Vacansoleil, les parasols Orangina, les nuées de camping-cars, la classe de Miguel Indurain et les poches de sang. Il n’y a plus à tortiller des reins les gars, juillet, c’est le Tour.

Fin d’aprem’, le soleil est gros comme une orange californienne. Le fond de l’air est frais, tu décides de sortir le Colnago du garage. Ton vélo de course. Celui-là même qui t’a coûté un bras chez ton revendeur Bouticycles. Un mois de paye, quand même. Avec son cadre « alu-carbone » et sa fourche A-Head Set, tu te considères à juste titre comme le prince incontesté des départementales entre Beaune et Gevrey-Chambertin.

Tu sors jamais seul, toujours avec les collègues. Chaque dimanche le même convoi d’imbéciles en body-cuissard. Dès que ça monte, tu tires la langue, et tu bouffes une barre énergétique. Mais tu te trouves assez véloce et costaud sur les faux plats. Même si tu roules toujours sur le gros plateau, faut pas déconner. Toi, tu es un cycliste amateur. Chez Sparse (et on doit pas être les seuls), on trouve que tu crains un petit peu avec ton lycra et tes couvres-chaussures. Des couvres-chaussures, c’est sérieux, ça ! Alors on te laisse avaler les kilomètres.

Et quitte à causer vélo, on jette notre dévolu sur la reine des courses à étapes : la Grande Boucle, le TDF, le Tour de France. 3000 km d’hernie, de peine et de sursaut pour 200 coureurs qui rêvent d’inscrire leur nom dans la légende.

La légende, car on parle bien de légende ici. Un siècle d’exploits insensés, d’exploits encensés. 1911, dans le Galibier, Émile Georget est seul. La goutte au nez, le boyau de rechange en bandoulière, la gourde pleine de vin rouge. Son vélo pèse un peu plus de 14 kilos. Il ahane sur la route raide. Georget franchit le col. Henri Desgrange écrira : « Lorsqu’il passe près de nous, sale, la moustache pleine de morve et le maillot sali des pourritures du dernier ruisseau où, en nage, il s’est vautré, il nous jette, affreux, mais auguste : Ça vous en bouche un coin ! ». Splendeur du tour !

Ou encore Charly Gaul, le luxembourgeois, baptisé « l’ange de la montagne ». Gaul, qui trouvait dans le Galibier -non pas un enfer- mais une sorte de paradis. Copi, Merckx, Thevenet, Bahamontes, Hinault, Fignon, autant de gaillards infatigables, œuvrant à la chaîne.

Camping-car, verre de pastis et bidoche

Le tour, c’est aussi le moment où le populo se met à table. Les petites gens, les sans-grades, les cons, les vieux, personne ne boude son plaisir, tout le monde écoute religieusement Thierry Adam. A l’origine, le vélo est un sport agricole, aussi épique, qu’exigeant. Issu du « lumpenprolétariat », des cantons et du trou du cul de la France. Sur le bord des routes, c’est la liesse, ça sent la bidoche braisée, les bons mots et la déconnade. Ça beugle, et ça applaudit.

Une image, tiens, qui en dit long. Il est pas rare de voir un chef de famille, accompagné de sa grosse et ses mômes, à l’abri du camping-car, un verre de pastis-orgeat en pogne, regarder le peloton qui roule à 60, juste pour une poignée de secondes.

Le livre du Tour s’écrit aussi à la bave et à la sueur des baroudeurs. Ces valeureux à la Jacky Durand, qui giclent au kilomètre zéro pour une longue échappée en solitaire. Les tripes au cadre, le tibia au vent . Et se font bouffer comme des chattes sous la flamme rouge par la grosse armada du sprint, par les Deutsche Telekom. Ces mecs prêts à se cramer littéralement les jambes, des mecs restés en croustille comme on dit, sortes d’Ivanohé des temps modernes, qui roulent au mental pour la beauté du geste, ou la minute de gloire. Des gonzes qui ne visent pas le général, mais le dossard « calendos » de combatif du jour. C’est beau.

Enfin, le Tour, c’est le temps de la rubrique, du fait divers, et du scandale. Alors qu’un conseiller général des Hauts-de-Seine tombe pour recel, le coureur moderne lui s’écroule pour dopage. Ah, ce foutu taux de Clenbutérol ! Combien de Ricco, de Rassmussen ou de Landis mis à la porte comme des malpropres pour une auto-transfusion? De la pièce de boulevard de Virenque et ses sanglots sur le Tour 98 (affaire Festina), à la pièce de bœuf contaminée de Contador, le Tour est gangrené depuis longtemps par les « affaires » . Tous chargés ! Et les images nous viennent, de ces directeurs sportifs à double casquette : patron d’équipe le jour, préparateur en pharmacie la nuit. Ou encore des coffres de voiture break sous scellés, pleins à craquer de pilules, de seringues, de doses. Même le plus illustre des Texans après J.R et W. Bush, septuple vainqueur du Tour, se retrouve aujourd’hui dans la merde. En effet, l’USADA, l’agence américaine de lutte contre le dopage enquête sur l’ex de Sheryl Crow, ce bon vieux Lance Armstrong. L’enquête préliminaire décrit un système de dopage organisé, à grande échelle, mené au sein de l’US Postal, avec suivi de protocole dopant. Armstrong, aujourd’hui rangé des voitures, est dans la nasse. Pourvu qu’il tombe.

Vers un duel Cadel Evans / Bradley Wiggins ?

Bon et cette édition 2012, elle va donner quoi ? Bah, suite à la défection du cadet des Schleck, lésion au sacrum (tu peux pas faire plus con comme blessure) et la suspension d’Alberto Contador, on devrait assister au mano-à-mano entre Cadel Evans et Bradley Wiggins. Le premier, 35 balais, est le vainqueur sortant, le second, port de rouflaquettes, est le favoris des bookies anglais. L’Australien est un modèle d’obstination, très constant, il aime emmener un gros braquet pour décourager la concurrence. Le britannique, auteur d’une saison pleine, gros rouleur et spécialiste de l’effort chronométré, peut compter sur la meilleure équipe du plateau pour verrouiller la course, les Sky.

Avec seulement deux arrivées au sommet et 100 bornes de contre-la-montre, dont l’étape Besançon – Arc-et-Senans chez nos voisins doubistes (coucou les gars !), le tracé du Tour devrait avantager les amoureux de la pénétration dans l’air et les experts du chrono.

Bon, on va pas se mentir, le Tour 2012 va manquer de piment, ça sent l’eau de Cologne, c’est un peu fadasse. Avec son tracé quelconque dessiné pour Mark Cavendish et les absences empilées de Contador et Schelck. Il va falloir enquiller les calvas et se repasser la cassette du Tour 89 pour ne pas tomber dans les limbes de l’ennui. Allez, je vous embrasse, je vais enfiler mon chandail Agritubel et me brancher sur Radio Tour. La bise les cyclos !

– Julian-Pietro Giorgeri