On continue les festivités en compagnie d’un public semi-excité à l’idée de recevoir une nouvelle dose de gloubi boulga expérimental dansé qui l’effraie autant qui l’émerveille, à l’instar des escargots bourguignons projetés sur la façade du Palais des Ducs à Noël. Cette deuxième semaine, les propositions Art danse étaient placées sous le signe de l’implosion des sens.

Mes autres – One / La vue / Le toucher

Mercredi 21 janvier. Deux atmosphères bien singulières éveillent les deux premiers solos donnés à l’atheneum. Le public est physiquement séparé de la danseuse, ou devrais-je dire, des danseuses d’une part (qui n’en est qu’une donc puisque c’est un solo, mais clairement cette dame est plusieurs…) et une atmosphère de communion dans la magie du cercle pour One, d’autre part. Art danse, le festival dans lequel les danseuses fliquent leur public aux spots lumineux et viennent se lover dans ses bras dans la même soirée. Une soirée positionnée entre distance de soi – de ses moi – et rapprochement des autres. Une icône nue versus un totem de chaleur humaine où le spectateur a dû, quelques heures durant, s’immerger lui aussi dans deux états extrêmes qui vont au-delà du choix entre une Chouffe et une Duvel à l’happy hour des BerThom.

Sylvie Pabiot, dans Mes autres, semble entourée de ses consciences lumineuses qu’elle aime éteindre, balancer, contourner, analyser. Le tableau d’un esprit et surtout d’un corps qui s’inscrivent et se lisent sous de nombreux angles. La magie d’un corps qui disparaît et réapparaît dans un ballet d’éclairages subtilement mené pour Guillaume Herrmann, magicien de la scénographie et de la mise en lumière à qui on a envie de demander d’éclairer la surface du monde tellement les plis de ce corps nu prennent des airs de corps en plastique modelable hors du temps, possible par le seul jeu de l’intensité lumineuse. Quand ce dernier ne disparaît pas pour réapparaître à l’autre bout de la scène. Deborah Lary, la gourou du bien être, a su prendre le relai dans un contexte où il ne manquait plus que les effluves d’huiles essentielles relaxantes pour sombrer malgré son air finaud  légèrement oppressant. Dans One, la danseuse se positionne en détentrice d’une science du bonheur qu’elle seule semble maîtriser et dont elle ne nous révèle qu’une partie pour nous faire languir malicieusement.

Im-posture / L’ouïe

Lundi 26 janvier. Un des spectacles de l’expérience Haarmat de Fabrice Lambert, tout un concept qui mérite d’être étudié pour savoir dans quoi on met les pieds. Car c’est vrai, Art danse ne fait pas dans le pré-mâché, à bon entendeur d’aller chercher un peu plus loin que le bout de son nez. Pour vous la faire simple, l’expérience Haarmat est une sorte de laboratoire de recherche conduit par Fabrice Lambert depuis 2000 qui mélange plusieurs styles de pratiques artistiques et de personnalités au service de l’exploration des phénomènes et des mouvements.

On nous avait promis les Doors, sans surprise, This is the end ouvre le bal non sans rappeler la scène d’ouverture d’Apocalypse Now. L’intérêt soulevé par Lambert dans ses travaux se retrouve poétiquement dans le contraste des deux gabarits que l’on finit par comprendre de manière plus glauque en tant que gabarits à taille humaine pour l’expérience de coûture sur peau instaurée en parallèle. Moment haletant pour les danseurs comme pour le public, la musique va crescendo jusqu’à faire pâlir d’envie les malheureux repartis sans pass pour le Hellfest : DO-SAGE les mecs. Les deux corps masculins se meuvent à terre dans un roulement, drappés dans les rideaux de velours rouge, explorant les poses du cinéma lit-on dans le programme. Alors oui, parce qu’on n’est pas tout à fait nihiliste de l’art, on aime les références artistiques et réfléchir sur des thèmes qui sont au cœur de nos sociétés, mais parce que l’art c’est pas la Poste non plus, on pose notre droit de veto sur la manière didactique dont est amenée la chose : je balance les Doors donc j’établis tel rapport au cinéma… J’utilise aussi un rideau de velours rouge pour être sûr que l’on saisisse de quoi on parle et rebelotte avec Happy birthday Mr President ; les références concrètes ne sont sans doute pas assez finement amenées et dénotent surtout car confrontées à cette performance totalement abstraite de coûture sur peau retransmise en live. La mise en abîme est surenchéri d’une performance vocale de l’un des danseurs, un joyeux mix dont seule Ágatha Ruiz de la Prada s’essayerait à raccommoder les morceaux. La mise en regard du star system face aux scènes très fortes d’incarnation contemporaine de corps sans organe est visiblement difficile à avaler pour un public non averti. Pourtant, la notion plus scientifique d’accident intégral de Paul Virilio à l’origine de la pièce traitée seule aurait suffit à nourrir le spectacle. En somme, un spectacle faussement grand public qui mérite d’être appréhendé avec recul pour être digéré comme il se doit.

Mes mains sont plus âgées que moi / Vas consulter

Jeudi 29 janvier. Les instants de latence, c’est bien. Ça prend le temps de poser le décor, bon, ici, pas de décor ; de repérer les danseurs et leurs costumes, idem, choix de costumes sommaire, habits de ville dans les mêmes tons ; d’analyser le faciès des danseurs, à la rigueur. Une introduction toute en silence et en immobilité qui annonce la couleur, il va falloir être patients, ce que le thème alléchant des actes « meurtriers » condensés nous aide à contenir mais enfin le spectacle dure 50 minutes, il faudrait peut être songer à s’y mettre !

Les quelques notes de piano jouées pour accentuer les tensions corporelles tardent à venir. Elles accompagnent en contretemps les mouvements des danseurs et assurent l’effet de surprise quand elles se font entendre, certains spectateurs s’amusant même à trouver le moment où retentirait la suivante. Elles ne prendront forme qu’en fin de pièce.

Chaque scène recouvre des allures de pose photographiée où la lenteur se justifie par la sincérité exacerbée de l’acte retrouvé. L’enchaînement entre les scénettes est quant à lui rapide dans le souci de balayer les malaises de la situation précédente des personnages ce qui théâtralise le tout. D’ailleurs, rancoeur et rejet se lisent sur les visages des trois danseurs, qu’on devine aisément issus d’une formation de comédiens. La promesse annoncée est tenue, fidèle projection des tragédies meurtrières de l’histoire, celle du pays de Danya, le Liban, mais aussi la petite histoire, la nôtre, celle qui affole les médias et nous assaille de barbarie quotidienne. En cela on apprécie l’ancrage réussi dans notre époque souvent périlleux à maîtriser. Revenir sur ses actes tout en perversion est traité de manière mesquine, parfois cruelle dans le rejet des corps. Mais le véritable corps du spectacle est ce final magistral, d’un second plan fait de retour sur l’acte, de tentative de pardon, où Danya Hammoud, enlassant sa partenaire, regarde malaisée les tortures que cet homme, interprété par Mounzer Baalbaki s’inflige, leur inflige, nous inflige. Cet homme aux pulsions concentrées dans une catharsis réalise une performance où l’arrêt de la musique en passe d’imploser s’éteint dans le bruit de ses soliloques corporelles. Un Charlie Chaplin torturé qui se condamne avant de clore pertinemment le spectacle. De quoi laisser aux danseurs expérimentés l’envie de s’essayer au périlleux exercice de tensions proposé lors du stage pratique du dernier samedi du festival.

– Marie-Pierre Baudier
Photo : DR (« Mes mains sont plus âgées que moi », Danya Hammoud)