Aujourd’hui, un album sorti il y a quelques jours : un assez gros livre d’environ 130 pages, Vois comme ton ombre s’allonge, de l’italien Gipi. Un auteur que j’adore d’habitude, tout simplement un maître de la couleur et des aquarelles.

gipiSon style est très particulier, on le reconnaît au premier coup d’œil et pourtant il n’est pas facile à décrire. C’est du dessin à la main, à la fois très précis et tremblotant. Ses formes sont éclatantes de précision et pourtant, y a tout plein de coups de crayons qu’on pourrait penser superflus, surtout sur les visages ; et pourtant ce sont eux qui donnent toute l’expressivité des dessins.

Ses persos sont souvent secs, longilignes. Un peu comme Gipi lui-même. Ils se présentent souvent face au spectateur, interpellant du regard de manière assez forte le lecteur. Alors me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, il dessine aussi des personnages de trois-quart ou de profil… Et puis Gipi dessine des plans larges, des immenses paysages, magnifiques. Désertiques mais magnifiques. Les couleurs aussi sont superbes, souvent sombres, aquarelles, du lavis : une seule couleur par planche est utilisée comme base, et mélangée avec les autres. Ce qui crée un climat assez pesant quand les couleurs sont sombres. C’est souvent le cas chez Gipi. J’allais oublier aussi quand les objets font un bruit, un clic, un boum, Gipi les honore d’une bulle. Et ça visuellement c’est beau.

Gipi, j’aime beaucoup, mais il a sorti très peu de choses en France. J’crois avoir lu un jour qu’il était prof de dessin dans une école d’art en Italie, il a travaillé dans la pub, il doit avoir une cinquantaine d’année mais il n’a commencé la bédé qu’en 1994. En France, il a explosé en 2005 avec les excellents Local et Notes pour une histoire de guerre, deux histoires sombres. Et un prix à Angoulême pour son Notes.

Donc le Gipi que je connaissais c’était un auteur plutôt réaliste avec à chaque fois un fond social, un contexte ou carrément une guerre, celle des Balkans, pour Notes. En Italie, il bosse avec la Republica et en France, il y a quelques semaines, il assumait à fond son rôle de dessinateur-journaliste dans la Revue Dessinée.

Tout ça pour vous dire que je suis quasiment tombé de ma chaise en lisant son Vois comme mon ombre s’allonge. Un récit complètement quasi-métaphysique ou mental. C’est simple, je suis pas certain d’avoir compris son histoire.

Un auteur devenu zinzin, qui est tombé sur des lettres de son grand-père, un ancien poilu

gipi2Ça a l’air de se dérouler en deux temps. D’un côté, un écrivain qui pète un câble, qu’on retrouve nu au bord d’une plage, il tient des propos incompréhensibles. Et de l’autre, des soldats pendant la guerre de 14 qui montent à l’assaut et qui sont blessés, coincés entre les lignes dans une tranchée.

Les deux, auteurs et soldats, sont coincés. Bon, le lien que je fais entre les deux, c’est que notre auteur devenu zinzin est tombé sur des lettres de son grand-père, un ancien poilu. Et dans ces lettres, il a trouvé une détresse, une expérience de taré, la violence et la bêtise de la guerre. Sa fille, celle de l’écrivain, trouve que ces lettres ne sont pas intéressantes et les médecins qui l’ont interné sont assez contents d’avoir un nom parmi leurs pensionnaires. Voilà, en gros. Dit comme ça c’est assez maigre surtout sur 130 pages. Encore une fois, j’suis pas sur d’avoir tout compris des tenants et aboutissants du livre.

Mais, car il y a un « mais », le bouquin nous prouve une fois de plus que le style graphique Gipi est super bien. Aussi, qu’il est capable de laisser ses crayons et ses couleurs pour la palette numérique. Pour les besoins de son histoire, Gipi change par moment l’univers visuel. En musique, on dirait un passage de l’analogique au numérique.

Et c’est bizarre par moments, honnêtement, j’avais un peu l’impression d’être dans un carnet de Moebius. Même couleurs, même dessins numériques tout en rondeurs. Vraiment étrange.cDu côté de la narration graphique c’est pareil : en rupture, fragmentaire, parfois du pur noir et blanc, sans case, des fois une planche classique avec des cadres, des fois du texte… En 2009, Gipi a travaillé avec des zinzins, ceci explique peut-être cela. Bon, ce que je voulais dire, c’est que même si je pense que ce livre est soit à relire de mon côté, soit à revoir du coté de Gipi, vous devez absolument découvrir cet auteur si vous ne le connaissez pas. Si vous tombez sur Vois comme mon ombre s’allonge, ne vous faites pas un peu trop vite une (mauvaise) idée sur cet auteur.

 – Martial Ratel

Gipi, Vois comme mon ombre s’allonge – Futuropolis, 19 euros 

La chronique bédé est un partenariat avec Radio Dijon Campus.