La palme d’or cannoise d’Audiard a des accents d’actualité. L’histoire de trois réfugiés qui fuient un pays en guerre, le Sri Lanka. Sauf que la traversée se passe bien pour eux et qu’ils atterrissent dans une bonne vieille banlieue française comme on n’en n’avait pas vue depuis Kassovitz.

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Il y a plusieurs histoires dans Dheepan. La première c’est celle de trois personnes, isolées, que rapproche le besoin de quitter le pays. Pour se faire ils ont besoin d’être une famille. Les causes du départ de Dheepan sont suggérées. Pour sa future femme et sa fille, aucune, si ce n’est que l’on comprend l’urgence à quitter un pays en guerre. Une seule séquence souligne la difficulté à rester dans leur nouveau pays. Il faut inventer une nouvelle histoire face à un bureaucrate mignon mais qui se fait gentiment berner. Rien de plus ne sera dit sur la difficulté à entrer dans un pays, à s’y acclimater. Tout ce ramdam autour des réfugiés au 20h, c’est un peu de l’esbroufe. Au final, ce n’est pas le sujet d’Audiard.

Arrivée en France, Dheepan se retrouve donc concierge dans un immeuble de banlieue, sa femme aide-ménagère pour un vieux monsieur qui ne dit plus rien et sa fille collée dans une classe de primo arrivant. Émerge alors une seconde strate de film, un ailleurs que l’on ne soupçonnait pas forcément dans les premières minutes du film. L’enjeu pour cette fausse famille va être d’en devenir une vraie. Ce couple de nécessité pourrait finir heureux. Cette petite fille dont aucun des deux ne veut vraiment, pourrait trouver dans les bras de l’un ou de l’autre, un peu de chaleur. Les corps se rapprochent ; Dheepan offre des fleurs, Dheepan veut faire un cadeau, Dheepan mate en douce. C’eut été la plus belle surprise du film de continuer sur ce créneau. No way : Audiard va bifurquer encore une fois.

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Il tente alors le reportage de banlieue, cette banlieue grise et sombre, dont l’horizon est bouché, dont les cages d’escalier sont squattées par les dealers et des caïds (parfait Vincent Rottiers). La banlieue que d’aucuns auraient voulu au kärcher. Cette voie n’est pas celle de la rédemption pour le film. Et la séquence finale non plus.

Changement de registre. Les vieux démons de Dheepan le poursuivent, cette guerre perdue, il va la rejouer sur le terrain de la banlieue, dans une sorte d’assaut final à la Rambo pour cette fois sauver celle qu’il aime et racheter la disparition de sa femme et de sa fille. Mais à la finesse du jeu, à la pertinence, souvent, des choix de mise en scène (le fondu enchaîné de la séquence du départ en bateau et de l’arrivée en France est une petite perle), succède cette avant-dernière séquence lourde, appuyée, pataude, à la limite du ridicule, politiquement et moralement contestable, tout du moins interrogeable. Et je ne parlerai pas de cette dernière image d’Epinal, convenue et kitsch. J’ai dit non.

Dheepan le personnage est juste, comme souvent ils le sont chez Audiard. Mais le cadre scénaristique ne semble pas dans ce film pouvoir le porter ailleurs que dans une forme hybride un peu bâclée. La réalisation est toujours aussi maitrisée, comme la direction d’acteur qui fait du réalisateur l’un des plus forts dans ce domaine depuis pas mal de temps. Mais soyons honnête : la palme de cette année récompense plus un réalisateur, qu’un film.

– Melita Breitcbach