Anomalisa, film d’animation signé Charlie Kaufman, passe en ce moment au ciné Devosge. On a testé. Critique.

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Il faut tout d’abord savoir que le film est très particulier dans son apparence, puisqu’il a été tourné en stop motion, oui, comme genre Wallace et Gromit ou Chicken run. On s’attend plutôt alors à un espèce de court métrage chiant ou un film d’animation plein de bons sentiments, et on n’y est pas du tout : l’impression de réalité de l’ensemble est confondante. « Ressemblance jusqu’à la nausée », comme on dit. L’attention au détail est d’une minutie telle qu’on n’y fait presque plus attention pendant le film ; mieux, cette légère distance que permet cette forme d’animation permet plus qu’avec de véritables acteurs de ressentir de l’empathie, ce qui est du reste fort troublant, et quasi révolutionnaire en l’état : pour ma part, c’était du jamais-vu. Du reste, tout ne se jouera pas que dans l’image… De façon générale, c’est le sérieux de la vie – dans toute sa pesanteur, son ennui, et l’angoisse que cela suscite – qui va être abordé ici par le réalisateur, qui n’en est pas à son coup d’essai. Les thèmes de l’amour, déçu, névrotique, impossible avaient déjà été abordé par l’auteur. Charlie Kaufman est en effet un cas.

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Charlie qui ?

Mais si, tu connais déjà Charlie Kaufman, à vrai dire : ce n’est personne d’autre que le scénariste de films cultes comme Eternal sunshine of the sportless mind de Michel Gondry ou Dans la peau de John Malkovich de Spike Jonze. C’est à lui que tu dois au moins d’avoir trippé sur trois choses : des artifices de scenarii complètement barrés au départ, mais terriblement jouissifs et féconds à l’arrivée. Des histoires d’amour bien trop romantiques, too much -mais qui bizarrement passent- et enfin une inesthétique étonnante, souvent en décalage avec le romantisme évoqué précédemment. J’ai lu quelque part que le Gondry était « aussi beau qu’une tâche d’huile » ; le fait est que peu d’efforts avaient été déployés pour en améliorer la forme. À moins, bien entendu, que cela fasse partie du projet du cerveau malade de Kaufman, qui ressent le besoin de thématiser les environnements les plus ternes de la vie. Prochain film tourné sans le Val-de-Saône ? Sinon, pour l’anecdote, sache que son précédent film Synecdoche, New York ayant fait un total bide, il s’est fait totalement financer le film par des particuliers, donc tu verras une sacrée liste de contributeurs en fin de film.

Dans_la_peau_de_John_MalkovichContraste et anomalie

Oh, on ne sait que trop que tu as bien peur d’être « anormal », et que tu préfères te fondre dans le moule pour plaire à tes p’tits potes. Néanmoins, tu admettras que les rares cas où tu es authentiquement tombé amoureux, c’est bien qu’une singularité flagrante t’a captivé, à comparaison de laquelle toutes les autres prétendant(e)s paraissaient bien pâlot(te)s, voire identiques. C’est bien cette problématique de l’amour fou (« un seul être vous manque… ») dont il est question dans Anomalisa, entendu que cela est dépeint comme une rapport tout de même pathologique aux autres jusqu’aux plus proches, voire même ici jusqu’à l’heureuse élue elle-même, qui pourrait elle aussi avoir à en souffrir. Le protagoniste veut uniquement ce rapport à l’être unique, tout le reste lui parait méprisable. Le sentiment amoureux éperdu -mais temporaire- est appréhendé par le personnage à travers un artifice cinématographique tout bête qu’il serait vraiment trop dommage de révéler dans cet article, et l’envie de spoiler ne manque pas, tant il nous a semblé ingénieux et évocateur : encore un coup de maître de Kaufman, qui justifie et résume à vrai dire tout le film. Par ailleurs, il n’hésite pas à filmer des scènes explicites du quotidien le plus poisseux, avec un effet de réalisme vraiment étonnant étant donné qu’il s’agit d’un film d’animation, ce qui nous habitue plutôt à des contextes plus infantilisant. Ici, il s’agit bien d’un film pour adultes.

Cincinnatti every day : malaise dans la civilisation

Ce qui est passionnant dans cette oeuvre, c’est qu’elle renvoie d’une façon ou d’une autre à nos complexes de post-modernes blasés, en proie à un ennui de plus en plus dévorant, et en quête perpétuelle d’événements ; quoi de mieux que l’événement amoureux (ceux politiques et scientifiques sont encore plus rares, pour rien dire de ceux artistiques -même si en voilà un avec ce film- donne du sel à l’existence des individus massifiés et grégarisés que nous sommes. Le personnage principal du film, Micheal Stone, est censé être expert en « relation client ». Il a même écrit un best-seller à ce sujet, qu’il vient présenter dans la minable ville de Cincinnatti, l’équivalent de Belfort, en gros. Ce point de départ est celui du quotidien de chacun d’entre nous : la scène où peut surgir l’événement, la parousie du véritable amour. Mais si celui-ci ne tenait qu’à des projections fantasmatiques aussi vaines que le train-train quotidien ? Bien-sûr, dit ainsi, le film semblait un mélo dramatique de plus. Il n’est cependant pas sans touches bien senties d’humour. Un humour désespéré, reposant sur le décalage entre les attentes du personnage, la morosité et la trivialité de son environnement.

– Tonton Stéph

Tous les soirs à 20h au cinéma Devosge