Vu le cursus du bonhomme, on aurait presque pu parler de n’importe quoi dans cette interview. François Bégaudeau écrivain, scénariste et acteur dans Entre les murs [réalisé par Laurent Cantet, palme d’or au festival de Cannes 2008], François Bégaudeau chanteur de punk, François Bégaudeau amateur de foot et plus particulièrement du FC Nantes, François Bégaudeau à la plage, François Bégaudeau à la montagne. Bref. On a commencé par François Bégaudeau auteur de théâtre, le garçon ayant écrit une pièce intitulée La Devise, mise en scène par Benoît Lambert, directeur du Théâtre Dijon Bourgogne, et jouée dans un paquet de lycées à travers la Bourgogne au mois d’octobre. On nous avait vendu un François Bégaudeau hautain, méprisant et arrogant. Et c’est un mec plutôt sympa qui nous a répondu sur sa pièce, sur NOFX, et sur son clash avec Philippe Val. Entretien fleuve.

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C’est parti. Déjà, tout simplement, comment ça va ? Hier (l’entretien a eu lieu vendredi 9 octobre), on vous a vu dans le public pendant la représentation. Vous avez trouvé ça comment ? On imagine que ce n’est pas la première fois que vous voyez la pièce…

La première fois que je l’ai vue, c’était hier après-midi, tout simplement, avec un public purement scolaire, des gamins du lycée Hippolyte Fontaine. Le soir même, devant des adultes, l’ambiance n’était pas la même. Moi, je suis plutôt content du truc. En même temps, je n’avais pas trop de crainte, parce que je connais bien Benoît. On a beaucoup réfléchi ensemble à la pièce. Je connais bien les comédiens, donc je sais ce qu’ils sont capables de faire. Ils ne m’ont pas déçu. J’ai l’habitude de dire qu’ils « vendent » bien la pièce, mais ils n’aiment pas que je dise ça. Ça fait trop marketing, trop rentabilité capitaliste (sic). Mais quand même, je pense qu’il y a des répliques qu’il faut essayer d’optimiser, pour parler encore un jargon libéral. Et je trouve qu’ils font monter la pièce. Là-dessus, c’est assez réjouissant pour l’auteur.

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce texte, et à en faire un texte théâtral ? La nécessité ? Le besoin ?

À la base, c’est une commande. Ça se fait beaucoup dans le théâtre et dans la littérature en général. Benoît Lambert, directeur du TDB, avec qui j’ai déjà bossé et avec qui je suis pote, m’a demandé, en janvier ou février dernier de réfléchir à une forme courte pour deux comédiens. Une heure. Jouable partout. Ce qu’on appelle une « petite forme », très souple, avec peu de décor. On était dans le bain de l’époque, post-11 janvier. La pièce devait tourner autour des questions de République, sur comment on peut faire de l’éducation populaire sur ces choses-là, les valeurs… Et il me donnait comme indication possible : « tiens, ça pourrait tourner autour de la devise, par exemple. Ça pourrait être un bon prétexte, une bonne impulsion : Liberté, Égalité, Fraternité ». Je dois dire que j’ai été assez emmerdé par la commande, parce que, vraiment, le préchi-précha républicain, c’est aux antipodes de moi. J’ai réfléchi assez longtemps, et ça s’est déclenché à partir du moment où je me suis dit : « non, on ne va pas faire un pensum sur la République, on va mettre en scène deux personnes qui réfléchissent à comment est-ce qu’ils pourraient faire un pensum sur la République ». Et ça, ça a été très libérateur. Du coup, ça permettait de « mettre à distance » les valeurs.

Alors pourquoi est-ce que vous avez accepté cette proposition de Benoît Lambert et eu envie de bosser avec lui ? Qu’est-ce qui vous a rassuré dans le fait que la proposition venait de lui ?

Il se trouve qu’on a déjà bossé ensemble. J’avais écrit une pièce qu’il a mis en scène l’an dernier [La Grande Histoire, NDLR]. On est en train d’en écrire tous les deux une qui sera créée ici dans un an. On est très complices, même si on se connaît depuis pas si longtemps, 4 ou 5 ans. Mais ça a été un peu une rencontre, comme on dit. On est devenus très potes, d’autant plus qu’on a une conception du théâtre assez proche. Ça nous intéresse de réfléchir un peu à « qu’est-ce que ça pourrait être un théâtre politique, avec des enjeux politiques ? ». C’est pas obsessionnel, mais c’est une des questions communes. Et donc quand Benoît me demande de bosser sur La Devise, évidemment, tout de suite, je lui dis oui, parce que ça fait partie de la complicité qu’on peut avoir. Et puis j’avais toute confiance en lui après pour mettre en scène ça exactement dans l’esprit dans lequel je l’avais écrit.

