Rencontre avec Ariel Wizman sur les canapés cuir noir de l’Atheneum à l’occasion de la présentation de son documentaire « Black Dandy, une beauté politique ». Le personnage médiatique est d’une gentillesse et d’une disponibilité loin de son image de Parisien prétentieux que certains veulent faire croire. Il répond sans détour à mes questions dans un large et grand sourire entre deux bouchées du buffet, s’excusant presque du peu de monde présent à la projection.

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Quel est le point de départ de ce documentaire? L’idée de se dire un jour : « tiens je vais faire un documentaire sur le dandy, avec un côté politique » ?

Lorsque on aime l’élégance, on est frappé de voir que l’élégance masculine est souvent liée avec les classes dominantes, avec une sociologie assez précise. On a envie de la contester lorsqu’on voit des gens de la rue extrêmement bien habillés. Et plus singulièrement ces dernières années, toute une vague d’élégance  « africaniste » qui rappelle un peu la découverte de l’identité africaine qu’on trouve dans ce que l’on appelait «  l’art nègre » dans les années 1920-30, et qui explosait à Paris. C’est une relecture totale de tout ce qui est beau dans l’identité masculine.

Cette idée précise est venue quand ?

Paris est quand même une capitale africaine, où il y a plein de quartiers, de boîtes, d’endroits dans lesquels, dès qu’on rentre, on est plongé dans un monde complètement différent, de gens qui sont vraiment des oiseaux de toutes les couleurs. (Rires) Avec un humour et une esthétique qui leur sont propres. Ce qui est intéressant et qui m’a donné envie de faire un documentaire, c’est qu’on ne fait pas juste un documentaire sur des gens qui sont beaux ; on fait un documentaire sur des gens qui ont des choses à dire. Cela remonte aux origines de la répartition des genres en Afrique, au rapport à la nature, à la couleur, à la joie. Mais aussi ce qu’on appelle le « cool » : une décontraction un peu provocante, qui a un mot pratiquement dans chaque groupe linguistique. Cela peu être un cool plus agressif, un cool plus relâché, mais cette notion a été inventée en Afrique.

 

« Lorsqu’un Noir est bien habillé, il dit qu’il s’invente et qu’il ne subit pas. »

 

Dans le documentaire, il y a également un aspect politique bien mis en avant.

L’aspect politique vient du fait que pendant des décennies et des décennies, on a considéré que les Noirs élégant étaient des gens qui singeaient les Blancs, alors qu’aujourd’hui les choses s’inversent progressivement. Le hip-hop a donné une fierté, une identité beaucoup plus prégnante aux Afros (-américains, -francais, -européens). Aujourd’hui, la mode noire sert à porter un message d’une égalité, voire d’une indifférence entre Noirs et Blancs, qui fait qu’aujourd’hui un homme élégant, qu’il soit Noir ou Blanc, ça fait le même effet. Mais il y a quelque chose de flamboyant dans la revendication noire : lorsqu’un Noir est bien habillé, il dit qu’il s’invente et qu’il ne subit pas.

Est-ce que ça a été dur de monter ce documentaire , de rencontrer les gens ?

C’est une idée difficile à vendre mais c’est tellement agréable d’aller dans des lieux où on ne mettrait pas les pieds d’habitude. En Afrique du Sud, on s’est retrouvés dans des fêtes sur des parkings, avec des bandes qui venaient des ghettos alentours et qui trainaient derrière elles des valises de sapes pour se changer au milieu de la soirée. Ils avaient un langage dingue pour parler aux filles. Le tournage, ça a été un truc de fou ! On s’est trempés dans des milieux complètement excitants.

Combien de temps pour réaliser un documentaire de ce type ? 

Un an.

Est-ce qu’il y a des célébrités que tu aurais voulu avoir et qui ont refusé d’apparaître sur le documentaire ?

J’aurais voulu Stromae, car il est au carrefour de l’Europe et de l’Afrique, et c’est l’une des personnalités les plus créatives musicalement et vestimentairement. Il a refusé car il est dans un moment difficile de fatigue, de dépression.

Il va y avoir une suite apparement ? Avec d’autres pays et continents explorés ?

