Pour ceux qui n’ont pas encore vu un seul Malick (honte à vous il faut rattraper cet odieux manque à votre culture cinématographique*) ou pour ceux qui n’ont pas aimé Tree of Life (et ça je ne le comprendrai jamais), hé bien passez votre chemin.

Terrence Malick, l’un des réalisateurs les plus fascinants du cinéma américain, accélère soudain le rythme en sortant son sixième film, 2 ans seulement après la Palme d’Or Tree of Life. To The Wonder, À La Merveille en VF, est justement dans la continuité de ce dernier, démontrant le nouveau virage pris par le cinéaste dans son œuvre désormais prolifique. De rythme narratif et de déroulement chronologique, il n’y en a plus. Malick réaffirme sa volonté d’être un poète du cinéma.

To The Wonder s’ouvre sur une séquence française, entre Paris et le Mont St Michel, présenté comme un Éden dont les Adam et Eve sont Neil l’américain (Ben Affleck pratiquement mutique) et Marina la Franco-Roumaine (la belle et un peu trop dansante Olga Kuryenko). Les deux amants célèbrent leur amour pur et véritable sur le Mont à la Merveille, dans le jardin enneigé de l’Abbaye au rythme des premières notes du prélude de Parsifal de Wagner. Chez Malick, l’amour est élégiaque, il s’exprime par les regards, le toucher, la distance entre les corps… Nul besoin du langage pour que les deux amants s’aiment passionnément.

Mais voilà, Neil et Marina descendent du Mont pour rejoindre un autre monde, le Nouveau Monde, les États-Unis d’Amérique. Là où la jeune femme finira par être tentée… S’ajoutent également les questionnements d’un prêtre en proie au doute, parmi les nombreuses âmes perdues qui peuplent une Amérique démythifiée .

Après ce Paradis perdu, Terrence Malick raconte l’histoire de la perte, ou plutôt celle du deuil, celui de l’Origine, où tout était pur et grandiose. Mais la terre est labourée, polluée, souillée par les hommes, Neil le constate dans les chantiers. Et pour la première fois, les plans de la Nature sublimée s’alternent avec ceux de la création de l’Homme : des maisons délabrées, des usines, des supermarchés…

Un poème filmé, une ode à la beauté perdue.

Cette ligne directrice de la perte traverse toute la filmographie du maître : les champs labourés dans les Moissons du ciel, la jungle de Guadalcanal saccagée par la Guerre dans La Ligne Rouge, les terres de l’Amérique décimées par les colons dans Le Nouveau Monde

To The Wonder est d’ailleurs un film miroir, empreint de nombreux clins d’oeil aux œuvres précédentes : on retrouve des plans de Tree of Life où le comportement des amants est semblable à celui de ceux du Nouveau Monde.

Et comme la pureté de l’Amour, le langage (de la Tour de Babel) qui unissait les Hommes est perdu. Car À la Merveille est un film sans véritables dialogues, où les réponses à l’autre sont rarement données et la voix-off est maîtresse, sans rapport avec l’image. Les langues, multiples, qu’elles soient par la parole ou par les gestes, ponctuent le film. Après tout, le vrai langage chez Terrence Malick, c’est celui de l’image et donc du cinéma.

To The Wonder est un poème filmé, une ode à la beauté perdue. Le cinéaste de La Balade sauvage rend les émotions palpables, fidèle à sa logique de cinéma sensualiste. Un genre pleinement assumé, qui ravit, éblouit même, ou bien peut laisser totalement perplexe (enfin, pour les gens insensibles quoi). Il s’agit là d’un cinéma subjectif où la caméra, vertigineuse, est en mouvement, au plus près des corps et des visages, filmés en lumière naturelle.

Au spectateur ensuite de se laisser emporter. To The Wonder n’est pas le meilleur Malick mais il ne laissera certainement pas indifférent. Espérons cependant que le prochain déjà en route, Knight of Cups (peut-être présenté à Cannes en mai prochain), changera un peu de registre. Attention, Terrence, on va bien finir par se lasser…

– Alice Chappau

*ça tombe bien l’Eldorado est sympa et rediffuse dès cette semaine les films La Ligne Rouge et Le Nouveau Monde en VOST et copie 35 mm, courez-y !