Ok ok, Campus fête ses trente ans. Cette semaine la chouille se passe du côté de la fac où un village du festival a été monté entre les studios de la radio et l’atheneum. Comme on est des reporters consciencieux, on y sera bien entendu tous les jours. Même si on a loupé l’orgie de Big Twins et The Alchemist lundi à l’Univers. Il parait que c’était over-blindé et assez spectaculaire. Bref, voici ce qu’il s’est passé hier, mardi, au festival des 30 ans de Radio Dijon Campus.

VILLAGE DU FESTIVAL. Il est seulement 9h du mat, et c’est déjà un bordel sans nom à l’atheneum où le village du festival est en train de s’installer. Parce qu’entre tous les partenaires, les bénévoles et salariés de l’équipe, ça en fait du monde qui s’agite pour retracer les 30 ans de carrière de la radio. À l’heure de la pause, l’atheneum est littéralement transformé, chaque recoin ayant été utilisé – chose rare dans ce lieu pourtant situé au coeur de la vie étudiante.

Les habitués s’amusent de cette soudaine effervescence et commencent à flâner dans le couloir, direction le petit théatre pour l’expo « photo frigo » de Mr. Pop avec toutes les stars passées dans la région ces quinze dernières années. À gauche du comptoir défilent les photos prises en septembre par Louise Vayssié, avec son lot de tronches et de sourires. Celles-ci retracent parfaitement ce qu’une journée typique peut-être à Campus : des éclats de rires des matinales, rythmées par des chroniques plus sérieuses et pédagogiques, mais aussi tous ces moments hors antenne, autour d’un café où les discussions fusent, où l’échange nait.

Les partenaires, eux, sont éparpillés un peu partout : le Centre régional du livre s’est gardé la meilleure place en s’installant à l’entrée de l’atheneum, leurs représentants arborant un badge « Reading is sexy ». Les associations, les théâtres et l’ABC se trouvent eux dans la première salle d’exposition où ils présentent leur projets pour l’année en cours. Pour ceux qui ont le temps de s’asseoir et de tendre une oreille, les archives sonores composées des meilleurs interviews et interventions sont consultables sur place et la centaine de sessions accoustiques enregistrées par Seb Faits-Divers sont, elles, diffusées sur grand écran dans le théâtre.

Une fois ce grand tour effectué, on peut retrourner dehors profiter de l’attraction quotidienne, nommée « La roue de la chance », où il suffit de répondre à quelques questions pour pouvoir gagner des places de concerts sur le festival et autres cadeaux sympas.

L’asso « De taille et d’estoc » a pris ses quartiers dans la cour et nous fait des démonstrations de combat moyen-âgeux testostéronés, et allez savoir pourquoi, ils ressemblent tous étrangement à des métalleux avec leurs cheveux longs et leurs barbes soignées, s’affrontant à mains nues ou avec de lourdes épées. Le public est presque médusé. Côté musique, ce midi c’est le groupe Oli & Sam qui est venu nous faire partager sa pop-folk toute douce, faisant retomber la pression après un marathon de deux heures à travers les locaux de l’athé. À notre départ à 15h, ça s’agite encore, sur une sélection de morceaux toujours aussi excentriques de Régis de St Amour. Le temps pour nous d’aller faire un break.

THÉÂTRE MANSART, 20H30, JEAN LOUIS. Jean Louis, je connais pas. Mais ce blaze atypique attise ma curiosité. Et puis ça sonne un peu mystérieux pour moi qui n’ai pas eu d’ami, d’oncle ou de cousin au (pré)nom composé. Aucun je vous dis, seulement des profs sur la mauvaise pente et un chauffeur de car scolaire assez médiocre en calcul mental. Et puis de toute façon un groupe qu’a pas un nom de groupe, franchement, c’est bizarre.

Jean Loup. Non, Jean Louis. Ne vous y trompez pas, ils sont trois. Isostatisme musical a priori garanti, comprenez équilibre. L’affiche a un sous-titre accrocheur : Jean Machin est un « power trio ». Sans déc, un power trio avec zéro guitare ? lol. Mais si c’est pas du flan ça risque de fortement m’intéresser… Allez, j’achète.

En vérité dans Jean Claude on est très proche de la formule traditionnelle gratte-bass-drums : Joachim Florent contrebasse, Francesco Pastacaldi batterie, Aymeric Avice trompette et bugle. Et ça donne quoi ? Au bas mot une musique polymorphe, énergique et assez spontanée. Signes distinctifs de ces jeunes musiciens, en tout cas pas vieux ? Ils ne sourient pas. Ils regardent leurs pieds, surtout pas le public. Ils se cognent dans leurs micros. Ils jettent leurs bouteilles d’eau par terre. Et ils sont habillés comme en répète, alors que c’est l’ouverture de la saison à Mansart, zut quoi y a plu (sic) de respect.