Votre pièce elle pourrait s’appeler, ou être sous-titrée, « les pieds nickelés hussards de la République », quelque chose comme ça. La pièce met en exergue une espèce de décadence d’une époque, la nôtre. Est-ce que vous pensez, du coup, que le principal danger de la République c’est elle-même, c’est cette décomposition ?

Je ne sais pas si l’époque est décadente, ça mériterait grande réflexion. Parce qu’en plus, c’est un mot compliqué « décadence ». Mais il me semble que ce qui caractérise l’époque, c’est une sorte de « démangeaison républicaine ». C’est vraiment monté en puissance depuis une quinzaine d’années, avec une forte accélération depuis 4-5 ans, et hyper-accélération dans la séquence « 11 janvier ». On a affaire à un pays qui se raidit, un peu, sur ce qu’il appelle « ses valeurs ». Derrière, moi, je fais un espèce de travail de « salubrité lexicale ». C’est à dire que tous ces mots que l’on se repasse en permanence, et qui seraient, visiblement, au fondement de notre république, si on les regarde près, ils ne veulent, en soi, rien dire. Bon, « Liberté », on ne va pas le jeter à la poubelle, mais vraiment, il ne suffit pas. Une fois qu’on a dit « Liberté », on n’a rien dit. On commence à penser, et à faire notre exercice de citoyen et de démocratie à partir du moment où on essaye de donner un contenu réel à la notion de Liberté. Et là, ça divise. Le côté « unité républicaine derrière les valeurs », bah ça marche pas. C’est évident qu’un libéral ne mettra pas le même contenu, pour le mot « Liberté », qu’un marxiste. La Fraternité, n’en parlons pas… D’ailleurs, dans la pièce, ils sont très très embêtés. Moi je trouve que c’est à la fois un mot qui est très beau et en même temps très creux. Évidemment, l’opération un peu « de gauche » de la pièce, c’est de mettre au centre l’Égalité. Ça me paraît être la seule des trois notions qui me semble un peu subversive, quand même.

« Liberté, Egalité, Fraternité, en soi,
ça ne veut rien dire
 »

Formellement, La Devise, c’est une espèce de farce, en tout cas, une comédie. Vous aviez  besoin de passer par ce mode-là pour faire passer des choses ? On a l’impression, même si on a un peu l’habitude avec Benoît Lambert, qu’au moment où ça rit le plus, au moment où on est le plus dans la farce, c’est là qu’il faut écouter. C’est là que se disent les choses les plus intéressantes, les plus intelligentes. Vous aviez besoin de ce mode-là pour faire passer ce que vous aviez envie de dire, d’écrire ?

Je pense qu’avant toute chose l’affaire du comique, c’est une affaire de tempérament, avant même d’en faire une explication théorique, de la nécessité qu’il y aurait à mettre du comique dans ce projet-là. De toute façon, j’ai un tempérament, et Benoît aussi, on se retrouve beaucoup là-dessus. Le comique, ça fait pour moi partie intégrante de l’écriture. Ça se retrouve d’ailleurs dans à peu près tout ce que je peux faire. Là, il y avait peut-être encore plus nécessité de tirer les choses à la comédie, parce que, précisément, toute la pièce est construite sur « comment surtout ne pas faire une pièce didactique chiante ? Comment ne pas faire en sorte que ça soit du théâtre qui prêche ? ». Alors là, effectivement, il faut tout de suite mettre des contrepoints, et le contrepoint il est comique. Et puis ce sont des vieilles affaires. Benoît et moi, on fait partie des derniers théâtreux qui nous référons un peu à Brecht. Et il y a des choses très intéressantes chez Brecht. Parce que l’image qu’on en a, un peu de loin, c’est un espèce de mec du théâtre didactique. Allemagne de l’Est. Marxiste. Bon bah oui, mais Brecht, c’est la fête, tout le temps. Il y a des chansons. Il avait très très vite compris, Brecht, mais je pense que c’est aussi une nature chez lui, que la politique n’était pas forcément adossée à du sérieux. Au contraire, l’exercice de la démocratie, c’est joyeux, c’est vivant et c’est fantaisiste. Donc je vois pas comment est-ce qu’on aurait pu faire autrement que ça.

