Le duo de Berlin Dada Disco sera à l’affiche d’une soirée spéciale consacrée à la capitale allemande vendredi 15 février à l’atheneum. Le Bar25, mythique club d’outre-Rhin, sera ainsi mis à l’honneur avec la projection du documentaire Day Out Of Time qui retrace l’histoire de ce « terrain vague fait de bric et de broc » devenu haut-lieu de la fête berlinoise. Pour l’occasion, nous ressortons avec plaisir cette interview tirée du numéro 1 de Sparse avec Guillaume « Dada Disco » Bidault, ancien Dijonnais et membre du duo. Un moment savoureux entre culture, déconne et cotillons.

3 places à gagner pour la soirée (film + DJ sets). Pour jouer, merci de laisser un commentaire sous l’article. Les gagnants seront tirés au sort et contactés par mail la veille de l’événement.

C’est l’histoire d’un pote avec qui vous étiez en fac. Le type, au milieu des années 1990 découvre les musiques électroniques et dès le mois de décembre, il vend sa guitare pour s’acheter des platines. Après, il bouge à Paris pour finir ses années de philo, enchaîne avec des cours d’anthropologie et des études d’ingé son. Puis c’est la capitale allemande, et entre deux excentricités filmées par Tracks, sous le nom Schubert et Jessica, il atterrit dans le haut lieu des fêtes berlinoises, le défunt Bar25 (fermé en 2010 suite au rachat du terrain par des spéculateurs). Causerie avec le Dijonnais de Berlin : Guillaume « Dada Disco » Bidault.

Mais qu’est-ce que tu es allé faire à Berlin ? Quand je parlais de toi, j’avais coutume de dire que tu étais parti faire la fête là-bas.
(rires) C’est pas tout à fait ça… Forcément, j’avais entendu parler de l’ambiance et de Berlin « capitale de la musique électronique ». Après deux ans à Paris, après mes études d’ingé son, j’avais essayé de faire des productions, je me cherchais un peu, je travaillais dans les studios mais la scène parisienne était un peu coincée à mon goût. J’hésitais entre Londres et Berlin, et la direction électronique de la ville m’attirait beaucoup plus que le côté rock de Londres. La ville avec ses friches me semblait beaucoup plus ouverte à l’expérimentation. Ce départ, c’était un coup de poker avec l’optique de produire. Et forcément, à Berlin, je me suis rendu compte que la fête était un mode de vie. La sphère festive est quasiment une sphère en-soi à coté de la sphère économique et sociale.

Comment es-tu arrivé au Bar25 ?
J’ai eu la chance d’arriver à Berlin l’été où le Bar25 a ouvert, en 2004. Par le plus grand des hasards, j’habitais avec quelqu’un qui connaissait très bien l’équipe et cette personne m’a emmené là-bas dès les premières semaines d’existence de ce lieu, de manière très innocente, parce que j’étais alors très loin de cette scène. C’était vraiment une cabane en bois au bord de l’eau, les fêtes étaient très confidentielles avec une cinquantaine de personnes. J’y suis allé deux-trois fois sans vraiment comprendre ce qui se passait… (sourire) Et j’y suis retourné l’année d’après, encore en visiteur, j’ai commencé à rencontrer un peu plus de gens, à rentrer dans la scène électronique. C’est en 2006, au troisième été, que j’ai sympathisé avec un des patrons et j’ai commencé à travailler en tant que barman. Ensuite, j’ai continué à prendre du galon et de l’assurance jusqu’à faire partie des DJ résidents et organiser des événements. Finalement, depuis que je suis arrivé à Berlin, on peut résumer mon parcours à toute cette période du Bar25 !

Qui gérait le lieu ? Un patron, un collectif ?
Au départ, il y a quatre personnalités de la fête et de la nuit. Deux qui étaient un peu des ravers, un qui était un restaurateur et l’autre qui avait eu pas mal de bars dans Berlin Est. Ensemble, ils ont su réunir toute une troupe de passionnés et de dérangés (rires).

