Iñárittu n’a rien perdu de son envie de faire et de montrer qu’il fait. Ma première participation sparsienne avait débuté avec Birdman, ce film à la fausse prouesse technique d’un seul plan séquence qui ne disait rien d’autre que sa prétention. Iñárittu continue à tenter d’être le meilleur artisan hollywoodien. L’âge aidant, je veux bien cette année lui reconnaitre une certaine maitrise.

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Comme le titre l’indique, c’est l’histoire d’un gars qui revient (Glas), pour se venger. Il avait réussi à sauver d’un premier massacre son fils indien. Cette nouvelle escapade bucolique le laissera seul, frigorifié, pas mal amoché et surtout super motivé pour venger la mort de son fils et son propre abandon par Fitzgerald (Tom Hardy). L’argument de The Revenant est le plus simple du monde : la vengeance, rattraper celui qui l’a laissé pour mort. C’est aussi les synopsis les plus minces qui sont souvent les plus intéressants. Ici, Iñárittu ne laisse pas de côté son manuel du bon réal : gros décor, plan séquence impressionnant de la scène de bataille d’ouverture dans laquelle la caméra passe de personnages en personnages au gré des coups portés et reçus.

Une mise en scène réussie

La mise en scène alterne entre l’infiniment grand et l’infiniment petit. L’infiniment grand ce sont les contre-plongées qui accentuent l’immensité des arbres dont la cime se perd dans le ciel (et le divin) au cœur de forêts qui enferment, souvent, le personnage. Autre enfermement lors des plans d’ensemble qui nous permettent de le voir prisonnier des montages, des rivières, de la neige. L’alternance de plans horizontaux et verticaux créent une cadence rompue par la proximité et l’intimité que nous partageons avec Glas. La caméra le talonne, l’épouse presque au point de voir l’objectif embué de son haleine. Ce tout petit personnage est enfermé quoiqu’il arrive : que ce soit par la verticalité des arbres et dans un univers immense et désertique pour les plans d’ensemble ou par le cadre trop étroit.

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Ce qui fonctionne par ailleurs très bien dans le film c’est ce personnage qui renvoie à la tragédie grecque, au destin inéluctable, à la vengeance qui se mange froide, très froide et qui ne sera assouvie que dans la mort. L’artifice final lui-même (regard caméra) nous renvoie à cette universalité, à ce que nous aurions fait ou pas, à ce qu’il advient ou pas après la vengeance. Le personnage est-il véritablement plus serein ? Qu’a-t-il accompli au final ?

« On est tous des sauvages »

Visiblement habitué au submersible, Leonardo boit la tasse et mange de la terre, sans être dans la démesure. Lui aussi grâce à son jeu est à la fois dans la sérénité qu’inspire ces grands espaces et dans l’affolement le plus terrible que provoque la perte de repères (physiques et familiaux). « On est tous des sauvages » indique la pancarte laissée au cou de l’indien pendu à un arbre, celui-là même qui aura représenté l’une des rares touches d’humanité dans le film (très belle scène que l’attrapage des flocons avec la langue, seul sourire du film). C’est enfin l’animalité et la sauvagerie qui sont questionnées dans le film à travers ce personnage. Glas a clairement basculé du côté de l’animalité : cette surprenante scène de bataille avec l’ourse au début du film, outre son aspect hollywoodien, donne des clés de réponse. Qui devient-il si ce n’est cet animal qui cherche à défendre aussi son fils comme l’animal a voulu protéger ses petits ? L’ultime face à face entre Glas et Fitzgerald n’est rien d’autre que le remake de cette scène initiale. Les gestes sont lourds et patauds comme ceux de l’ours, les blessures sont les mêmes, des entailles. Fitzgerald arrache même de manière primaire l’oreille de son assaillant. Pourtant s’il y a bien une différence entre l’ours et Glas, c’est que l’animal ne connait pas la vengeance. Comme lui murmure dans un dernier souffle le bourreau de son fils, sa mort ne le lui ramènera pas. Preuve, s’il en fallait une, que ce n’est pas sa mort qui compte, mais bien le voyage qui précède.

– Melita Breitcbach