Ces mecs-là ne respectent pas non plus le jazz, et pour ça (aussi) ils ont raison. Avoir trente ans et jouer du jazz à papa, merci, on a mieux à faire. Parce qu’avec Jean Michel, on a un peu l’impression d’être au ciné pour voir la dernière sensation underground : la jauge est presque remplie, on s’assied dans une effervescence contenue et on attend que les images défilent. Apparemment c’est plutôt un film d’action avec de rares respirations, surtout quand la machine est lancée. Deux morceaux, donc un seul entr’acte. Et le scénar, il est barré ? Totalement. Thème-chorus-thème, tu oublies. Pas d’instant love ou contemplatif, ça non. Mais des poursuites et des gros bras, ça oui. De la tension et du suspense, de l’adrénaline et de la sueur aussi. Attention, pas de funk pour autant. Fuck les genres: le groove, le swing, le rock, sont dosés avec parcimonie. Et priés de prendre le train en marche.

Chez Jean Bertrand, on progresse selon une trame mentale commune qu’on récite suivant l’humeur et le contexte. C’est un peu comme faire cours sans ses notes en sachant juste le nombre de chapitres et le temps imparti. La batterie constitue évidemment la clé de voûte de cette formation, toujours présente, toujours mouvante, souvent bancale, jamais pareille. Le 4/4, c’est démodé. On a fait le batteur, il en reste deux. À gauche, le trompettiste, l’électron libre. Il buffe, il réfléchit. Il envoie, il se tait. Il triffouille ses pédales et son ampli (la caution power trio) et en tire des sonorités, disons… sales. Savoir salir le son c’est tout un art… Et pour le rappel, il empoigne ses deux instruments simultanément, clin d’oeil à Roland Kirk et pied de nez aux ergonomes. À droite, le contrebassiste. Remarquablement efficace, coiffure deep. Il tient les rênes des deux précédents, tout en jonglant entre rythme et mélodie, entre ostinato et parcours du cœur. Enfin des doigts.

Et sinon euh… musicalement ? Eh bien musicalement Jean Patrick est dur à qualifier, peut-être même inqualifiable. C’est bruyant, nerveux, dur à anticiper. Donc excitant. A vrai dire c’est en prenant ses distances vis-a-vis des conventions (a fortiori en jazz) qu’on est le plus à même d’exprimer son originalité. Et donc de captiver un public suffisamment open pour ne pas se demander si il va aimer jusqu’à la fin. Après tout le « djaze » ça ressemble surtout à un voyage improvisé, et ce serait dommage de connaître l’itinéraire à l’avance. Bonne route les gars.

MARC RIBOT. Petit événement à Dijon avec la présence de cet artiste rarement croisé sous nos latitudes. En effet, comme son nom ne l’indique pas, Marc Ribot est américain. Plus de trente ans qu’il arpente les scènes new-yorkaises, en incontournable depuis presque autant. Il a croisé tellement de beau monde qu’on vous renverra à son website pour vous laisser le constater. Mais tonite, c’est guitare solo.

Évidemment le type joue assis, mais il a l’air perché. Déjà, il s’installe dans une position plus qu’improbable pour faire corps avec son instrument, ses vibrations : tête baissée, le bras droit masquant presque intégralement la caisse. C’est marrant, ça lui donne des airs de Grand Condor. En même temps si Robert Crumb les dessine comme ça, il doit y avoir une raison. Les guitaristes, je veux dire.

Dès les premières notes, on sent qu’il va falloir s’accrocher, ne serait-ce que pour discerner un fragment de mélodie. C’est un vrai challenge de reconnaître les morceaux interprétés tant Ribot s’applique à les manipuler, comme pour éliminer un maximum de ressemblances avec l’image qu’on en aurait, ou qu’on en a si on croit le reconnaître. Encore une fois, s’éloigner des convenances… surtout, amener le public à se libérer pour mieux apprécier la performance présentement distillée.

On distingue quand même quelques classiques du répertoire traditionnel américain (il a joué Old Man River, j’en suis sûr), du jazz free (Coltrane, Ayler) et d’autres que Ribot a lui-même « déjà oubliés ». A force d’étirer, de triturer, de déstructurer les morceaux, bref à en transfigurer l’interprétation, il y a effectivement de quoi perdre le fil. J’aime mieux ne pas savoir ce qui se passe dans sa tête. C’est vrai, on sait jamais à quoi s’attendre avec des artistes aussi barrés (blague de guitariste, ndlr). Si ce n’est une démonstration de maîtrise et de feeling, tout de même.

Une heure plus tard, Marc Ribot salue la foule. Son semi-costard gris cache un t-shirt de Kiss. Ce mec est deep.

PS: une pensée pour la quinzaine de spectateurs pris de quintes de toux hier soir, la rédaction vous souhaite un prompt rétablissement et vous conseille de prendre un gilet pour vos prochaines sorties. C’est l’automne, quand même.

– Sophie Brignoli et Christophe Minet

Photos : POB, CM