À quoi il ressemblait, ce lieu mythique ?
Au départ, c’était juste un terrain vague entre la rivière Spree et un mur, prolongement du mur de Berlin. Au début, ils ont décidé de construire une petite baraque pour accueillir un DJ. Et années après années, ils ont ajouté des trucs, construit des bars à des endroits. Chaque année amenait son lot de nouveautés, tous les passionnés apportaient leur touche : des véhicules de manège, des auto-tamponneuses. Chacun pouvait y aller de son petit délire si bien qu’à la fin c’était un énorme complexe et le dernier soir, il y avait sept soundsystem. À la fin, c’était devenu un énorme Disneyland. C’était un mélange de bric et de broc construit avec du matériel de récupération… Mais il y avait un côté très nature quand même, très agréable, en extérieur avec des jeux de lumière. C’était féerique, un bois enchanté. Le terrain était très grand, tout en long. Officiellement, on pouvait accueillir deux cent cinquante personnes, je crois. Le dernier week-end, on en a accueilli dix mille… Toute une partie de l’équipe vivait sur place l’été. Ils avaient construit des petites baraques, posé leur bus aménagé et ils vivaient comme ça, comme une communauté cyber-hippies. L’été, il y avait une vingtaine de personnes « fixes ». Ils avaient tout sur place : le restaurant leur servait de cantine, certains s’occupaient du label (Bar25 est devenu un label en 2006, ndlr), ils faisaient tout ça tout en accueillant à longueur de journée un artiste ou des charpentiers qui venaient ajouter quelque chose.

Et la musique était diffusée toute la journée, sans un moment de calme ?
(rires) Ça dépend si tu fais la différence entre sphère publique et sphère privée. Mais il y avait toujours de la musique quelque part sur le terrain puisque des gens y habitaient… La semaine, le sound system principal était seulement branché en fin d’après-midi et il ne s’arrêtait pratiquement pas le week-end du vendredi jusqu’au lundi, voire mardi.

On imagine que la musique jouée était principalement de la house minimale…
Oui, il y avait de la house, de la tech-house et de la techno minimale, c’était un peu la tendance quand ça s’est ouvert : Villalobos et compagnie étaient en vogue. Le Bar25 a poussé le truc à l’extrême avec ces fêtes qui n’avaient quasiment pas de fin et l’hypnose qui s’en suivait. C’est la musique que l’on retrouve sur le label Bar25, cette « techno du lundi matin », avec des morceaux qui s’étirent pendant dix minutes. Au fil des années, le public s’est élargi, la mode a changé, la techno évolue sans cesse, des DJs de différents pays se sont installés, ça a diversifié la musique et ça lui peut-être évité de s’enfermer dans un lieu un peu trop druggy. Et il y a eu l’ouverture d’autres espaces, notamment le Circus, un espèce d’amphithéâtre où il y avait des pièces de théâtre, des concerts de musique expérimentale ou de balkan beat. Ça nous a aussi permis, le dimanche et le lundi, de jouer des choses plus disco. C’est nous, Denis et moi, qui avons importé cette touche disco qu’il y avait un peu à la fin (Denis et Guillaume forment le duo Dada Disco, ndlr). On servait dans un petit bar et on mettait notre musique, de la disco, des trucs des années 1980. Les gens adoraient, certains même restaient plus vers le bar que sur le dancefloor à écouter la minimale. C’est là qu’on s’est dit qu’il y avait un truc à prendre et on a proposé des soirées disco. C’est le lieu de liberté, d’expression, d’altérité (rires).

Justement au niveau des DJs, quelle était la politique? Inviter des pointures ou des gens underground, des anonymes ?
Tous les DJs étaient logés à la même enseigne. Ce n’était pas ta notoriété qui était importante mais le fait de jouer deux heures ou trois heures. Dans les premières années, les gens n’étaient quasiment pas payés. Ceux qui jouaient étaient des amis, et au bout de la deuxième année, certains DJs se sont proposés, il a fallu les payer, mais juste un peu, deux cents ou trois cents euros. La plupart des gros DJs qui sont passés par Berlin ont voulu jouer là-bas et ont accepté les conditions. La programmation ne cherchait pas les grosses pointures et elles se sont retrouvées au milieu d’artistes moins connus.

