L’édition 2016 du festival One + One avait comme parrain Joël Hubaut, artiste-performeur qui expose tout l’été à l’Entrepôt 9, galerie située à Quetigny. On a parlé art, mafia et saucisse. Bref, on a parlé de la vie avec lui. Interview roue-libre.

Tu étais le parrain de cette édition 2016 de One + One. Comment as-tu bossé avec Bertrand Kelle, coordinateur de l’événement, sur l’assemblage du projet ?
Il m’a proposé une carte blanche sur plusieurs dates et lieux dans des contextes divers, je lui ai soumis un groupe de rock (Dead Sexy Inc.), divers performers que j’imaginais bien en adéquation avec le projet et une soirée performance filles à répartir selon les lieux. C’était un beau projet. Pour l’instant, j’ai surtout toute ma pensée pour l’invité qui m’a précédé à One + One et qui vient de mourir il y a deux jours, Alan Vega, que j’aime beaucoup et qui a été pour moi, en 1980, le déclencheur de ma poésie sonore à partir du battement cardiaque.

L’édition du festival se nomme « Le Parrain » cette année. Le parrain, c’est toi. On te trouve un côté mafieux ? Ça vient d’où ?
OK ! J’veux bien jouer, c’est pas le problème… Mais bon, j’ne sais pas quelle est la moins pire des postures ! Entre coller à l’image molle conservatrice puritaine du parrain responsable spirituel prêt à baptiser Bertrand Kelle et l’accompagner dans le droit chemin pour qu’il ne dérive pas dans les abus rock’n’roll dépravants ! Hahaha ! Ou bien m’imposer avec autorité et cruauté en grand chef gangsta padrino de la famille pour racketter les écoles et les bars du coin, hahaha ! Ça me laisse peu de choix… Disons que j’fais un mix TouTou et que j’assume l’accompagnement sans l’baptème, c’est surtout parce que Bertrand me considère comme le fidèle du début de ses élans One + One. Et dans ce cadrage flou, j’ai accepté de chapeauter bas pour le feeling et le fun Two + Two (TouTou…). Ou disons plus simplement : j’ai assumé d’faire le TOU-TOU à fond la caisse pour  Bertrand Kelle. Wouaf wouaf !

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Ton expo à l’Entrepôt 9 est, comme son nom l’indique, une compilation, un fourre-tout improbable. Comment as-tu choisi les différents éléments ?
J’ai tiré au hasard dans mon stock ce qui était potentiellement raccord avec le projet rock’n’roll. J’ai amplifié l’assemblable par une pièce vive à ré-activer, j’ai construit une maison in situ, uniquement avec des objets de rebut, des objets de déchetterie et de dépôt-vente montés au cordeau, au fil à plomb et au niveau. Une sorte de construction qui révèle que l’harmonie et l’ordre sont battis par le désordre même et qu’il faut donc essentiellement de l’imprévisible et du chaos pour créer des niveaux de gravité… La maison n’est pas qu’une sculpture formelle, ça serait trop déco et sans intêret. Là, à l’Entrepôt 9, la pièce est une activité par des associations qui luttent pour la sauvegarde des abeilles. C’est ce que j’appelle une sculpture vivante.

Tu penses qu’en France et en 2016, la performance artistique a encore sa place ?
Plus que jamais, et surtout pour résister à l’aplatissement dément et à cet appauvrissement généralisé qui nous plonge dans un crépuscule déculturé effrayant et propice à toutes les sauvageries fascisantes. Il est grand temps enfin de toucher à l’essentiel existentiel et d’agir pour renoncer ou s’opposer aux concepts de rendement et d’efficacité compétitive. Performons jusqu’à nous perdre et performons à perte et performons pour tenter de déstabiliser cette désastreuse envie de réussite qui est en train de nous avachir et nous avilir à jamais. La performance est une expérience qui assume même les ratages. Oui, oui ! La performance artistique est un des ultra moyens expérimentaux permanents pour rester vivants et en éveil dans cette période de plus en plus obscure et intégriste de toutes tendances confondues. La performance peut participer à la lutte contre l’ordre moral qui dégouline sur nous comme une boue molle glauque épouvantablement sournoise et totalitaire.

Sur ton Wikipédia, on peut lire qu’en 1982 tu obtiens le record du monde de lancer de camembert, discipline sportive que tu as inventée. C’est génial, qui est le champion 2016 ?
Je m’en tape complètement qu’un abruti, lobotomisé par la compétition, veuille battre ce record. J’ai lancé le camembert le premier pour la parodie et le grotesque situationnel, j’ai forcément détenu le record du monde puisque j’étais le premier à le faire ! Hahaha ! C’était pour me moquer de tous ces débilos forcenés de la compet’ ! C’est un gag ! Point barre ! Mais c’est aussi beaucoup plus compliqué et raffiné que ça, c’est même très philosophique mais j’ai pas le temps de développer ici.

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Entre le lancer de camembert, et cette photo de toi que l’on peut voir sur ton site internet, deux saucisses dans les narines, peut-on te qualifier de performeur alimentaire ?
Cette idée de vouloir toujours tout raccourcir, tout comprimer pour donner une impression de sens m’a toujours semblé déplorable. De là en plus à insinuer qu’il pourrait s’agir d’un travail alimentaire ! Hahaha ! Cela dit, ça ne m’a guère rapporté que des moqueries jusqu’ici. Je laisse les esprits étriqués et minables se rassasier dans leur insignifiance de ploucs. Moi, je fais des grimaces audacieusement en décalage ! Et des saucisses dans le nez me semble parfaitement coller comme retour-boomerang à l’esprit nauséabond et ubuesque de la situation actuelle mondiale. En opposition totale et pour répliquer soit à la docilité ambiante, soit à la fourberie démoniaque de nos élus et de nos politiciens en vrac, il me paraît inévitable que lancer un camembert ou se fourrer des saucisses dans le nez convient parfaitement comme réplique à la comédie humaine ! Quand à mon travail, j’ai débuté mon activité artistique y a déjà cinquante ans, alors en extraire que ces deux exemples me semble pour le moins quasi méprisant. Hahaha ! Je pense déjà opérer de nouvelles répliques sarcastiques à cet effet… Nous sommes vraiment à présent dans un pauvre monde de superficialité et de dégoulinure totale. Vive le rock’n’roll anti-rock. TRUIES + TRUIES. No Future… Proche.

– Propos recueillis par Pierre-Olivier Bobo
Photos (c) Entrepôt 9 et le myspace de Joël Hubaut (it’s 2007 again)