Baptiste Amann, Solal Bouloudnine et Olivier Veillon sont des experts du comportement du public. Ils manient aussi à merveille le verbe et la boutade. En clair, ce sont des imposteurs. Ils présenteront les 7 et 8 février leur cours-formation « Spectateur : droits et devoirs » (dans le cadre du festival ACTIONS) dont l’ambition est de « rétablir une certaine morale chez le spectateur contemporain ». Le but est ainsi de vous apprendre à devenir « des spectateurs vifs, alertes, conscients, avisés, au fait des véritables enjeux de leur activité ». On a tenté d’y voir plus clair. Entretien.

4 places à gagner pour le festival ACTIONS, les 7 et 8 février. Pour jouer, merci de laisser un commentaire sous l’article. Les gagnants seront tirés au sort et contactés par mail.

 

Quelles interactions il y a avec le public dans cette formation ?
Olivier : Aucune. On ne fait pas ça pour le public en fait, c’est pas vraiment notre souci. C’est plutôt pour s’amuser.

Baptiste et Solal : C’est en fin de compte la même interaction qu’il peut y avoir entre des élèves et des professeurs, entre le moniteur d’auto-école et celui qui apprend à conduire, entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Donc elle est limitée dans le sens où nous, on sait quand même les choses. Alors oui, c’est un peu comme la transmission du code de la route, c’est un savoir. C’est une sorte de code de la route du spectateur.

Solal : On a fait un stage en fait, à l’OCDS, l’Observatoire des comportements du spectateur. C’est une ONG.

Baptiste : On est employés par cet organisme qui a été créé par Yves Pirson dans les années 70.

Solal : L’été 73 précisément.

Baptiste : Il y a eu à cette époque beaucoup d’expériences artistiques, et un schisme entre les publics qui ne savaient plus très bien déterminer si un projet était crédible ou pas. Du coup cet organisme s’est monté, en disant qu’il fallait ré-éduquer le spectateur pour qu’il puisse avoir les attitudes adéquates.

Olivier : Mais ça c’est venu plus tard. Il y a eu d’abord toute une phase d’observation des comportements des publics pendant une quinzaine d’années. À la suite de ça, des opérations de formation des spectateurs sont arrivées. Toutes sortes d’écoles du spectateur, on a vu ça dans tous les théâtres…

Baptiste : Et nous on prend un peu le relai… disons qu’on est la nouvelle génération ! On apporte quelque chose de nouveau car c’était quand même des formations un peu rigides. Nous, on essaie de toucher la jeunesse aussi donc on a préparé des petites choses qui nous paraissent être « dans le vent ».

 

« On avait vu en formation PowerPoint qu’une animation, comme une arrivée de texte, permettait une communion plus rapide avec le public » – Solal

 

Solal : Avec l’IRMAR (leur collectif, ndlr), on a du mal aussi… On a du mal à gagner notre vie complètement. Et on a eu cette proposition de stage Afdas qui nous offrait des possibilités pour faire cette formation là. Au début on n’était pas trop pour mais après on a vu qu’on pouvait arriver à se faire un peu de… enfin d’en tirer un peu… d’argent, de blé quoi.

Baptiste : Oui l’avantage de cette ONG, c’est qu’elle fonctionne par mécénat privé. Et on a eu la chance d’avoir une bourse exceptionnelle d’un million d’euros, ce qui nous a permis de vraiment prendre le temps d’approfondir tous les sujets. Ceux qui viendront à la formation pourront voir qu’on a un appareil logistique très lourd.

Solal : Moi par exemple j’ai fait un stage PowerPoint. Du coup maintenant je gère aussi les vidéos, avant je ne savais pas comment les insérer. J’arrive aussi à faire des animations. D’ailleurs on remarque que dès qu’il y a ces animations, une arrivée de texte par exemple, il se passe vraiment un truc. On l’avait vu en formation, on nous avait dit qu’une animation permettait une communion plus rapide avec le public.

Olivier : Moi j’ai fait un stage avec des intellectuels, sur la pensée du spectateur. On a traversé la pensée de plusieurs grands intellectuels comme Max Gallo, George Pompidou, Feuerbach, tous ces gens là..

Baptiste : Et moi un stage son. Son et histoire. On a appris surtout à déterminer où était le bouton des graves, des moyens, des aigus… Et ça, souvent, c’était l’ouverture de chapitres historiques aussi. Donc le théâtre élisabéthain, le théâtre grec… C’était très étrange d’associer ces deux choses-là, mais finalement ça permettait d’activer la mémoire visuelle.