Un soir vous aviez fait une bonne blague en vous déguisant en Daft Punk.
C’était pour l’anniversaire du lieu. Il nous semblait important de présenter quelque chose d’un peu historique, événementiel, sauf qu’on n’avait pas les moyens. On avait convenu avec le patron, qui était le seul au courant, qu’on se ferait passer pour les Daft Punk. On avait fait des déguisements assez réussis. Et en amont, on a lancé une rumeur en en parlant à des potes. Du genre : « il va y avoir un gros truc, deux DJs français, enfin tu vois, je peux rien te dire ». Et quand on est apparus sur scène au milieu de la fumée, au milieu des lasers, des gens ont cru qu’on était vraiment les Daft Punk (rires). Ça m’a pas mal amusé de voir ensuite sur les forums, les commentaires, des gens se demandant s’ils avaient vu ou non les vrais Daft.

Tu parles d’hypnose, de ce côté perdition dans et grâce à la musique. Quelle place occupait la drogue là-dedans ?
Bah, faut pas trop se cacher, hein… Quand tu restes danser pendant presque dix, douze heures, des fois vingt quatre, forcément, il y a un dépassement de soi (rires). À Berlin, il y a une certaine tolérance. Pour nous, c’était un élément du folklore. Il y avait peut-être une certaine concentration chimique mais de toute façon c’était comme ça à travers toute la ville. C’est peut-être une manière d’acheter une paix sociale dans le ville parce qu’il y a quand même énormément de chômage, ici.

Tiens au fait, c’est exact que le nom Bar25 vient de la 25ème distillation des acides ?
(rires) Je ne la connaissais pas celle-là ! Il faut que je la raconte aux autres, ça va bien les faire marrer. Non, c’est un peu un hasard, le lieu était au numéro 25 de la Holzmarktstraße. Mais le Bar25 a commencé bien avant, dans un vieux Volkswagen Kombi emmené sur les festivals pour servir de bar ambulant. Sur le camion, il y avait un signe 25. C’est vrai que ça laisse songeur, l’utilisation des numéros et de cette mystique…

Une des particularités du lieu, c’était d’attendre quelque chose du public.
Oui, ça rejoint cette idée de « faire la fête chez des gens ». Tu venais avec quelque chose, avec un cadeau. Il fallait venir avec le bon état d’esprit. Si tu arrivais avec un grand sourire, un peu looké, que tu avais deux-trois plumes sur ton chapeau, on sentait que tu étais prêt à apporter de cette bonne humeur qui faisait le lieu. Plus, c’est vrai, que si tu arrivais avec ta chemise bien repassée et ta carte de crédit.

 

« La semaine, le sound system principal était seulement branché en fin d’après-midi et il ne s’arrêtait pratiquement pas le week-end du vendredi jusqu’au lundi, voire mardi »

 

Mais c’était l’anti Studio 54 en fait, ça restait un lieu ouvert, sans star…
On a dit que la sélection était dure, moi je ne trouve pas. Je pense qu’elle aurait pu se faire des fois avec un peu plus de tact (rires). Il y avait ce besoin de nachstellung, ce désir de se mettre en scène. C’était fait de manière tellement chaotique, tellement «cabaret burlesque» qu’il ne suffisait pas d’avoir un grand nom pour rentrer et faire son show. Si tu avais ce bon esprit, tu pouvais même en une journée rentrer dans le backstage… Beaucoup de gens n’avaient pas compris cela. Des DJs célèbres, leurs agents ou des gens qui travaillaient pour eux se sont pointés à la porte ou au backstage, en prenant les gens de haut, et ne sont jamais rentrés.

Le backstage était vraiment le lieu de tous les fantasmes, à juste titre ?
C’était une fête dans la fête. Est-ce qu’il y avait matière à fantasmer ? (silence) Oui (rires). Il se passait beaucoup de choses mais en un sens le lieu était tellement fou qu’on pouvait bien s’amuser sans y avoir accès.

Aujourd’hui, avec ton duo Dada Disco, est-ce que tu perpétues cet esprit ?
C’est dur à dire, on joue dans des lieux et des pays tellement différents qu’on est obligés de s’adapter. Au Bar25, l’aspect performance et visuel était plus important que la musique. À l’époque, on jouait juste quelques bons titres pour mettre le feu.

