À l’heure où l’on célébrait la percée du vin jaune, la galerie-appartement Interface clôturait le mois de janvier par l’inauguration de son exposition Monuments pour la société cauchemardesque, société aussi pernicieuse qu’une réalité cuitée, dont on ne veut pas mais dont on abuse.

Les deux grands ados Antoine Nessi et Paul Paillet, sortis des beaux-arts de Dijon il y a maintenant quelques années, se retrouvent à l’appartement galerie pour couler du bitume, faire du plâtre, sculpter, poncer les monuments d’une société cauchemardesquement utopique qu’ils cogitent loin des regards. C’est pourtant d’abord le blanc qui domine la première pièce consacrée au travail de Paul Paillet, désormais roi du pétrole mais aussi designer torturé qui ressasse ses souvenirs de mobilier familial et non loin de repenser l’éclairage de l’appartement par ses appliques en plâtre qu’il revisualise de ses années d’internat. La pièce recouverte d’une moquette douillette impose the big one, le monument pour la société cauchemardesque à côté duquel même la cheminée d’époque cohabite sans broncher.

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S’ensuit la massive table en bois entièrement réalisée par Antoine Nessi, recouverte de phallus à pics, d’objets de torture en tous genres, de pièces de jeux d’échec plissées, sculptées dans la masse de plâtre et de polystyrène. Les fantômes, thème récurrent de l’art contemporain, sont ici réunis au sommet. Ce sont les ghosts d’une société qui n’a rien à envier à la réalité sordide – ou peut-être ceux d’une dictature sans nom – qui viennent taquiner les propres fantômes de l’appartement du XIXème siècle.

Une statuette sans tenue, commande d’une entreprise à Paul Paillet, s’ignore au coin du couloir. Elle est le cadeau de départ en retraite des ouvriers, née d’un rien de bronze contre un fort pourcentage de bitume jaune, matériau du gros œuvre utilisé lors de la construction du tram, de quoi s’assurer une retraite lourde d’amertume.

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N’oubliez pas de prendre l’air dans la cour si l’envie vous en dit d’enterrer vos vieux démons auprès du prototype de cercueil militaire imaginé et réalisé par Antoine Nessi. C’est en descendant dans les ténèbres de la cave que toute la trame s’éclaire. Sur le chemin, une petite maison en bitume fondu, inspirée de celle de Dan Graham projette un habitat-miroir où la vie est perçue en négatif, où espace privé et public se confondent.

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Une série de dessins s’emploie à révêler les plans des différents monuments, cercueils, voiture présidentielle et personnages possibles tels que Mr Potence. Ici, même les super héros à la jambe de bois ont leur place pour incarner la beauté ténébreuse des pulsions malsaines. On ne peut que mieux apprécier la lourdeur de la tâche lorsque l’on sait que les grosses pièces ont été réalisées sur place, odeurs de bitume encore présentes à l’appui.

Bien que les deux compères nous affirment ne pas bosser pour IKEA funérailles ni pour une société de pompes funèbres, le décor est planté jusqu’au 7 mars au manoir provisoire d’Interface, à vous d’y construire votre propre scénario.

– Marie-Pierre Baudier

Photos : galerie Interface (12 rue chancelier de l’hospital / Dijon)