Quelles ont été les réactions du public lors de vos précédentes formations ?
Baptiste : Très très bonnes. Unanimes. On n’est pas étonnés car ça fait des années que l’OCDS reçoit ce succès-là. À titre personnel c’est sur que ça fait toujours un peu de bien à l’égo mais on n’est pas là pour nous, en tant que personne, on est au service d’une mission un peu plus large.

Olivier : C’est rare qu’on perde des spectateurs, maintenant on est vraiment rodés, on connaît notre programme sur le bout des doigts. Ça fonctionne. D’ailleurs si les gens n’aiment pas, l’OCDS rembourse.

Partons sur des choses un peu plus concrètes à présent. Comment le spectateur doit-il réagir lorsqu’il a besoin de tousser ou se moucher pendant un spectacle, par exemple ? Quelle attitude adopter ?
Solal : C’est une très bonne question. On la traite dans le spectacle. J’ai pour ma part suivi une formation PowerPoint comme je vous le disais mais aussi un stage « trucs et astuces ». Malheureusement je n’ai pas travaillé sur tout ce qui était « maladie ».

Baptiste : Par contre moi j’ai fait un module « maladie ». Ce qui est préconisé en général, c’est l’apnée. Après on n’est pas tous égaux face aux capacités physiques. L’apnée est une solution à court terme : au bout d’1 min – 1 min 30 vous n’aurez plus envie de tousser. Avec chance, vous vous évanouirez, ce qui provoquera un appel des secours. Donc là vous pourrez être évacué et vous ne serez plus cet ingrat qui tousse pendant une réplique mais le malade qu’il faut sauver.

Peut-on envoyer un SMS pendant une représentation ?
Baptiste : Ah ! Ce qu’a amené la technologie… Alors là Olivier je vais te laisser répondre. C’est son domaine, la technologie.

Olivier : Personnellement je ne me gène pas du tout pour envoyer des SMS pendant les spectacles, ça ne me dérange pas. Bon, même si moi je m’autorise cela en tant que spectacteur, en tant qu’acteur ça me dérange énormément, c’est vrai. On a une équipe de chercheurs qui est en train de mettre quelques petites choses au point, ça tâtonne un peu. On a quelques résultats qu’on nous a demandé de ne pas communiquer.

Solal : On devrait pouvoir bientôt avoir des téléphones où la luminosité pourra être mise à 0, connaître le chemin direct pour arriver aux textos et ainsi pouvoir d’une seule main -sans regarder le téléphone- envoyer un message. Voilà, ils travaillent là dessus plus ou moins : forcer les gens à connaître le cheminement du mobile.

Olivier : On ne va pas en dire trop non plus, car il y a des histoires de lobby, de brevets à déposer…

On a tous déjà été confrontés à ça en tant que public : il y a toujours un enfoiré qui parle derrière toi pendant la pièce. Comment réagir ?
Baptiste : Sujet délicat car c’est le grand chapitre de la liberté et de l’implication. Il faudrait d’abord arriver à déterminer ce qui pousse la personne à parler. Est-ce qu’elle commente le spectacle ? Est-ce qu’elle ne sait pas signifier ses émotions autrement qu’en la verbalisant ? Je pense qu’après une brève analyse -à l’écoute tout simplement- de la personne, il faut hiérarchiser et doser sa réaction, qui peut aller de la simple ignorance au coup de boule. Nous, on n’intervient pas trop lorsqu’il s’agit des libertés personnelles. On est plutôt dans la prévention. On cherche à former les gens pour qu’ils n’aient pas à parler pendant le spectacle. Ou alors qu’ils rejettent carrément leur violence sur les acteurs, directement, sans déranger leurs voisins !

Solal : On est toujours dans l’acceptation de ce qu’ils ressentent.

À la fin de spectacle, il y a toujours un moment un peu bizarre où on ne sait pas vraiment quand il faut commencer à applaudir…
Baptiste : Mmh… grande responsabilité, oui. « Est-ce vraiment la fin ? » Alors pour ça, la réponse c’est le 7-8 février pour le festival ACTIONS à l’amphithéâtre Eicher. Oui Eicher, comme Stéphane. Parce que c’est vraiment un chapitre qu’on développe très intensément. Et je pense que ça en surprendra plus d’un, ça ne sera plus du tout la même vie de spectateur après. Là pour le coup : secret professionnel.