Du coup, presque en contrepoint, qu’est-ce que vous répondez à ceux qui disent que, avec les références foot [tennis, en réalité, avec Coupe Davis, NDLR], The Voice, avec le cynisme apparent, aussi, qu’il y a dans la pièce un côté démago ? Qu’est-ce que vous leur répondez ?

Avec la Coupe Davis, je fais une parodie. Le comédien dit : « bon, il faut que je me mette dans l’état d’un type qui aurait très envie de parler de la Devise ». Sa partenaire lui répond : « ouais, ouais, t’es un comédien, donc mets-toi en état ». Et là je parodie un peu les réflexions que se font parfois les comédiens, quand ils disent qu’ils ont besoin d’avoir la carte d’identité du personnage, de se demander « quel a été son mythe fondateur ? ». Et je me fous de la gueule de ça en disant « eh ben ton mythe fondateur, c’est la défaite de la France en Coupe Davis en 1994 ». L’autre répond « ok, d’accord, je vais prendre ça ». Voilà, ça, c’est pour me moquer un petit peu de l’Actor’s Studio, on va dire. Mais la démago… bon, pour moi, c’est le degré zéro du commentaire. Au moment où il est question de The Voice, si on veut parler précisément des choses, c’est que la comédienne imite une jeune, elle la caricature. Elle simule une question qui pourraît être posée par la salle de lycéens, et donc elle a un chewing-gum, elle a un peu une voix de pétasse, et puis elle dit « et par ailleurs je regarde The Voice et j’ai un tatouage ». Voilà. Point. C’est pas Bégaudeau, l’auteur qui met The Voice dans son spectacle pour faire jeune. Par ailleurs, il se trouve que je regarde cette émission. Pour moi, la démagogie, c’est quand on se force à faire semblant d’adopter des affects pour séduire un public donné, alors qu’on n’a pas ces affects-là. Moi, je suis pas démago quand je parle de The Voice, puisque je regarde.

« Moi, je suis pas démago quand je parle de The Voice, puisque je regarde » 

On va aussi parler musique, et même un peu posture. On ne va pas parler forcément tout de suite de Zabriskie Point, mais on va faire un petit détour par un groupe que vous citez dans votre bouquin Au Début. À un moment, à votre personnage, vous lui donnez un côté « fan de NOFX », et notamment du morceau Linoleum qui commence avec ces phrases :

Possesions never meant anything to me
[Les possessions n’a jamais rien signifié pour moi]
I’m not crazy ( cause I got none )
[Je ne suis pas fou ( parce que je n’en ai pas )]
Well that not true : I’ve got a bed and a guitar
[En fait, ce n’est pas vrai : j’ai un lit et une guitare]
And a dog named « Dog who pisses on my floor »
[Et un chien qui s’appelle « Le chien qui pisse sur mon plancher »]
That’s right, I’ve got a floor
[C’est vrai, j’ai un plancher]

Est-ce que, finalement, le plus important pour vous, c’est la posture ?

Oui, c’est vrai, dans cette chanson, il dit tout ça, mais après, il dit « So what ? So what ? So what ? » [Et alors ? Et alors ? Et alors ?]. Est-ce que vraiment la radicalité politique de quelqu’un va s’évaluer, disons, au nombre de mètres carrés qu’il possède ? Je ne crois pas. Donc il a raison Fat [Mike, chanteur de NOFX, NDLR], de dire tout simplement « les gars, le problème est pas là ». Lisons les paroles de Fat Mike, voyons comment le groupe NOFX s’est comporté, politiquement. Voyons comment ils ont inventé un système de production autonome. Voyons comment Fat Mike a toujours été extrêmement loyal, économiquement, avec les mecs de Fat Wreck Records [label DIY punk-rock américain fondé en 1990 par Fat Mike et son ex-femme. Un des plus gros labels indépendants aux États-Unis, NDLR]. C’est ça, qui est important : c’est comment tu te comportes vraiment avec les gens dans le système de rapport de production. Fat Mike a sans doute plein de défauts, mais vraiment, j’ai pas grand-chose à redire. Mais c’est vrai que c’est un groupe qui a toujours été un peu… Je me souviens, on avait des débats dans les années 90. On nous disait : « ah bon, vous adorez NOFX, c’est quand même des Américains, c’est le grand capitalisme… ». On leur disait : « mais vraiment, les mecs, écoutez d’abord, prenez acte de l’événement esthétique NOFX. Et puis surtout, voyez ce que fait Fat Mike en termes de production. »

Et vous vous y retrouvez dans ce côté « regard second degré » que peut proposer un mec comme Fat Mike?

