Lons le Saunier. Préfecture du Jura. 17 000 Lédoniens (habitants de Lons le Saunier). Son usine de la Vache qui rit, ses arcades historiques, ses thermes, sa culture rock et sa bière locale (trop chère). Et puis le lynx. Ça, c’est exceptionnel ! Même s’il est très discret, on entend souvent parler de lui. C’est vrai qu’après avoir côtoyé la jungle dijonnaise, j’avais oublié que dans la région d’à côté, la mascotte – pas pour tout le monde évidemment – est un grand prédateur. Pourquoi ?

Lynx

Pour comprendre un peu le sujet, parce que je n’y connaissais rien, rien de mieux que de poser mes questions à Patrice Raydelet, du Pôle grands prédateurs. Patrice est chargé de mission au pôle. Qui, dans les grandes lignes, a pour mission d’accompagner le retour des grands prédateurs à travers diverses actions dans le massif du Jura. Il est aussi écrivain, photographe, conférencier… Bref, il connaît bien le sujet.

Depuis quand il y a des lynx dans le Jura ?

Déjà, quand on parle du lynx, on parle ici du lynx boréal, une des deux espèces présentes en Europe (la deuxième étant le lynx pardelle). Il est classé grand prédateur, il fait environ 20, 25 kg, est haut sur pattes. Et c’est une espèce protégée. En 1971, il y a eu une opération réintroduction de lynx dans le Jura Suisse. C’est un animal qui a besoin de beaucoup d’espace, environ 100 km carrés par individu, il a donc fini par passer la frontière. Aujourd’hui, ils sont une grosse centaine dans le massif jurassien côté français. Le massif, c’est la chaîne de montagnes qui court sur trois départements en France : le Doubs, l’Ain et le Jura. En France on n’en trouve qu’ici, le massif jurassien constituant le bastion de l’espèce en France.

Alors, comment la cohabitation lynx/Jurassiens se passe-telle ?

Son retour s’est fait naturellement depuis la Suisse, cela n’a pas été imposé par l’État (pas comme dans les Vosges, où il a d’ailleurs quasiment disparu). Ça s’est fait en douceur. Et depuis 15 ans, on remarque une meilleure reconnaissance des prédateurs. Les enfants, aujourd’hui, quand on fait des ateliers de sensibilisation, montrent qu’ils connaissent le lynx et qu’ils n’en ont pas peur. On peut dire la même chose du loup d’ailleurs. Ils rigolent quand on leur demande s’ils ont peur du loup ! On commence à sortir des vieilles peurs, tirées des contes mythologiques et autres légendes. D’ailleurs, il n’y a que très peu d’écrit ancien sur le lynx. Ça l’a aidé à être beaucoup moins craint que le loup.

Le précédent président du conseil général du Jura (Christophe Perny, à l’époque, PS) a contribué à améliorer l’image du lynx. Il en a fait un symbole du département. En général, les jurassiens s’approprient la bête. On voit de plus en plus sa tête : l’Office de tourisme de Clairvaux en a fait son logo, le club de Baseball de Champagnole s’appelle les lynx… Depuis une dizaine d ‘années, il est devenu un élément de base du marketing départemental.

Ok, mais bonet avec les autres ? Les chasseurs ? Les éleveurs ?

Le lynx n’est pas trop mal perçu par les éleveurs, du fait notamment qu’il ne commet pas de gros dommages. C’est un animal solitaire, qui change régulièrement de secteur. Et il ne chasse pas plus que nécessaire. Effectivement, il y a, tous les ans, des cas de moutons qui se font manger mais dès que l’on met en place des moyens de protection (le chien est le seul moyen durable et efficace), les attaques diminuent drastiquement ou cessent complètement.

Pour les chasseurs, on reste sur l’éternel problème du fait qu’un lynx mange du chevreuil, du chamois (40 à 50 par an). S’il y a moins de gibiers (supposé être mangés par le lynx), la fédération de chasse vend moins de permis ! C’est pour « réguler » cette concurrence que la Fédération de chasse du Jura aimerait qu’il y ait un plan de chasse du lynx. Alors que c’est une espèce protégée et que la population des prédateurs s’autorégule toute seule suivant le nombre de proies sur un territoire ! C’est surtout une histoire d’argent et de politique.

Politique ?

Forcément. Comme je le disais plus haut, on a un volet sensibilisation du grand public qui marche bien, notamment avec notre festival « Vous avez dit prédateurs ? ». Nos actions sont possibles parce que nous sommes subventionnés par le conseil régional de Franche-Comté, le département et la ville de Lons le Saunier. Il y a une volonté des élus jurassiens pour le moment. Volonté qui n’est pas permanente, l’ex ex ex-Président du conseil départemental (de 1994 à 2008) et aujourd’hui Sénateur du Jura, Gérard Bailly a toujours montré une opposition forte contre les loups ou les lynx. Mais il faut aller plus loin. On n’en est pas au même niveau que le loup (qui a un statut d’espèce protégée mais qui subit des autorisations de tirs de prélèvement) mais l’avenir n’est pas assuré. On attend de rencontrer le nouveau président du conseil départemental pour voir quelle sera sa position.

– Propos recueillis par Chloé Lebert

Pour info : www.polegrandspredateurs.org