On a testé pour vous un meeting du FN avec Marine Le Pen et le candidat local : Edouard Cavin. Pour lancer le petit dans la course (il n’a que 24 ans), le Front n’a pas lésiné sur les moyens, puisque la patronne vient elle-même à Dijon pour filer son coup de pouce « national ». C’était le 07 février. Un événement qui risquait fort d’attirer des curieux en tout genre. Moi qui ne fais pas partie des 34% de sympathisants aux idées du Front National, mais plutôt des quelques 10% de centristes -oui, je fais mon coming-out tout de suite-, je me suis tout de même laissé tenter par la promesse d’une expérience inoubliable. Front National undercover.

composte

Je dois bien l’avouer : peut-être est-ce par conviction, allez-savoir, mais je ressentais un peu de culpabilité à l’idée d’aller à un meeting du Front, un peu à la manière d’un homme marié qui rentre sur la pointe des pieds dans un club échangiste. Je pressentais qu’une blonde quadra peu aguichante allait tenter de me séduire, au même titre que les quelques autres bonhommes sur place. Le genre d’affaire mal barrée. J’apprends que le meeting se déroulera au restaurant Ô Palais, je n’en attendais pas moins pour une figure aussi noble que le dauphin du FN, fraîchement promis au trône de la cité des Ducs. On sait quel palais vise la blondasse sur le retour.

Le descriptif de l’événement le présente comme un apéritif. Finalement, ce ne sera donc pas le sacre d’Édouard, mais simplement son vernissage, la vulgaire exposition d’un artiste méconnu, comme il y en a tant. Je prends soin de me travestir efficacement afin d’une part qu’on ne me reconnaisse pas sur place, mais aussi qu’on ne me reconnaisse pas après. Pour m’aider dans cette tache, j’applique les conseils des émissions de relooking, mais à l’envers : mes après-midi passés à glander sur mon canapé devant M6 ou NT1 m’ont enfin servi pour les éléments de langage. Je suis fringué aussi banalement que possible. J’imagine que le frontiste met au mieux un costard Kiabi, au pire il passe inaperçu. Bon, si on veut paraître crédible, on n’échappe quand même pas au petit bouc caractéristique du militant d’extrême droite (qui trouve sa variante à gauche sous la forme d’un keffieh). Me voilà paré.

J’arrive sur les lieux avec un peu d’avance, le comité d’accueil est déjà là. Des militants d’extrême-gauche me tendent un tract : « On est contre la venue de Marine Le Pen, parce qu’elle vient ce soir ». Je respecte énormément cet acte courageux qui consiste à venir manifester à trois personnes dix minutes avant l’arrivée de Marine Le Pen. Ils ne lâchent rien, et c’est beau. Tant d’engagement émeut. Sur place, la file d’attente est au moins aussi longue que celle de la deuxième caisse du Monoprix la veille de Noël, cinq minutes avant la fermeture. Les packs sous les bras en moins.

Histoire de l’art et Mc Donald’s

Au final, je me retrouve dans la place. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les lieux ne sont pas vraiment somptueux, ce qui au final me confirme que le nom du restaurant « Ô Palais » est bel et bien un jeu de mot. L’endroit est bondé, ça sent la naphtaline, odeur que l’on ne retrouve généralement que dans les armoires de nos grands-mères, pour protéger les vêtements des vilaines mites. Au centre de la pièce, une table auprès de laquelle se tient Edouard Cavin, mais surtout sur laquelle se tiennent des coupes de champagnes, premier réconfort du gars qui vient de se taper au moins vingt bornes en R19 Chamade pour venir.

Beaucoup des gens présents n’ont pas l’air Dijonnais, à moins que l’ensemble jean + veste en lin jaune encore maculée de la Saint-Vincent soit le dernier truc tendance à Dijon. C’est peut-être juste trop hype pour moi. Comme dans les clubs échangistes évoqués plus haut, c’est dans l’arrière-salle du restaurant que les réjouissances auront lieu. J’ai un peu peur de m’y rendre, mais la grande amabilité du service de sécurité, à côté de qui je suis une demi-portion, me rassure.

