Cette semaine, une bédé-reportage sur une partie du monde magnifique : la Bretagne. Une bédé qui nous replonge dans les années 1970/1980 du côté de la pointe du Raz. Précisément à Plogoff, le dernier bled juste avant ce bout du monde occidental, où en 1974 l’État français avait décidé d’implanter une centrale nucléaire.

plogoff

Alors, je ne sais pas pour vous mais pour moi déjà, rien qu’à cet énoncé, j’hallucine. Mettre une centrale dans ce coin du monde super beau, je ne comprends pas. Et en plus, dans cet endroit de Bretagne, y’a juste des tempêtes et des événements climatiques souvent hors-norme pouvant mettre en péril un bâtiment sensible comme celui-ci… Bon, j’suis pas ingénieur EDF mais les certitudes du nucléaire ne sont pas toujours des vérités géologiques ou océaniques…

En 1974, d’autres -finalement comme moi mais beaucoup plus concernés- se sont fait la même réflexion : les habitants de ce petit village de Plogoff. Durant 7 ans, ils ont lutté contre la mécanique étatique qui a tenté à tout prix d’installer le générateur dans leur jardin. Une lutte forcément perdue d’avance mais dont pourtant ils sont sortis vainqueurs.
Le livre de Le Lay et Horellou, tout simplement appelé Plogoff, retrace en près de 200 pages toutes les péripéties de ces lutteurs entre 1974 et1981. Que découvre-t-on ?
Tout d’abord, que les habitants de Plogoff n’étaient absolument pas préparés, pas armés d’un point de vue technique, stratégique, idéologique, pour faire face à cette implantation. Le village de résistants est devenu un village d’Astérix à travers la pratique. Dans le village, le livre ne nous montre pas de « Grande Gueule » ou de soixante huitards installés au milieu des femmes de pêcheurs et qui auraient agité la populace malgré elle.
Là, les vieilles, les enfants, les gars du bistrot se sont mobilisés tous seuls. D’abord en faisant obstacle aux études préparatoires, à coup de blocage de route, de sitting bon enfant, mais déterminés, ou à coup d’achat de parcelles de terre pour ralentir les expropriations.

Seule la lutte paie

Ensuite, ça s’emballe avec des soutiens et des connexions qui viennent d’autres villes et d’autres régions de France. À l’époque, l’exemple du Larzac est dans toutes les têtes.
Je rappelle, pour les moins aguerris à la lutte ou qui auraient grandi dans une famille de droite, qu’à partir de 1973, des paysans du Larzac dont un jeune José Bové s’opposent à l’extension d’un camp militaire. Grosse, très grosse mobilisation et finalement victoire. Là, en Bretagne, la victoire contre la centrale nucléaire sera plus tardive d’un an par rapport au Larzac. C’est Mitterrand qui, arrivé au pouvoir, respectera sa parole et qui annulera le projet EDF.

Le livre fait la part belle aux anecdotes, aux moments de vie de tous les jours. On suit particulièrement une Yvette, mère de famille, femme de péchaillou. D’années en années, la tension monte à Plogoff et en février 1980, les gardes mobiles investissent le village pour mener une mascarade d’enquête d’utilité publique. Moment épic où les mamans du village chambrent pendant des jours les militaires dans le village et reçoivent en retour des coups de matraques et gaz lacrymogènes. Ambiance chaos, fin du monde avec les villageois dans le rôle des bêtes traquées.

Trop jeunes pour avoir connus cette époque, les auteurs se sont appuyés sur les témoignages de Nicole et Félix Le Garrec, auteurs d’un film documentaire d’époque Plogoff. Des pierres contres de fusils.

Graphiquement, c’est du noir et blanc, dessin numérique. Je suis pas trop client mais comme le livre nous offre une tranche de lutte qui sera totalement oubliée dans quelques années, je ne saurais trop vous conseiller de vous procurer cet objet, qui prouve que seule la lutte paye. Bon, et puis grâce à tous ces gens là, j’ai eu le plaisir d’aller plus tard en vacances à Plogoff. J’ai pu me baigner en août dans de l’eau à 16 degrés et m’embourber dans la si joliment nommée baie des Trépassés.

– Martial Ratel

Plogoff, de Delphine Le Lay et Alexis Horellou – Delcourt, autour de 14 euros.

La chronique bédé est un partenariat avec Radio Dijon Campus.