Un dandy rock & roll pour certains. Un mec qui s’est cru dans le coup, mais qui, au fond, ne l’a jamais vraiment été pour d’autres. Patrick Eudeline divise, fait rager, enchante et rend admiratif. Oui, le mec n’est plus exactement le remuant jeune homme qui monte sur scène avec Asphalt Jungle en 1977, mais le moins que l’on puisse dire, c’est que le type est prolixe. Rock & roll, littérature, Fauve, cinéma et Bertrand Cantat… Sparse l’a rencontré à Dijon, au café de l’Industrie, dans le cadre du festival One+One.

Patrick Eudeline

Vous êtes le fils d’un artisan-peintre, vous avez des souvenirs de ça, de votre jeunesse ? Complètement, l’odeur de la peinture acrylique… Mais qu’on s’entende bien, il refaisait des appartements, ce n’était pas Van Gogh. J’ai fait toute mon enfance dans un collège très chic, j’étais entre deux classes sociales. Mon père mettait une blouse blanche pour travailler, alors qu’il n’en avait pas besoin pour voir ses clients, mais il en mettait une. Ça me gênait parce que les parents de mes petits camarades mettaient une cravate.

Y’avait de l’art à la maison ? De la musique ? Absolument rien. Je me souviens même quand mon père avait amené des tableaux à la maison, ce qu’on appelle des biches aux abois, il les avait vernis, c’était ringard. Il avait sans doute acheté ça à un marchand de tapis qui ne devait pas vendre des tapis dans la rue. A part ça et les disques de Jean-Claude Pascal, Dario Moreno ou Dalida, Aznavour, rien d’artistique… Y’avait un piano, car ma mère venait d’un milieu social un peu plus bourgeois et avait commencé à jouer du piano. Mon père m’avait demandé quand j’étais petit si j’étais intéressé par le piano, et comme un con j’avais dit non. Bon, en même temps j’avais 3-4 ans. Ils ont vendu le piano ensuite.

Votre révélation, c’est Les Elucubrations d’Antoine. Antoine, c’est énorme. Faut se remettre dans le contexte, j’avais 13 ans. Ce type arrivait avec les cheveux longs et ce scandale absolument énorme. Je découvrais tout en même temps, mais Antoine, ça a été incroyable. En deux ans, il est passé très vite de son époque beatnik à des trucs très psychédéliques, marqués par les Anglais. Il avait sa collection de fringues, très dandy anglais. Et il a eu une telle pression qu’il s’est mis à faire des choses très populaires, qui ne lui ressemblaient plus. Je lui en ai parlé, c’est un type que j’aime beaucoup et qui a été d’une honnêteté exceptionnelle.

En 2014, le rock c’est quoi pour vous ? En 2014 ? Je suis très emmerdé par cette question. J’ai beaucoup de sympathie pour les Strypes, j’aime beaucoup Jack White, je trouve que Pete Doherty a du talent… même si c’est un enculé, hein, mais il a du talent. Après, je pense que le rock est une forme figée dans le temps, qui correspond à une explosion. Comme la grande époque du roman français, c’est Balzac, Zola, c’est le 19ème siècle. Pour le rock, il y a eu un truc incroyable de la fin des années 50 jusqu’à 71-72. On peut le dater. Quand David Bowie a fait son disque Pin Ups (1973) qui reprenait tous les morceaux de l’explosion du rock anglais, on pouvait dire que la boucle était bouclée. Ca y est, on était dans le rétro, le revival, le néo. Déjà, à Woodstock, quand il y a un groupe comme Sha-Na-Na qui est programmé, c’est que le ver est dans le fruit. Quand les Beatles reprennent Lady Madonna et font un morceau néo-classique, le ver est dans le fruit. On n’est plus dans la découverte, dans la progression. Donc je pense que le rock est un truc du passé, oui. Mais il se perpetue car on n’a pas trouvé mieux. Quand on est mort, les ongles poussent encore. J’ai cette attitude marxiste de penser que c’est l’histoire qui fait les gens, et pas le contraire. Y’a pas eu une génération de génie dans les années 60, c’est l’époque qui leur a donné ce talent, ces moyens, cette possibilité de se dépasser.

