Signe des temps, chaque lutte syndicale tente d’échapper au circus médiatique en montant elle-même son making of. Pionniers dans l’émergence actuelle d’une nouvelle intelligence ouvrière et collective, les Conti ont ouvert la voie d’un nouveau regard. La Saga des Conti de Jérôme Palteau, projeté en ce moment à l’Eldo, retrace avec humanité cette réinvention du mouvement de lutte prolo par lui-même. Nous avons rencontré Xavier Mathieu, porte-parole des Conti, jamais leader mais figure de proue aguerrie au fil du combat.

SagaConti

Que-ce que vous attendez des rencontres qui suivent la projection du film ?
Je suis surtout là pour expliquer qu’il y a des façons différentes de lutter. Pas forcément en zappant les syndicats mais en s’organisant pour lutter. Souvent, quand les entreprises ferment, les gens ont tendance à faire confiance aux hommes politiques, aux confédérations alors que la seule façon de sauver sa peau c’est de ne la confier à personne d’autres qu’à soi-même. La lutte des Conti est une exemple de démocratie ouvrière où chacun a pu prendre la parole.

On entend souvent dans le film cette phrase : « être un ouvrier ». On vous voit prendre la parole. Qu’est-ce qu’un ouvrier qui parle, aujourd’hui ?
Je ne sais pas. On voit surtout un ouvrier qui se bat, qui dit « ça suffit ». On voit des gens qui se sont tus, ont accepté beaucoup. D’ailleurs, la loi sur la flexi-sécurité actuelle, c’est ce qu’on nous a proposé en 2007 pour sauver le site : baisser nos salaires, annuler les primes de vacances, retourner à 40 heures payées 35. On nous avait demandé de nous taire mais un jour, nous avons pris la parole. Moi, je ne me suis jamais tu, j’ai été délégué syndical pendant 25 ans. Quand on parle d’exemple, c’est qu’on a voulu montrer aux gens qu’on n’étaient pas bouffés par la résignation mais par l’indignation et la révolte. On ne voulait pas servir d’exemple de la trahison patronale.

On perçoit deux autres luttes, celle qui vous oppose à la demande des médias de les fournir en spectaculaire et celle du langage.
Oui, on voit la journaliste à Hanovre qui nous demande du saignant et du spectaculaire. Ça vient peut-être aussi du fameux épisode de la sous-pref’ à Compiègne, certains des journalistes qui avaient raté cette image voulaient sans doute se rattraper.

Est-ce que cette attitude vous a surpris au cours de la lutte ?
On l’a pas tant connu que ça. J’ai un rapport simple avec les médias, j’ai compris assez vite comment ça marche : leur métier est de vendre de l’information, mon travail à moi est de faire passer cette information. Finalement, il y a eu un rapport de confiance avec les médias, à part avec TF1 qui est la seule des télés à n’avoir pas flouté les images de Compiègne. Dans l’ensemble je n’ai pas le sentiment d’avoir été trahi et j’ai appris à ne pas perdre de temps dans ce domaine.

Il y a quelque chose de contradictoire dans le film. Le passage de la sous-préfecture de Compiègne est traité avec du négatif et du flou, alors que dans un plan ultérieur, on vous entend dire ne rien regretter de cet épisode. Raisons juridiques ? Esthétiques ?
Quand il fait le film, je suis déjà condamné. Je pense que c’est un pied de nez pour montrer la facilité du floutage des images, pour répondre à TF1. Faudrait lui poser la question.

Facile d’accepter Jérôme Palteau, le réalisateur, dans votre tribu en lutte ?
Au départ, pas forcément mais on l’oublie très vite.

On voit parfois des regards de méfiance jetés à la caméra.
Pas de méfiance. Oui, il y a un regard caméra quand on est en négo. Il doit nous surprendre en arrivant par derrière. On lui a fait confiance entièrement, on a signé les autorisations avant de voir le film. Ce mec est super réglo, avec une humilité incroyable. Il a su avancer pas à pas, reculer quand il se rendait compte qu’il ne pourrait rien faire parce qu’on était trop tendus. Je crois que pour faire du documentaire, il faut aimer les gens.

Tu lui offres une mine d’or avec ton parcours d’apprentissage auprès de Roland Szpirko.
Oui, j’ai évolué. On voit ça dans le film. Ce que j’étais alors et ce que je suis devenu. L’apprentissage de la communication et des techniques de lutte. J’ai même un peu honte d’une expression qui vient au début du film, partenaires sociaux. C’est un mot que je hais aujourd’hui. Mais tu sais, j’ai le même trajet que les autres. J’ai seulement eu la responsabilité de porter leur parole. J’ai rien fait pour les autres, franchement. J’ai lutté pour moi au départ, pour me battre. Roland l’a fait pour les autres, il n’a rien retiré de cette lutte à part l’honneur d’avoir emmené les gens. Sans mes potes j’étais un petit rigolo, ce sont eux qui m’ont porté quand je vivais dans l’angoisse permanente du résultat, d’éviter de faire des conneries qui plomberaient tout. Roland, avec son expérience, nous a empêché de trébucher.

– Propos recueillis par Badneighbour

La Saga des Conti, de Jérôme Palteau, en ce moment au cinéma Eldorado.