C’est une grande salle toute blanche. Affiches du FN, chaises d’école, estrade, micro et enceintes reliées à une page Youtube. En gros, c’est une salle des fêtes. La vue du public,  l’espace d’une soirée mes congénères, me le confirme. Ils sont tous venus avec leur femme et leurs enfants. Ou leur vieil oncle tatoué un peu bizarre et qui met mal à l’aise lors des repas de famille. Pour eux, c’est un peu l’événement de l’année, de toute façon quand on n’a pas accès à la Carte Culture, on est bien obligé de s’adapter.

Les discussions de fond vont bon train. J’entends deux jeunes à côté me faire profiter de leur grande connaissance de l’Histoire et dénigrer leurs amis étudiants en Histoire de l’art. Après tout, c’est quoi ces mecs qui étudient l’histoire autrement que par les conquêtes de la France ? Probablement des pseudo-intellectuels gauchistes. Ils parlent aussi de leurs plans de carrière. L’un déclare qu’il ignore encore ce qu’il va faire, mais sûrement pas de la politique parce qu’il n’est « pas assez démago », ce qui ne manque pas de sel, vue la situation. L’autre fait part de son projet de devenir commissaire. C’est vrai que c’est sympa, surtout avec l’uniforme. Puis il se ravise et se rappelle qu’il attend toujours une réponse de Mc Do pour un boulot . Qu’il se rassure, là aussi l’uniforme est fourni.

« Nous sommes le premier parti de France! »

Une demi-heure après m’être installé, j’entends un grondement, les gens commencent à se lever, l’excitation monte. Edouard Cavin entre. Malgré ses efforts pour chauffer la salle, l’excitation redescend. Après tout, ce n’est pas facile de faire la première partie de Marine Le Pen, surtout quand tout le monde n’attend qu’elle, et pas un petit gros de 24 ans. Vous vous doutez bien que je ne vais pas vous rapporter son indispensable discours.

Marine Le Pen entre finalement, et reçoit l’ovation consacrée. Pris dans le flot d’enthousiasme, j’applaudis avec la plus grande force, j’irais même jusqu’à crier son nom, comme un vulgaire F(a)N boy, et j’en fit sûrement un peu trop. Elle entama un discours, dont je n’ai retenu que les punchlines du style : « Nous sommes le premier parti de France! » ou bien « Le métronome droite-gauche, c’est un peu la cadence de la décadence !». Et oui, dans le fond Marine, c’est une rêveuse, une idéaliste, une poète.

Elle osera même une comparaison un brin ludique entre New York et Dijon. Si on a pu diminuer la délinquance de 60% à New York, on pourra aussi le faire à Dijon. C’est bizarre, mais j’ai du mal à faire le lien entre le trader new yorkais dans son costume trois pièces qui passe dans le Bronx avec son attaché-case à la main, et Jannie la quinquagénaire mal teinte en blonde devant moi, ou Robert et sa grosse moustache deux sièges à ma gauche se promenant dans n’importe quel quartier de notre patelin. Mais passons.

Le discours enfin fini, on nous invite aux réjouissances : des amuse-gueules et du Kir ! Mon regard s’est d’abord posé sur les innombrables gougères et autres petits fours, au moins un quart du buffet rien que pour ma gueule. Dans le même temps, une foule aussi dense qu’une rame de tramway vers la fac à 7h50 se dirige vers Marine Le Pen dans le but de faire des photos-souvenirs et demander des autographes. Une fois cette foule dissipée, j’approche discrètement la Madone. De près, elle ressemble à Christine Bravo, le côté MILF perverse en plus. Je me suis alors risqué, l’audace et le Kir aidant, à une photo-souvenir avec Marine. Bon, l’image est un peu floue, mais je pourrais le dire : j’y étais.

– Paul Ficcione