La Coupe du Monde de rugby s’est achevée le week-end dernier avec un nouveau triomphe des All Blacks. Pourtant, t’as pas entendu parler une seule fois sur Sparse de ce sport de plus en plus médiatisé. T’inquiète gros, on est sur le coup.  En fait, on n’avait pas grand chose à dire sur ce sport relativement obscur à Dijon, bien éclipsé qu’il est par le foot, le basket, le hand et même le hockey. Rien à dire sur l’équipe de France, qui s’est bien plantée. Même les Anglais, éliminés chez eux dès le début, se sont foutus de notre gueule. Rien à dire sur une finale qui laissait clairement entrevoir une issue favorable pour les Blacks, ces bestiaux qui piétinent brutalement n’importe quel adversaire, en particulier la France. Du coup, on est allé voir Michel.

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Du haut de ses 70 ans, Michel a passé toute sa vie dans le rugby. À 12 ans, il débute. À 20 ans, il remporte le titre de champion de France juniors avec Dijon. Après plusieurs années en première division avec le Stade dijonnais comme demi de mêlée, il est aujourd’hui président de l’asso des anciens joueurs dijonnais et l’instigateur du Téléthon des sports. Michel est super pote avec Jo Maso, qu’il invite tous les ans à Dijon accompagné d’un ancien international français pour rencontrer les écoles de rugby, mais aussi avec « Pierrot la science » Villepreux. Il a joué contre Spanghero, Bastiat et d’autres légendes du rugby français. François Rebsamen venait le voir au Parc des Sports quand il était gamin, à l’époque où le Stade dijonnais torchait le multiple champion de France Béziers. Michel a fondé le club de Talant, a entraîné Beaune plusieurs années. Le gars est légitime pour parler de son sport. Avec son franc-parler, on a tchatché de ses souvenirs et sa vision du nouveau rugby, qui lorgne un peu trop sur la recette du foot-business pour s’imposer. Autour d’un verre, dans le bar qu’il a monté dans son sous-sol pour y accueillir tous ses potes du monde de l’ovalie.

C’est quoi comme questions que tu vas me poser au fait ?

Sur la Coupe du Monde, sur le rugby à Dijon, un peu de tout. On na pas encore parlé du rugby alors que cest dans lactualité. Surtout l’équipe de France. Et on va dire que tes quand même un expert.

Faut pas me situer comme un mec qui a des responsabilités. Ce que je pense, tu vas me dire si j’ai raison. C’est plus notre temps, c’est plus comme avant. Maintenant y a du professionnalisme, y a beaucoup d’étrangers qui ont le droit de jouer au bout de trois ans, etc. Y en vingt-huit dans certains clubs de Top 14. Est-ce qu’on peut augmenter notre savoir avec le nouveau rugby de l’atmosphère sud ? Ça, on sait pas. C’est pas évident. Y a la grosse guerre pour nommer un nouveau président : est-ce qu’on va garder les mêmes gens ? Est-ce que ça va tourner ? Y en a beaucoup qui veulent que ça continue comme ça parce que ça amène la foule mais de dire que ça fasse du bien au rugby français, c’est pas une évidence

Ça profite au championnat mais pas à l’équipe nationale ?

Jusqu’ici on entraîne les étrangers avec un Top 14 qui est extraordinaire. C’est pas facile quand t’es nouvel entraîneur (de l’Equipe de France, ndlr) de prendre les miettes qui restent. Quand t’as vingt-huit étrangers dans un club comme Toulon ou un truc comme ça, il en faut que quinze, t’en as pas beaucoup qui vont jouer, c’est pas de rester dans les tribunes que ça va arranger l’histoire. Les étrangers, eux, ils viennent dans un super championnat ; ils jouent, ça fait du spectacle, les gens viennent avec les étrangers. Ces mecs-là, ils partent un mois ou deux avant quand il y a une Coupe du Monde et leur entraîneur a juste à faire un fond de jeu. Ces mecs-là, ils sont en forme avec le championnat qu’ils ont eu en France. Nous, on prend les miettes et avec les miettes on forme un groupe. Peut être qu’ils savent les mobiliser mais dès que ça va pas, on prend quarante pions parce qu’on n’a pas de défense. C’est comme un malade qui se soigne pas.