Solal : Oui, là ça serait vendre la peau de l’ours avant de…

Olivier : Ça sera compter l’œuf dans le cul de la poule.

Solal : Oui voilà, c’est ça.

Si notre téléphone sonne pendant une pièce, quelle est la meilleure réaction à avoir ?
Solal : Plusieurs réactions possibles. La première : poser le téléphone à côté de soi et faire croire à tout le monde que ce n’est pas le sien. Ça c’est une des solutions qu’on propose souvent : le refus, la dénégation. Après, il y a aussi des docteurs parfois qui viennent au théâtre et qui sont obligés de garder leur téléphone allumé. Alors on conseille tout simplement au docteur d’avoir un pin’s avec une croix rouge pour qu’on sache déjà que le téléphone peut sonner, qu’on soit averti.

Baptiste : Et puis généralement au théâtre il y a une annonce pour faire éteindre les téléphones au début du spectacle. Donc la personne à qui cela arrive a certainement des troubles mentaux ou de comportement.

Olivier : La meilleure chose à faire dans ce cas c’est d’appeler l’OCDS, on envoie une ambulance et la personne part dans notre centre de soin à La Baule. Elle fait une cure de 15 jours là-bas et elle revient complètement retapée.

Baptiste : Ce qui fait qu’ensuite la personne intègre les informations qu’elle reçoit.

 

« On n’est pas des moralistes mais c’est vrai qu’il y a certaines habitudes qui sont regrettables au vue de ce qu’on peut regarder parfois sur scène » – Baptiste

 

À quand un système de remboursement à la fin d’un spectacle si on n’est pas satisfait ?
Baptiste : Comme on vous l’a dit tout à l’heure, l’OCDS s’engage à rembourser si la formation ne convient pas.

Solal : À rembourser deux fois !

Baptiste : Voilà, ça c’est calqué sur du marketing, je crois que c’est Auchan qui faisait ça aussi. On n’a rien inventé hein. Après on ne peut pas forcer les compagnies de théâtre à faire ça, on n’est pas des moralistes mais c’est vrai qu’il y a certaines habitudes qui sont regrettables au vue de ce qu’on peut regarder parfois sur scène. On pourrait demander justice.

Comment optimiser l’espace pour mettre ses jambes dans une salle ?
Solal : Alors ça je pense que c’est une question vraiment pour toi, Olivier.

Olivier : Effectivement, c’est moi qui suis le correspondant des équipes de recherche. Il faut savoir qu’on a déjà toute une batterie de positions de jambes à notre disposition. Et là ils sont en train de mettre en place la 4ème génération de batterie de placement de jambe, qui correspondent à des configurations différentes de celles qu’on connaît déjà. Là par exemple dans un amphithéâtre d’étudiants c’est très différent. On attend les résultats, mais il en existe déjà 3 générations…

Baptiste : Moi j’ai vu déjà des maquettes par rapport à la restructuration des théâtres. A priori les gradins seront faits dans l’avenir pour des personnes debout. Donc il n’y aurait plus ces problèmes.

En tant que comédien, quelle est la pire crasse qu’un membre du public puisse vous faire ?
Là il faudrait poser cette question à des comédiens… Pendant nos formations on a déjà eu des réactions un peu étrange, mais on s’en ressert généralement. D’ailleurs dans la formation que vous pourrez avoir le 7 et 8 février, il y a le témoignage d’une personne qui nous a pourri la vie pendant plusieurs années.

Olivier : Et pas qu’à nous ! Il a pourri la vie à de nombreuses équipes de théâtre en France.

Solal : En tant que comédien, je pense que voir un spectateur s’endormir ou téléphoner, envoyer des textos, c‘est assez irritant.

Baptiste : Il y a le cas des salles où le spectateur doit passer par le plateau pour sortir ou aller aux toilettes.

Solal : C’est pour ça, on aime bien donner au spectateur des stratagèmes pour se cacher, être libre, être dans une sorte de respect mutuel. L’acteur fait au mieux son travail, le spectateur doit en retour faire de même.

En fin de compte, vous êtes complètement dans une mission de service public ?
Baptiste et Olivier : Vous êtes dans le vrai, à 100%.

Solal : Pas tout à fait mais en même temps complètement.

Baptiste : La plupart de nos fonds sont privés mais vous avez absolument raison.

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Propos recueillis par Pierre-Olivier Bobo et Sophie Brignoli

Spectateur : droits et devoirs, les 7 et 8 février, amphithéâtre Eicher (campus) à 19h30.