NOFX, quand ça nous est tombé dessus – on l’a découvert, comme beaucoup de gens au moment de l’album Punk in Drublic, en 1994 –, c’est ce qu’on attendait. Pour moi, c’est ça le punk. C’est à dire à la fois de l’émotion, une grande qualité musicale, et puis beaucoup de dérision, beaucoup d’auto-dérision, beaucoup de trivialité. Une clownerie. Et c’est tout. Et puis, il n’a jamais cessé. Et ensuite, là où NOFX a pris à revers tout le monde, c’est qu’ils étaient considérés comme un groupe plutôt sous-politisé par rapport à d’autres comme Minor Threat et la scène hardcore des années 80. Sauf que, qui est-ce qui a fait Rock Against Bush en 2004, c’est lui [Fat Mike est à l’origine de ces deux compilations de groupes de Punk visant à inciter les jeunes à voter contre George W. Bush sous l’étiquette Punk Voter. On y retrouve des groupes comme The Offspring, Foo Fighters, Rancid ou encore Bad Religion pour ne citer qu’eux]. Donc là, il a fait un pied de nez à tout le monde : « les gars, vous voulez que je fasse de la politique ? Eh ben, je vais faire ça ! ». Et il a fait de la politique mieux que tout le monde. Et puis après, il faut lire les paroles, notamment celles d’un morceau comme The Decline, ce sont des paroles éminemment politiques. Je vais écrire un livre sur lui, donc vous tombez bien, je suis en train de brouillonner un livre sur NOFX.

« Je vais écrire un livre sur
le groupe de punk NOFX »

Parlons de Zabriskie Point. Vous parliez tout à l’heure d’auto-dérision, et dans les morceaux enregistrés par le groupe [et dont les paroles et le chant sont de François Bégaudeau], il y en a un un peu emblématique, c’est Intellectuel de gauche :

[…]
J’ai lu tout Sartre, j’ai vu tout Godard
je parle de Picasso accoudé au comptoir
j’ai des idées des convictions de fer
Je suis de tous les meetings de tous les colloques
mais je ne suis d’aucun parti ni d’aucun bloc
j’ai des idées, comme Gaston Deferre
Je suis un intellectuel de gauche
[…]

Vous êtes un espèce de punk devenu écrivain, mais est-ce que Intellectuel de gauche, c’est un peu vous aujourd’hui ?

Déjà en 92 ou 93, quand je l’écrivais, je le voyais comme une façon d’exorciser ce qu’il pouvait y avoir en moi d’intellectuel de gauche. Je lisais des livres, et j’étais de gauche, et puis j’aimais bien parler au café, comme je le dis dans la chanson. Je pontifiais un peu sur tout. J’avais 20 ans. Après, ce que moi, j’appelle un intellectuel -et c’est pourquoi je n’aime pas ce mot-, c’est quelqu’un qui n’apparaît plus publiquement que pour délivrer des opinions. En fait, c’est un donneur de leçons. On les connaît les intellectuels. Ils peuplent les médias, etc. Moi, à un moment, dans ma carrière… en tout cas dans ma vie d’écrivain, j’aurais pu devenir un intellectuel. Vraiment. J’étais très sollicité par les médias pour toujours donner mon opinion sur les choses. J’étais un peu « le mec de gauche », quoi. Je l’ai un peu fait. Mais je l’ai très peu fait. J’ai très vite arrêté. C’est une posture dont on se moquait dans les Zab’ [diminitif de Zabriskie Point, NDLR]. Le côté auto-dérision venait beaucoup de la posture « je vous explique un peu la vie du haut de la scène ». Nous on trouvait que le punk, c’était d’abord un truc de fun, musical, et on était pas là pour faire des prêches en public. Donc, c’est vrai qu’on se foutait de la gueule de certaines postures anarcho-punk par moments. Mais je regrette un peu, parce qu’ils étaient quand même super, ces gens. Mais on les a un peu titillés.

Les albums de Zabriskie Point ont été réédités en 2009 par le label les gens de l’occident. Vous étiez pour ?

C’est la bande de Guerrilla Asso qui a fait ça. Ce sont un peu nos continuateurs. Ils nous ont demandé « on voudrait rééditer, ça vous va ? ». On a dit « ouais ». ça rendait de nouveau disponible les trucs. Franchement, ça a été deux mails. Je sais pas trop si ça s’est vendu.

Vous êtes content d’avoir comme point commun avec Robert Hue d’être un ancien communiste et d’avoir joué dans un groupe de rock [Robert Hue a joué dans le groupe de rock Les Rapaces à la fin des années 50] ?

