul-bénit lourd aux chevilles. Je repense aux potes de collège qui venaient d’avoir leur Ciao tout neuf. Ils le ruinaient en deux secondes en le customisant : cale-bottes, guidon torsadé et démarrage au kick. Ça foutait parterre les lignes ritales, ça devenait ridicule. Là, pareil, c’est trop coco et l’hommage au cartoon, au slapstick et les patronymes de gugusses ne font pas exploser le pétard. L’humour de fond de basse-cour laisse la fusée sur le pas de tir de Kuru. Point d’étoiles mais du coquard à l’oeil. Dans le brouhaha distendu, la caricature sociale tire sur le lourdaud, les corps s’empêtrent à démontrer la technique, le guitariste plan-plantigrade ne décolle rien. On aurait pu être chez les grimaces de James Ensor, on sonne à peine à la porte des Deux-Ânes. Caramba, encore raté !

Les trois filles du Docteur Marx

Autre classe, à Mansart, le lendemain. Les angliches de la Compagnie 1927 font la nique à toute modernité de l’image en mouvement. Entre graphisme animé, cinoche pour lardon et baraque à plaisir, leur The Animals And Children Took To The Streets rénove les vieilles lunes nées du temps de l’invention de l’image en mouvement. Trois comédiennes seulement minent le quartier Bayou dans une Angleterre de fiction expressionniste où les mômes font la loi. C’est du Weill sous acide, C’est du Dickens sous LSD (pléonasme?). Vidéo constructiviste en embuscade, tout est noir et ambigu dans cette farce sur la vengeance du neuf contre le vieux. Malheureusement, le match retour est moins drôle et ce Village des Damnés passé par la Foire du Trône nous laisse un grincement au cœur. Et les trois vieilles « occupées à attraper un herpès » piétinent de leurs babouches nos derniers espoirs marxistes. Fookin’ Britons, non contents de gagner les sprint du Tour ou les Six Nations, ils font des spectacles qui vous scotchent au fond du siège. Remember Azincourt !

Badneighbour

Photos : Vincent Arbelet