Il arrive parfois que la quiétude d’une gueule de bois un lendemain de cuite soit troublée par un évènement inattendu. Car tout le monde sait que la vie n’est pas un long fleuve tranquille.

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Merde, est-ce que ma 206 serait K2000 et me ferait une sale blague ? Ça serait trop cool. Mais il faut se rendre à l’évidence : ma caisse a été reconduite à la frontière de Dijon telle une famille de Roms indésirable dans son village de Transylvanie. Tout ça pour que les bobos de centre-ville de Sparse puissent acheter du topinambour bio.

Revenons sur les faits. Il y a quelques semaines, jeudi soir, aux alentours de très tard, autour des Halles. Un peu éméché, mais pas trop (boire ou conduire il faut choisir), je décide de changer mon bolide de place pour le rapprocher en vue de faciliter mon extraction du vendredi matin. En pleine crédulité, il ne m’apparaît pas comme suspect que toutes les places soient libres autour des Halles. Bigre, quel luxe ! C’est fier de moi et de cette rapide excursion concluante que je retourne à mes occupations de beuverie immuables.

Vendredi matin, aux alentours de très tôt, pas loin des Halles. J’ai cours dans moins d’un quart d’heure, mais heureusement je suis garé tel un prince parque son carrosse au Palais Royal. Soudain, coup de poing dans la tronche : plus de bagnole. À la place, des cagettes de tomates et de pommes de terre. Damned, comme dirait ce bon vieux Buck Danny, pour la référence littéraire de haut vol. Et en bonus un jeu de mots pour ceux qui l’auront compris. Vade retro Raymond Devos. Ma raison obscurcie par l’alcool hier soir m’a fait perdre de vue un élément capital des soirées du jeudi soir : ne pas se garer toute la nuit autour des Halles car vendredi matin, c’est jour de marché. Étant un élève fort studieux (ou plutôt un mec qui risque le zéro pointé s’il manque encore un seul cours), je décide de remettre l’enquête à plus tard.

Ok, ma caisse est à la fourrière

Comme le but de cet article rempli de disgressions est quand même d’informer, voici la procédure à suivre dans pareille conjoncture : se rendre à l’hôtel de police muni des papiers du véhicule et de son permis de conduire. En cas de retrait pour cause de marché, il faut s’adresser directement à la police municipale, rue Victor Dumay. Là, c’est la loterie. On tombe soit sur un aimable fonctionnaire, soit sur le nouveau shérif en ville. Dans les deux hypothèses, on vous indique l’asile où votre automobile a été entreposée. Sachez que le total d’une telle étourderie s’élève à environ 150€ et que la note gonfle pour chaque jour de « gardiennage ». D’où l’utilité d’agir dans les 24 heures. Étant complètement fauché comme tout étudiant qui se respecte, et décidé à ne pas puiser dans mon budget boisson pour me sortir de ce pétrin, j’entrevois rapidement une autre solution.

Le plan est clair dans mon esprit : je me radine à la fourrière subrepticement, j’entrave rapidement le plan des lieux, je m’infiltre jusqu’à ma bagnole et je défonce le portail en m’enfuyant. À la Walter White dans Breaking Bad. Tenue noire style ninja, peintures de guerre avec l’eyeliner de ma sœur. Et pourquoi pas des lunettes à vision nocturne. Le moment est venu de mettre en pratique des années d’apprentissage des techniques d’infiltration de Metal Gear Solid. Who gon’ stop me, huh ? Bordel, j’hallucine complètement. Je ressens enfin les effets de ce bâton de colle que j’avais sniffé au collège il y a une dizaine d’années. Le bad trip du junkie shooté à l’UHU qui débarque à la fourrière pour s’enfuir avec sa bagnole. Dans mon esprit c’était plus Jack Bauer, là c’est carrément Las Vegas Parano. Et pourquoi ne pas y aller en jupe et en décolleté pour aguicher le gars de la fourrière, tant qu’on y est.

Halles

Bon, tant pis pour mes rêves d’action et d’adrénaline, on va la faire à l’ancienne. Carte bleue, check. Pour ceux que ça intéresse ou qui prévoient éventuellement de se faire embarquer leur tire, sachez que les chèques ne sont pas acceptés. Merde, ça aurait été trop beau que je puisse l’enfler avec un chèque que ma banque aurait refusé, vu que mon compte bancaire représente un découvert encore plus en expansion que l’Univers. Un mec a déjà dû le tenter et ça a rendu méfiant ce Cerbère des tas de ferrailles. Putain, je ne suis jamais le premier sur les bons coups. Comme pour épouser Natalie Portman, il a fallu qu’un mec passe avant moi. Quelle vie de merde, célibataire et piéton. Bon, allons au moins remédier à une de ces deux situations.

Carte bleue, chien de garde et politesse

Un p’tiot tour en bus et me voici devant la fourrière. C’est là que je me rends compte que mon plan initial était quand même pas mal halluciné. En fait, il s’agit d’un garage commun genre réparation de bagnoles, sauf que le mec habite à l’entrée. Le parc de la fourrière, au fond, est ensuite protégé par trois portails et un clebs pas du tout sociable, comme dans les films. Là, j’entrevois tous les dangers potentiels que j’ai évités : me faire croquer le derch’ par Médor, me faire tirer dans la tronche au fusil par Gégé le garagiste, exploser mon pare-chocs dans le premier portail, le ventilo dans le deuxième et enfin le bloc moteur dans le troisième. L’enfoiré de vicieux a tout prévu, il y tient vachement à ses cent balles.

Puisque toute résistance est inutile, allons-y gaiement. Je me pointe comme une fleur, avec le papier que m’a remis l’aimable agent de police municipale, et donc la fameuse carte bleue. Je retrouve Gégé (ou quel que soit son patronyme) derrière son comptoir, prêt à me saigner. Ou plutôt prêt à faire cracher mon banquier, avec qui j’ai un accord tacite (qu’il ignore mais chut) pour creuser toujours plus ce puits sans fond qui me sert de compte en banque. À défaut d’être le Jack Bauer dijonnais, je pourrais au moins en être le Bernard Madoff. Who gon stop me, huh ? (bis) Peut être la Banque de France qui essaie de me black-lister. Bref.

Je demande quand même à Gégé si ça lui arrive souvent d’embarquer des bagnoles le jour du marché ou si je suis le seul manche à me faire avoir. Le bougre m’avoue que le biz tourne à plein régime. Allez avoue sadique, tu prends ton pied. Fais-moi signer avec mon sang, je sais que t’en meurs d’envie. Je crache le flouze, environ 120€ finalement. C’est plus très clair dans mon esprit. Mémoire refoulée, tout ça. Ou la consommation d’alcool frénétique qui détruit mes neurones. Ensuite, je vais dans le fond de la cour où je trouve ma bagnole, encore plus belle qu’au premier jour. Les retrouvailles sont émouvantes et passionnées. Putain, je suis célibataire depuis trop longtemps, je deviens un mec grave louche.

Cerise sur le gâteau : le topic sur le pare-brise. Les Kinder surprise, c’était mieux avant. Encore une trentaine de balles à lâcher à ce cher Trésor Public. Inutile de traîner plus longtemps dans ce lieu de perdition. On m’ouvre la grille et je sors sans encombre. Mais aussi sans gloire. C’est décidé, j’arrête de boire.

– Loïc Baruteu
Photos : Alexandre Claass

*NDLR : depuis la rédaction de cet article, l’auteur séjourne en Russie où il se met grave cher à la vodka locale.