Et Fauve, vous en pensez quoi ? Ils explosent en France. C’est une escroquerie. Je trouve ça absolument insupportable. Y’en a un qui est un ancien du marketing dans une maison de disque, d’autres qui avaient fait un groupe de folk pourri qui s’appelait The Fleets. Je veux dire, on n’a pas le droit de jouer ainsi avec la misère des gens, la desespérance adolescente et tous ces trucs-là. Musicalement, je trouve ça lamentable. En général, quand on ne sait pas chanter on rappe, et quand on ne sait pas rapper on slamme. J’ai tendance à voir les choses comme ça. Les mecs, ils vous feraient passer Grand Corps Malade pour Baudelaire. C’est hallucinant. Fauve, c’est un truc qui me met en colère. Je fais un massacre sur eux dans le prochain Rock & Folk, je pense que Warner va me faire un procès. Parce qu’en plus ils font semblant d’être des alternatifs, mais ils sont chez Warner les p’tits cons !

Désolé de vous avoir faché (rires). On va revenir un peu en arrière, quand on gratte un peu autour de vous on tombe bien évidemment sur Asphalt Jungle, le groupe de punk rock que vous avez formé en 1977. A ce moment-là, vous aviez l’impression de poser les bases de quelque chose ? Poser les bases non, parce que le rock français existe depuis qu’il y a du rock, on n’a rien inventé. Par contre le punk rock, on était assez lucide sur ce qu’il se passait. C’était une génération qui était juste trop jeune pour avoir vécue la grande explosion des choses, les Stones, etc. Y’avait cette frustration par rapport à l’âge d’or. Quand Hendrix passait à Paris, j’étais trop gamin et je ne pouvais pas aller le voir. Chez tous les groupes punk importants, il y avait ce truc-là. C’était le dernier feu, le dernier mouvement, et à l’époque on en avait conscience. On ne se faisait pas d’illusion sur ce qu’on faisait. J’avais déjà le sentiment que ça n’allait pas durer longtemps mais que ça allait rester dans le temps et dans l’histoire. Et c’est ce qu’il s’est passé, ça a duré deux ans, et parfois j’ai l’impression d’être Dick Rivers qui a fait Les Chats Sauvages et à qui on en parle après tout le temps pendant toute sa vie.

Comme John Lennon, vous pensez que le rock français, c’est comme le vin anglais ? Absolument pas. Dieu sait l’amour que j’ai pour les Beatles, mais non. Je suis un amoureux de la musique française depuis très longtemps. On me connaît, j’ai une passion pour Gainsbourg, Christophe, Polnareff, Dutronc. Même les groupes mineurs des 60’s, comme les Fantômes, les Lionceux, etc. J’adore tout ça. Et puis j’ai toujours trouvé ça stupide les groupes de rock français qui chantaient en anglais. A l’époque des premiers mods anglais, ils adoraient les français. La coupe de cheveux mods, elle vient de Jean-Claude Brialy. Les Beatles se coiffaient comme ça à cause de lui quand même ! Quand on dit à des gens comme David Bowie que des groupes français chantent en Anglais, ils hurlent de rire. Pour eux c’est une absurdité. Les Anglais actuellement redécouvrent les chanteuses françaises 60’s un peu oubliées. Clothide, Chantal Kelly, c’est très chic et très à la mode. C’est chanté en français et c’est un patrimoine. Non vraiment, j’adore tout ça… J’adore aussi Brel. Je suis très attaché à ce pays et à cette identité. Les Kinks parlaient de Londres comme le Velvet parlait de New York. Le destin du groupe parisien est de parler de Paris. Je ne crois pas trop à la musique apatride ou à l’art apatride de manière générale.

En plus d’être un grand amateur de musique, vous êtes une plume. Vous écrivez dans Rock & Folk. Est-ce que certaines rencontres vous ont marqué plus que d’autres ? Je pense à William S. Burroughs notamment. J’étais très jeune, il me marquait depuis ado. En même temps, comme il était très dur à lire, ça rendait le truc encore plus mystérieux. On vous disait que c’était génial mais à 13 ans, allez comprendre pourquoi c’est génial. Bon, j’ai compris depuis, enfin à peu près. Le type me fascinait et je le rencontre un peu par hasard, par des relations communes. Je me fais aucune illusion, c’était un homosexuel fini et il me draguait, je suis pas stupide non plus. Burroughs me dit : « Avec ton look il faut que tu sois chanteur de rock ». C’était la période hippie, je lui dis qu’il n’y avait pas de musicien, que c’était difficile. Il me répond qu’il y a un colloque sur la Beat Generation où il sera présent dans un mois, qu’il faut que j’y chante. Il venait de sortir un bouquin, The Wild Boys, alors il arrache la dernière page, il change un peu les paroles et me dit : « Voilà ta première chanson ». C’était une rencontre magique. Mais en ce qui concerne l’écriture, je crois qu’il y a eu une époque où ça semblait une bonne idée d’être rock critic. Après, c’était un truc pour vivre, un truc que je sais faire. Mais ça ne peut plus être une fin en soi. L’écriture, c’est des romans, c’est plus important, c’est autre chose. Je pense qu’être rock critic aujourd’hui ça ne peut pas avoir la même force et signification qu’en 1974 quand j’avais 18 ans.