Pourtant y a quatre ans ils étaient en finale.

Y a quatre ans on avait Lièvremont, ça avait été quand même juste. Il a eu du mal avec les journalistes, avec les joueurs, alors que c’était un très bon entraîneur. Mais les joueurs ont pas été spécialement sympas avec lui. Ah bah faut pas l’oublier. Mais lui, parce que c’est un gars extrêmement intelligent, il a su calmer le jeu sans que ça fasse de fumée et il a réussi ce qu’un entraîneur n’a encore jamais réussi en France. Parce qu’on perd que d’un point avec un arbitre qui fait vingt fautes contre nous. C’est pas des fausses fautes, c’est vérifié après par vidéo sur Internet.

Comment ça se fait que Dijon soit plus au top au rugby comme quand ty jouais ?

Pognon. Ça fait pas bien que je dise ça mais c’est fait (rires). T’achètes des joueurs maintenant. Tout est copié sur le foot. T’as vu Toulon. Le gars plein de fric, il fait ce qu’il veut, il ouvre sa caisse, tout, c’est bon. J’ai rien contre Toulon, j’y ai joué un an en cadets ; au contraire je les aime bien. À Dijon, on a joué à haut niveau. On a joué au Parc des Sports c’était plein ; on recevait Narbonne on recevait Béziers, on recevait Toulouse, on recevait tout le monde. On était dans l’élite.

Cest comme au niveau mondial, cest dans le sud quon trouve les meilleurs ?

Ah bah on était les gars du nord, ils nous appelaient. Ils allaient jouer dans le nord. Plus haut que nous y avait que le Racing Club de France. C’est tout. On était dans le nord. Ils venaient au froid qu’ils disaient.

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T’avais pas de contrat. Donc à l’époque ils donnaient de largent et ten prenais pas ? Tu jouais vraiment pour le plaisir.

Bah ils m’auraient donné encore, j’aurais rien dit mais ils m’ont laissé un peu de côté. J’ai pas réclamé. J’ai fait du vélo, j’ai fait du handball. Quand j’allais ailleurs, c’était grâce au rugby, qui me gonflait.

Quand le rugby te faisait chier tallais faire du vélo ou du handball ?

Quand on m’a refusé une visite de cave pour les 50 ans de notre titre de champion de France, c’était le fils du patron là, le fils du directeur, j’ai dit ‘ah oui il faut payer ? Ben la facture tu la donneras à ton père’. Attends moi j’ai entraîné un club à Beaune pendant quatre ans, on m’a jamais rien donné. Par contre je m’en allais quand je voulais. J’ai toujours été libre si tu veux. La deuxième division c’est la seule division que j’ai pas faite. Y a que ça qui me manque.

Tu veux pas jouer en deuxième division maintenant ?

Hey, j’ai 70 ans (rires). Hey, attends j’ai repris le vélo là. Je monte encore Sombernon et tout ça. J’ai un genou en moins quand même.

À cause du rugby ?

Bah oui, j’ai plus de ligaments, j’ai plus rien, il est un peu déformé. J’ai repris le vélo là. Je suis assez sportif, je vis comme ça.

Ça fait quoi de remporter le titre de champion ?

Ça te fait un bouquet de fleurs.

Y avait déjà la troisième mi-temps à l’époque ?

Ah bah y en avait cinq là ! On n’est pas redescendus.

C’est quand le prochain événement de ton asso ?

Le gros truc qu’on fait c’est au mois d’avril.

Y a des anciens joueurs de l’Equipe de France de sûrs, de confirmés ?

Y aura un joueur oui, y a Maso qui va amener un international. Y a peut être Villepreux qui va revenir. Il m’a dit ‘je viendrais peut être’.