En ce moment on  prépare le « Asian Dandy » donc on sera beaucoup sur Shanghai, Tokyo et Séoul. Le Japon a une tradition de dandysme qui remonte aux samuraïs, et qui aujourd’hui s’incarne chez les tout jeunes. Puis l’Amérique latine, parce que c’est quand même le continent le plus masculino-centré (rires) et qu’ils ont été à l’origine de choses très politique. Les zoot suiters, les inventeurs des zazous ; c’était des chicanos qui contestaient leur place dans la société américaine dans les années 1930. Il y a beaucoup de choses très intéressante en Colombie, au Brésil, aux Caraïbes, à Haiti. Après on fera Paris. Puis « Street Dandy », sur comment la rue et les streetwear ont conquis la mode.

Est-ce que c’est dur à vendre à des chaînes de télé ?

Ce genre de thème est dur à vendre, mais ce qui l’est encore plus, c’est d’être indépendant. Ca devient de plus en plus difficile de faire de la production de documentaire indépendant.

 

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Tu te rappelles la dernière fois que tu es venu a Dijon ?

Oui, carrément. Je suis venu il y a moins d’un mois.

Et plus vieux ?

Ah… non.

 

« J’ai vu Derrick May à Détroit. Il me racontait son rapport à la France et il m’a parlé de Dijon. »

 

Dans un club qui s’appelle l’An-fer, t’étais venu mixer pour le « Grand Popo Football Club » ; t’en gardes un souvenir ou pas du tout ?

Je garde le souvenir du Dijon dont me parlait Laurent Garnier à l’époque, puisqu’on était quand même très amis et qu’il était souvent à Radio Nova. Il avait une résidence ici, dans laquelle il allait et revenait. Je me souviens aussi de l’An-fer bien sûr, c’était super. Je crois que pour les gens ici, c’est une époque qu’ils respectent et qu’ils y pensent. C’est quand même assez incroyable que des gens comme Carl Craig ou Derrick May parlent de Dijon. On a fait un documentaire à Détroit en juin où j’ai vu Derrick May. Il me racontait son rapport à la France et il m’a parlé de Dijon. (Rires)

D’ailleurs, c’en est où « Grand Popo Football Club » ? T’avais sorti un album en 2000, un en 2009, donc je me dis tout les neuf ans. Peut-être 2018 ?

Je pense que ça sera avant franchement. On a commencé à retravailler là. Nicolas Herrera, avec qui je fais le groupe, est tout le temps en Asie ou aux Etats-Unis où il fait des musiques de films non-stop, avec un succès phénoménal. Il est tout le temps en studio, en train de diriger des orchestres, d’écrire des partitions.

Toi, tu es acteur, journaliste, musicien, DJ, des fois tu n’as pas peur de te perdre ? Ou finalement tu trouves ça excitant ?

C’est vrai que c’est un peu égoïste car si on veut vraiment servir ce qu’on fait, il faut se concentrer sur une chose et essayer d’être le meilleur dans cette chose-là. Mais, un peu égoïstement, je fais les choses qui me plaisent. J’aime bien que mes journées soient faites de choses très disparates. Je ne suis pas quelqu’un qui aime particulièrement l’obstination et la monomanie.

S’il fallait revenir sur une période de ta carrière ?

L’émission de télé avec Edouard (Baer) : À la rencontre des divers aspects du monde contemporain. On prenait toute une troupe de comédiens, on partait et on tournait pendant trois ou quatre jours. C’était les moments les plus excitants.

Ton fils s’est mis à mixer, tu lui a donné des conseils ?

Je lui ai appris, il avait 6 ou 7 ans, donc effectivement il a eu le temps de s’entraîner. Là, il a 20 ans, il joue partout ; à Paris, il a joué à la Techno Parade. Il est techniquement très bon. On s’échange des playlists. Je lui ai dit : « ne fais pas ça comme un métier, fais ça pour payer tes soirées avec ta petite amie ».

On fait comment pour voir le documentaire ?

Pour l’instant, on ne peut pas le télécharger. Si vous voulez le voir… écrivez-moi. (Rires) Ou à la limite je peux très bien envoyer des liens aux gens qui me le demandent.

– Propos recueillis par Mister B
Photos : Vincent Arbelet