Avec ce duo vous faites le tour de l’Europe : Stockholm ou Cannes récemment…
Oui, et puis on est allés à Novosibirsk, aux portes de la Sibérie, aux frontières de l’Asie. Et ça sans rien avoir produit, c’est ce qui est miraculeux ! Outre nos personnalités excentriques et sûrement agréables, c’est la réputation du Bar25 qui nous précède. Quand on a proposé nos services à Moscou ou à Barcelone, sur le Sonar, ça a été notre carte de visite. Ça a marché comme ça dans deux-trois villes clefs et on a réussi à capitaliser le truc. On arrive maintenant à la limite et il faut vraiment qu’on produise quelque chose. Ça devrait sortir prochainement. On ne sait pas encore chez qui. On a la chance d’avoir des potes dans des labels. Par exemple, Ellen Allien de Bpitch Control n’arrête pas de nous demander où on est. Mais je ne sais pas si on va prendre le risque de lui faire écouter (rires). Et il y a bien sûr les gens du label Bar 25…

Vous jouez à Cannes lors du festival ou à l’occasion de défilés de mode, et sur votre facebook, vous lâchez : « Dada hates Fashion, Fashion loves Dada! »
C’est vrai que ce sont des milieux qui n’ont pas grand chose à voir avec cet esprit déconnade du Bar25. Après on n’est pas incorruptibles, loin de là, on est même relativement arrivistes, on prend de l’argent pour faire ça. Et puis, il peut y avoir du bon goût parfois là-dedans.

 

« Toute une partie de l’équipe vivait sur place l’été. Ils avaient construit des petites baraques, posé leur bus aménagé et ils vivaient comme ça, comme une communauté cyber-hippies »

 

Pour te connaître un peu, je suis sûr que tu as vécu toute cette période sans prendre tout cela vraiment au sérieux.
Oui, en même temps je suis d’un naturel un peu anxieux, tu sais, mais c’est vrai qu’il y a un côté tragi-comique dans tout ça. Il y a un côté absurde à penser qu’on peut passer sa vie à s’amuser. Jusqu’à quel point ? C’est la question.

Avec ton regard de philosophe et d’anthropologue, tu analyses comment cette folie du Bar25 ?
C’est dur parce que c’est un fait social total. Si tu essayais de faire un bouquin sérieux sur cela, tu raterais une partie de ce que c’était. On pourrait le découper en plein de tranches : d’un point de vue individuel, social, politique… Globalement, au cours du siècle dernier, avec le développement économique des arts, des villes ont eu leur heure de gloire, avec des conditions historiques précises. Berlin, avec la chute du Mur, a eu la chance de proposer autant d’espaces et de liberté à une jeunesse. Les libertés étant réduites partout, ça a créé un aimant puissant. Tout le monde vient pour prendre sa part du gâteau. Et c’est un mouvement international. Finalement, la bohème à Paris dans les années 1920, il y avait assez peu de Français. Au début ici, c’était typiquement berlinois et allemand, mais juste durant les premières années. Il y avait un esprit bien particulier, tous les lieux ouverts dans les années 1990 jusqu’au Bar 25, étaient ouverts par des gens de l’Est. Ils faisaient ça avec une fraîcheur, une naïveté typique de l’Est, moins axé sur les rapports économiques. D’ailleurs quand le Bar25 a ouvert l’entrée était gratuite. Ensuite elle est devenue payante, à la fin ça coûtait 10 euros pour entrer. Aujourd’hui, si tu ouvres un club, c’est 10 euros dès la première année. Des gens à travers le monde se sont rendus compte du potentiel artistique et d’expérimentation de la ville. C’est très bien, mais un esprit occidental est alors arrivé. Ça fait huit ans que je suis là et je ne reconnais quasiment plus la ville tellement ça parle anglais, espagnol, français à tous les coins de rue. Toutes les semaines, tu as des bars, des galeries qui ouvrent… Du coup, Berlin comme les autres grandes villes court le risque de la gentrification. Le capital vient toujours là où les artistes étaient avant, prend leur place et éjecte ceux qui, pourtant, l’avaient attiré dans un premier temps.

Bon, on te voit un de ces quatre à Dijon ?
Avec plaisir (rires). En même temps, je me rappelle des dernières fois à Dijon, fin des années 1990, on était dans les bois à tenter d’organiser des mini teknivals, et là je vais revenir en jouant de la disco !

– Propos recueillis par Martial Ratel (octobre 2012)
Photos : Ryan Hooks (portrait Dada Disco), Guillaume Bidault (Bar25), Luci&Coma (Dada Disco en Daft Punk), Dada Disco (aéroport)

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Carnaval Party / Dada Disco
+ projection de Day Out Of Time
Vendredi 15 février, 20h, atheneum
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Trailer du docu à visionner ici.