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Il a bien aimé Dijon ?

Ouais ! Il a couché à l’Holiday Inn, moi j’ai des tas de copains. Ils me font pas payer ça. Alors je les loge gratuit et je les paie en bouteilles. Ils veulent pas de pognon alors on leur fait un cadeau de vignerons. Les mecs ils veulent même pas que je leur paie le déplacement parce qu’ils vivent un truc formidable dans leur soirée. Ils se retrouvent à la salle des Etats, ils visitent Dijon les mecs. Y a plein de monde, c’est rempli la salle des Etats et y a toutes les écoles qui viennent, y a tous les gamins autour d’eux. Ils font un petit discours et puis on mange le soir, ils couchent dans un grand hôtel, ils passent une bonne soirée. Mais dans la soirée il est évident qu’on leur offre un petit truc, on leur offre quelques bouteilles. Devant tout le monde, on se cache pas. En plus les vignerons ils sont tout contents. Donc tout le monde est content, voilà. Joe Maso c’est un gars qui est formidable. On a sept gars qui sont venus. Y en a un qu’était pas terrible, trop enseignant. On n’est pas là pour ça. Quand tu vois Joe, quand tu vois Cester c’est des gars décontractés. Par contre quand on nous dit ‘pourquoi vous amenez pas des gars de l’Equipe de France maintenant’, je dis ‘donnez-moi 5 000, 10 000’.

Ils veulent être payés ?

Bien sûr ! Ils ont un impresario et tout ça. Mais c’est vrai que le pognon, le professionnalisme, il nous a fait mal. Nous, notre rôle dans notre association, c’est d’aider les écoles de rugby. On leur donne des ballons, on leur donne des trucs et à la fin de l’année quand Maso vient, on donne un chèque de 500-600 à chaque école. Et quand on va les voir, chaque année on fait toutes les écoles de rugby, on leur donne une dizaine de ballons, on fait une loterie avec un maillot de l’Equipe de France, ils sont tout contents les petiots. Mais par contre, surtout, on leur laisse un message. Alors maintenant, le message devient compliqué. On n’est pas le Père Noël. D’un côté si tu veux, on leur donne des cadeaux pour les sensibiliser mais notre devoir c’est de leur donner un message pour leur vie, pour leur jeunesse. Parce que nous on voudrait bien qu’ils aient la même jeunesse qu’on a eu, on voudrait rendre ce qu’on a eu. Mais maintenant c’est plus possible.

C’est un message de leur dire faut se donner à fond’.

Voilà, faut bien travailler pour réussir au rugby, être attentif et sortir entre vous même quand le rugby est fini, vos parents sont plus en sûreté de vous savoir ensemble, etc. Maintenant je suis plus obligé de m’axer sur leur dire ‘surtout travaillez bien à l’école’. Voilà ça change un peu l’optique dans les sept-huit ans qu’on a fait parce que maintenant il y a l’histoire du pognon. Maintenant, on se sent attachés contre un ennemi contre qui on peut rien faire, c’est le pognon. C’est comme le Paris Saint-Germain. L’autre, il se sent plus. Ils sont tous après lui, vu ce qu’il donne. C’est plus du jeu, t’achètes le score. Les mecs c’est des contrats. Maintenant si t’as pas de pognon, reste calme. Pendant un moment Dijon ils avaient mis du pognon. Ils en ont eu quelques uns. Ils étaient montés au Top 16.

C’est vrai quils avaient des professionnels à une époque.

Oui mais le résultat, c’est qu’on a eu dix ans sans carnet de chèque. Et ça s’appelait plus Stade dijonnais ça s’appelait Stade Dijon – Côte d’Or. C’est le Conseil régional qui avait racheté le nom. Ils étaient forfaits, ils avaient pas payé l’URSAF, rien du tout. Coulé. Il faut un mec qui est plein de fric, un capitaliste. Tu fais n’importe quoi avec l’argent.

– Propos recueillis par Loïc Baruteu
Photos : L.B.