Ah oui, c’est vrai qu’il a joué dans les Rapaces ! C’était beaucoup mieux que les Zab’. Mais contrairement à lui, je suis pas un ancien communiste, parce que moi, je suis toujours communiste. Alors que lui, je sais pas trop où il en est. Il est plutôt social-démocrate.

Récemment, vous vous êtes plutôt rapproché des mouvances libertaires.

Oui, mais pour moi, communiste et libertaire, ce n’est pas du tout incompatible. Si on rentre dans le détail, il y a toujours eu un débat un peu heurté entre les anars et les marxistes. Moi, je me sens marxiste-libertaire, donc je me sens assez pacifié par rapport à ces questions-là.


Vous parliez des « intellectuels, ceux qu’on connaît ». Il y en a un avec qui ça a récemment frité, c’est Philippe Val [ancien directeur de Charlie Hebdo et ancien directeur de France Inter] au sujet des mots qu’il a eu sur Entre les murs. Au delà du débat, c’est la manière dont vous lui avez répondu qui est intrigante : une vidéo, où vous vous adressez directement à lui. Ça fait très clash comme on peut en trouver dans le « rap jeu » à la Booba ou comme La Fouine. C’est vous qui avez choisi ce moyen de communication ?

On me l’a proposé. À Transfuge, magazine littéraire dans lequel j’écris, ils m’ont dit « mais tu voudrais pas faire une réponse ? Si tu veux, nous on te filme ». Moi je voulais pas répondre, j’en n’avais pas du tout envie, j’avais envie de le laisser dans sa merde. Et puis, j’ai réfléchi, et je me suis dit qu’il y aurait moyen de faire un truc, quand même. Alors oui, peut-être que ça emprunte au côté « rappeur qui clashe ». La vidéo dure 20 minutes [16, en réalité, NDLR], elle aurait pu en durer plus. Je lis des choses. C’est pas comme « Philippe Val, j’encule ta mère, et si tu veux rendez-vous à Roissy ». Je crois avoir mis un tout petit peu de contenu. Après, moi, fondamentalement, je me passerais bien de tout ça. J’assume, hein. Je l’ai fait. Mais moi, j’aimerais bien avoir une vie où il ne m’arrive pas de me lever à 8h du matin, commencer à bouquiner, et puis là j’ai 8 textos de copains et de moins copains qui me disent : « t’as entendu Val, ce matin sur France Inter, il parle de toi ». Voilà, c’est ça qui se passe. Moi, j’ai rien demandé… Ta gueule, Val, laisse-moi tranquille. Fais ta merde. Et après, tout le monde t’en parle. J’étais pas obligé de réagir, mais il disait tellement de contre-vérités… Bon, il y a aussi une vocation un peu comique dans le truc. J’espère être une ou deux fois drôle. Enfin, je crois. Mais j’avais pas envie de m’emmerder à écrire, pour le coup. Parce qu’il y avait un truc simple à dire en gros : « tu nous accuses d’être des angélistes, et donc je voudrais juste te rappeler qu’en 2006, j’ai écris des pages qui prônaient le fait qu’il y avait de l’antisémitisme en banlieue. Donc voilà, je vais te les lire, et puis au revoir ».

« Ta gueule, Val, laisse-moi tranquille. Fais ta merde » François Bégaudeau à propos de Philippe Val.

Dans les fameux intellectuels dont on parlait tout à l’heure, il y en a un qui a dirigé une collection dans laquelle vous avez publié un bouquin [Anti-manuel de la littérature, NDLR], c’est Michel Onfray. Quels rapports vous avez avec lui ? C’est votre copain ?

Pas du tout. On se connaît pas. Il a même gueulé. C’est vrai que c’est lui qui a inventé le concept d’ « antimanuel ». Son Antimanuel de Philosophie s’est beaucoup vendu. Et donc aux éditions Bréal, ils ont décidé de décliner le truc. Ils ont demandé à Bernard Maris de faire l’antimanuel d’économie, et à moi de faire l’antimanuel de littérature. Mais Onfray a fait un procès à Bréal, parce qu’il considérait que l’estampille était à lui, qu’il l’avait breveté, ce qui n’est pas vrai. Déjà à l’époque, j’avais mesuré à quel point ce libertaire était extrêmement autoritaire. Ça fait longtemps que je pense que c’est un faux libertaire, un faux nietzschéen… tout ce qui est en train d’apparaître en ce moment.

– Propos recueillis par Martin Caye & Martial Ratel
Photo : © E. Marchadour