« Allo ? »
– Allo, c’est Guy Roux, vous m’avez laissé un message.
Oh non de Dieu. Mains moites. La légende vivante s’adresse à moi.
« Oui, on voudrait faire un portrait de vous, pour Sparse, vous connaissez ? »
– Oui bien sûr j’adore ce magazine ! (non j’déconne, il me répond non en fait)
« On voudrait parler de vous, de votre rapport au foot, à la Bourgogne… »
– Ok, disons mardi prochain.
« À quelle heure ? »
– Oh, après l’étape du Tour de France, sinon je ne serais pas disponible. 17h30 ? Au stade Abbé-Deschamps.

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On a le rendez vous avec Guy Roux ! Le Bourguignon qui pèse le plus en France, l’ami des présidents, la référence foot et terroir, le mec qui a réussi à placer huit fois le mot « Chablis » en finale de la coupe du Monde 98. En plus, le mec décroche lui-même son téléphone, ravi et disponible.

STRASS ET PAILLETTES

On se dit qu’on monte d’un cran, qu’on est en train de placer Sparse parmis les grands. Sur la même marche qu’Union ou Le Chasseur Français. On l’attend déjà sur la Une du mag’ avec bonnet et grôles en  plastique. Poussée de fierté, tsunami d’orgueil. On le dit à nos parents. Bien sûr, Guy Roux nous attend. Forcément. On le rappelle la veille du rendez-vous.

– Le portrait, oui bien sûr. Mais si on peut le faire à 15h30, c’est mieux.
« Et le Tour ? On aura du temps ?
– Pas de problème.

On bosse à fond l’interview. Les débuts, la guerre, Appoigny, Amora, Chablis, la bicyclette de Laslandes contre Dortmundt en 1997, le doublé, pourquoi Lens… On connaît tout par cœur. Le jour J, direction Auxerre. On y va à quatre. On connaît l’Yonne. Pas envie de prendre de risque. On est en avance, alors on s’arrête boire un coup au Café des Stades. Ou rien n’a changé depuis le tournage de Coup de tête en 79.

15h30, le stade. Bonjour, on a rendez-vous avec Monsieur Roux. « Qui ça ? Guy Roux ? Eh, p’tiot ! Il est là le coach ? Non  Bon ben on va l’attendre… pendant trois heures. Guy a coupé le portable, personne ne sait où il est. On le cherche dans les bureaux, au centre de formation, on attend la fin de l’étape du Tour. On va boire des bières au bar de la piscine (alors qu’on se voyait déjà dans les caves de Chablis guidés par notre Guy), on passe à la boutique du club où tout est soldé. Caleçons AJA à trois euros. Putain de crise, putain de Ligue 2. On se renseigne sur les faits divers locaux (« et Emile, il va bien ? »), on a même eu le temps d’assister à l’entrainement de l’équipe d’Auxerre en compagnie de supporters… passionnés. Et de voir Bernard Casoni -ancienne gloire de la défense de l’OM version Tapie, désormais entraineur de l’AJA- diriger les exercices. Bernard Casoni ne parle pas. Il éructe. Des petits mots : « oui », « non », « oooh », « une touche ». Pas une phrase. On ne sait toujours pas comment il communique  avec ses joueurs. Mais pas de Guy Roux. « Vous savez il est plus tout jeune, il a peut être oublié. Ou à la sieste », nous dit une des secrétaires du club. C’est vrai que Guy Roux a 74 ans.

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FRUSTRATION

Plus de trois heures à Auxerre pour rien, pas de nouvelles, pas de réponse à nos messages, pas de coup de fil.

« Il se serait pas un peu foutu de notre gueule, le vieux ? Tu l’as vraiment eu au téléphone ?»
– Deux fois, dont la veille.
« T’es sûr que c’était pas Gérald Dahan qui imitait Guy Roux ? »
– Alors il le faisait vachement bien.
« Putain, on est comme des enfants… »
« Qu’est-ce qu’il s’en fout de nous, y’a l’étape du Tour »
« Guy Roux ! Tu voulais pas interviewer Maradona non plus ? »
– J’ai pas le 06 de Maradona.
« Je le déteste, qu’il reste en deuxième division avec son équipe de merd
– C’est plus son équipe.
« J’achèterai rien sur vol24.fr »
– Bon, on rentre, avant de se faire violer.

Je vous rappelle qu’on est dans l’Yonne quand même. Et vexés. Faut pas provoquer sur la blague. Pas de nouvelles depuis. Respect zéro. On l’aurait vu sur Infosport en direct le jour même. Guy Roux s’en tamponne complètement de Sparse. Questions sans réponses. Frustration. Tu te la joues, tu veux interviewer des vedettes, tu fais 300 bornes aller-retour. Et tu rentres chez toi, la queue basse, en te disant que tu vas attendre un peu de sortir plus de cinq numéros de ton magazine de hipster avant de faire le vilain prétentieux. Bisous Guy.

– Chablis Winston
Illustrations : Estelle Vonfeldt
Article publié dans le numéro 05 du magazine Sparse (sept. 2013)