Si pour bon nombre de Dijonnais, cette commune est le trou du cul du monde, un bled dans lequel on atterrit seulement par erreur, arrêtons-nous toutefois quelques instants à Saint-Jean-de-Losne. Avant de faire demi-tour.

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Mon attachement à cette petite bourgade du sud de la Côte-d’Or remonte à l’époque de mon arrière grand-mère. Sa sœur y tenait un bistrot où l’on pouvait manger, boire et baiser. Aujourd’hui, cet endroit existe toujours, il s’appelle « Le Café National ». Je ne sais pas ce qu’il est encore permis d’y faire, en revanche je sais que ça ne donne plus très faim et encore moins envie de tirer un coup. Heureusement, il y a encore de quoi picoler. Il y a peu, je suis justement retourné à « Saint-Jean », comme on dit, pour essayer de retrouver la trace de cette époque joyeuse et débridée. État des lieux.

L’histoire de Saint-Jean-de-Losne remonte au VIIème siècle. C’était un point de passage très important, notamment pour acheminer le sel de Franche-Comté jusqu’à Dijon. La Saône, à la fois frontière naturelle et voie de communication, a fait de cette ville un lieu hautement stratégique. Au fil des siècles elle fut le théâtre de nombreux évènements politiques et militaires.

Saint-Jean-de-Losne

Au XVIIème siècle pendant la guerre de 30 ans, Saint-Jean-de-Losne fut assiégée par les troupes autrichiennes. Mais avec les pluies diluviennes qui tombaient pendant leurs assauts, la Saône entra en crue et les gêna considérablement. Grâce au renfort de l’armée française, les Autrichiens finirent par se replier.

Saint-Jean-de-Losne et la Légion d’Honneur

À la Révolution française, comme beaucoup d’autres communes, Saint-Jean-de-Losne a changé (temporairement) de nom. Il fallait alors employer « Belle Défense », en référence au siège de 1636 dont je viens de vous parler. Au XIXème siècle, pendant la guerre des 100 jours, la ville dû capituler face aux forces coalisées qui poursuivaient l’armée de Napoléon. Mais l’Empereur récompensa le courage de ses habitants, en attribuant la Légion d’Honneur à la commune. Avec Chalon-sur-Saône et Tournus, c’est une des premières villes à avoir reçu une telle décoration.

Bref, passons sur l’Histoire avec un grand « H », pour en revenir à ce qui m’amenait là-bas. Dans mes souvenirs d’enfance il y a tout d’abord le PMU. Juste en face de l’église, non loin des quais, c’était un des nombreux points de chute des non-moins nombreux poivrots de la ville. Mon père m’y emmenait souvent le samedi pour faire un tiercé. Je me souviens du style 1900 très sombre, de l’odeur des cigares et des gitanes maïs mêlée à celle de la vieille vinasse. Je me souviens aussi des hurlements des vieilles maquerelles accrochées au comptoir quand on leur pinçait les fesses. J’avais 8 ans et je me sentais étrangement très à ma place.

Pochouse, gaudes et autres spécialités locales

Vingt ans plus tard, je n’ai pas refranchi la porte de cet établissement qui, du dehors, n’a déjà plus rien de ce qui faisait son charme auparavant. C’est devenu très lumineux, pour ne pas dire trop. On n’y passe plus ses journées, c’est tout juste si on a envie d’y acheter ses clopes. Autres souvenirs marquants : les spécialités culinaires locales. Et oui, qui l’eût cru ? À seulement quelques kilomètres de Dijon, on cultive la différence jusque dans les habitudes alimentaires. Le plat emblématique du Val-de-Saône, c’est bien sûr la pôchouse. Une sorte de bouillabaisse à base de poissons d’eau douce et de vin blanc. En général, les enfants n’aiment pas trop ce plat souvent très relevé à l’ail et où les arêtes sont nombreuses. Moi, j’aime tout. J’aime aussi l’autre spécialité du coin : les gaudes. Une sorte de bouillie à base de farine de maïs et de lait. Ça a l’air dégueu comme ça mais c’est bon. C’est un met idéal l’hiver, qui tient au ventre et qui réchauffe.

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Aujourd’hui, il est assez difficile de trouver ces spécialités dans les restaurants. Pour les gaudes, mieux vaut les faire chez soi. En revanche, j’ai déniché une bonne adresse pour la pôchouse, mais il faut faire un peu de route et continuer jusqu’à Seurre. Toujours au bord de la Saône. Rendez-vous au Bon Accueil. Ah, et j’ai failli oublier de vous parler du jambon persillé. Je sais, ce n’est pas une spécialité de Saint-Jean-de-Losne mais c’est bien là qu’on trouve l’un des meilleurs persillés de la région. C’est chez Fournier.

Jacky, Mireille, Sandrine et Patrick

J’en arrive maintenant au Café National. Comme je vous le disais un peu plus haut, on peut toujours y manger et boire un coup. On peut aussi s’y arrêter pour dormir, à l’étage, quatre chambres dont deux avec sanitaires. Un batelier amarré à Dijon m’avait un jour confié : « Moi, j’y vais plus là d’dans ! C’est des gros dégueulasses, pis l’dernier coup leur chien (un gros berger allemand vieux et malade, ndlr) il arrêtait pas de gueuler pis il m’a gerbé sur les pompes. Et y’avait personne pour nettoyer… » Peut-être une bonne nouvelle : il y a trois mois environ, Jacky et Mireille ont pris leur retraite pour céder la place à Sandrine et Patrick. Aux dires de ce dernier, c’est une affaire qui roule. Les habitués sont toujours au rendez-vous, il y en a même qui ne venaient plus et qui reviennent. Il faut dire aussi que la déco a été quelque peu rafraichie. Fini l’énorme distributeur de boules surprises qui trônait en plein milieu de la salle. Un appareil qui, même s’il était tellement crasseux qu’on n’osait pas y toucher, le faisait grave quand même. Fini aussi le gros berger allemand. Maintenant c’est plutôt vieux caniches. Il reste encore un point qui n’a pas trop changé : la musique. Mais là je crois que c’est sans espoir.

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Voilà ce qu’il en est de « mon » Saint-Jean-de-Losne à moi. J’aurais envie de vous parler du salon de thé « Si par hasard » ouvert depuis quatre ans sur le quai national, ou encore un peu de l’histoire assez méconnue de cette ville, mais ce sera peut-être l’objet d’une prochaine contribution. En attendant, si vous ne savez pas quoi faire le dimanche après-midi et qu’il fait beau, allez donc vous balader à « Saint-Jean ». Et faites un détour par le café.

– Nico B