Votre style pourrait se rapprocher du gonzo journalisme, principe popularisé par Hunter S. Thompson. Est-ce que vous vous revendiquez de lui ? Thompson pas plus que ça, je l’ai lu et je connais évidemment, mais par contre la filiation elle est dans le sens où je crois qu’on ne parle bien que de ce qu’on connaît ou vit. Comme j’ai toujours connu le rock, j’ai toujours pu en parler de l’intérieur. Et le truc gonzo, c’est ça en fait. Ce que je n’aime pas dans le mot et le concept de journalisme, c’est le côté « je vois les choses de l’extérieur ». Non, moi, j’ai toujours essayé de raconter les trucs de l’intérieur. C’est ça l’idée. Même en étant très personnel, tout le monde va s’y identifier et essayer de comprendre. Plus qu’Hunter S. Thompson, je citerais Tom Wolfe, Lester Bangs bien évidemment, mais pas seulement… Sinon, mes racines et mes origines sont dans Rock & Folk tout simplement. C’était la bible quand j’avais 15 ans. Yves Adrien, Philippe Garnier, Philippe Paringaux… tous ces gens qui m’ont marqué.

Vous lisez quoi aujourd’hui en presse musicale ? Je lis des journaux sur la guitare vintage. Mais sinon, en journal rock, je ne lis plus rien. J’ai même plus le courage de lire MOJO. Bon, à part pour m’informer évidemment, car il faut quand même rester connecté à son époque.

Dans Vénéneuse, l’un de vos derniers romans, l’histoire tourne autour de la rupture amoureuse. C’est un thème forcément lié au rock ? On a forcément une vie différente. Y’a un truc absurde à mon âge, dans tous les endroits où je vais, je tombe forcément sur des gamines. Bon, celles de mon âge, je serais sans doute moins intéressé, disons la vérité. Elles sont chez elles à s’occuper de leurs enfants (rires). Y’a donc un truc par rapport au vieillissement, parce que Vénéneuse parle de ça aussi. La gamine a 23 ans, j’en ai 50. C’est aussi un livre là-dessus. Le rock vous apprend plein de choses, par contre ça ne vous apprend pas à vieillir. De toute façon, ça, personne ne sait faire je pense.

Vous écrivrez vos bouquins comme vos articles, de l’intérieur ? Totalement, et j’ai même le problème de la première personne dans mes romans. Est-ce qu’il doit me ressembler ? Est-ce qu’il doit être un frère ? Est-ce que je dois en faire quelqu’un de différent ? Même quand ce sont des romans éloignés de moi, au final, je suis en plein dedans. Dans le dernier que je suis en train d’écrire, j’essaie quelque chose différent. Ca se passe dans la banlieue de Paris, le type s’habille comme une merde, est complètement paumé et écoute du metal. Donc c’est pas du tout l’image du dandy parisien rock & roll. Malgré tout, avec ce héros différent de tous les héros de mes romans, je me reconnais complètement dedans, il y a ce truc universel.

Le retour de Bertrand Cantat sur scène, ça vous inspire quoi ? Il jouera à Dijon bientôt avec son groupe Détroit… En fait je n’ai jamais aimé ce qu’il fait, je n’ai jamais aimé le bonhomme. Même si j’ai un respect réel pour quelqu’un qui est la depuis 30 ans. Mais ça, ça vient d’une interview où j’ai dit de manière un peu cynique « Oh le pauvre chéri, Noir Désir ça va se finir ». Mais il ne demande que ça d’être seul. L’hypocrisie me dérange un peu. Il va faire une carrière solo, en plus il aura toute la Sacem pour lui (rires). D’ailleurs je trouve ça ridicule que son dernier disque ait été fait sous un nom de groupe. Ca va, enlève ton masque, on sait qui tu es. C’est ridicule.

Il paraît que vous êtes fan d’un cocktail qu’on appelle le Pernod and Black. La vraie histoire, c’est que quand l’absynthe a été interdite, l’écrivain Blaise Cendrars a proposé des solutions de remplacement. Le Pernod and Black et le café électrique. Le café électrique c’est le Pernod dans le café le matin. Bon, faut aimer, hein. Et le Pernod and black, c’est un mélange pur de crème de cassis et de Pernod ou de Ricard. J’aime beaucoup.

– Propos recueillis par Martin Caye au café l’Industrie