Retour sur le concert supersonique d’A Place To Bury Strangers à la Vapeur. Le groupe qui joue le plus fort de New York a leader le plus cool de toute la côté Est. Comme quoi.

À quelques encablures d’un concert qui s’annonce comme un tremblement de terre en ce début du mois d’octobre à la Vapeur, Oliver Ackermann, leader mythique du groupe qui ne l’est pas moins, sirote un verre de Bourgogne et veut surtout me demander des nouvelles de la situation en Europe :
« Tu sais, on dit souvent que les Américains ne s’intéressent pas trop à ce qui se passe en dehors des Etats-Unis, mais nous tournons en Europe régulièrement depuis cinq ans. Ce qui se passe notamment en Espagne, en Grèce … ça me touche beaucoup… Ici en Europe il y a toujours un public qui nous suit et nous écoute ».

Il faut dire qu’aux États-Unis, l’attention s’est davantage posée sur l’explosion sonique que sur ces chants à la Jesus and Mary Chain, et même cette ambiance cold wave qui nous interpelle par ici. Oliver Ackermann opine du chef. « Tu aurais dû entendre mes premières démos, nous jouions bien plus fort que ça ! Je pense que ce que je faisais alors se rapproche de l’idée qu’on peut se faire du chaos, ça ne me gêne pas que les gens se concentrent sur nos prestations live et le choc qu’elles peuvent présenter (sic) Mais je te dirais aussi que ça me fait plaisir que l’on parle des mélodies sombres de la cold wave et du shoegazing à l’anglaise. C’est avec toute cette musique que j’ai grandi, j’étais d’ailleurs ravi de signer avec Mute, Tu te rends compte le label de Nick Cave et de Neubauten tout de même ! (rires ) »

« Le danger je l’ai vécu lors de notre tournée
en Colombie (…) quand tu vois des soldats avec des mitraillettes tout autour de la scène »

Mute, parlons en… La nouvelle de la signature d’A Place To Bury Strangers nous avait ravis mais aussi un peu déconcertés, Oliver précise « Daniel Miller n’a pas vraiment mis trop de temps à me convaincre, pour moi Mute est un exemple. Lorsqu’EMI a eu de très gros soucis, qui ne se sont pas arrangés par la suite d’ailleurs, je ne voyais que Mute. Pour moi ils gardent cette indépendance qui est indispensable à notre musique ».

Pas mal pour un groupe qui a signé son premier contrat sur un bout de nappe en papier  « Ah, tu connais cette histoire ? Elle est vraie… Je venais de rencontrer ce type de la maison de disque, je lui avais apporté des CD-R gravés, tu te rends compte (rires) Il voulait directement en faire des albums ! Au début je ne voulais pas, mais finalement ça m’a donné beaucoup d’assurance car justement, on m’a fait confiance »

Et bien leur en a pris, album après album, A Place To Bury Strangers trace un sillon unique. Certes la puissance sonique est toujours là (les oreilles de vos amis qui ont assisté au concert doivent encore siffler) mais c’est aussi l’arbre qui cache la forêt. Car c’est bien le désespoir du grunge, les voix hypnotiques et les morceaux qui vous hantent qu’il faut retenir. Et Oliver Ackermann de relativiser une dernière fois en finissant son verre : « On joue fort, mais ça fait partie intrinsèquement de notre groupe. Des fois je tique quand je lis des choses comme « c’est un groupe qui amène le danger » Blabla… le danger je l’ai vécu lors de notre tournée en Colombie, les gens adorent notre musique en Amérique du Sud, par contre quand tu vois des soldats avec des mitraillettes tout autour de la scène et pratiquement un militaire pour chaque spectateur, là je pense qu’on peut parler de danger ».

Un hug plus tard, Oliver Ackermann s’apprête à monter sur scène et installer son mur du son mélancolique. Le club de la Vapeur se drape dans le réacteur d’un Boeing 747 au décollage qui transporte avec lui certainement un des groupes les plus novateurs de son époque.

– Emmanuel Pop

Photo : Vincent Arbelet