Ah ! la France profonde, ses routes sinueuses à la signalisation approximative qui vous emmènent vers de petits villages perdus comme des archipels au milieu des pâturages et des vignes. Culles-les-Roches, dans l’arrière-cour chalonnaise pourrait être le parangon de cette France champêtre : une église rustique, 200 âmes partagées entre autochtones et résidences secondaires. Rien d’autre, pas même un bar pour épancher sa soif. C’est là, au fin fond de la brousse bourguignonne – osons dire dans le trou du Culles du monde – que depuis 2007, une petite bande d’intrépides fêtards organisent un festival au nom improbable : les Festiculles. Et pour cette dixième, et probablement dernière édition, les organisateurs ont mis le paquet…

Cette dixième édition des Festiculles laisse deux impressions tenaces : la première, évidente, c’est la totale réussite de ces deux journées, aussi bien sur la prog’ que sur l’orga’, rien à redire. Même pas un de ces inénarrables pépins techniques dont ce petit festoche, un peu poissard, s’était fait une tradition. La seconde impression, sans gâcher la première, est un peu plus amère : les Festiculles arrivent à un seuil qui laisse planer de gros doutes sur l’avenir du festival. Le lieu d’abord, qui servait de cuvage à une exploitation viticole, va vraisemblablement être vendu à un nouvel exploitant ; ensuite, les organisateurs et les bénévoles montrent des signes de fatigue après une décennie d’efforts et de baston culturelle.

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« Je pense que l’équipe a besoin de lever un peu le pied, explique Xavier Perrin, l’un des organisateurs, qui bosse d’ailleurs comme tourneur chez Murailles Music. Après, est-ce qu’on arrête ou est-ce qu’on se délocalise ? C’est la question que tout le monde se pose. Le festival est quand même très attaché à Culles-les-Roches et à ce bâtiment : c’est d’ailleurs ce qui rend les Festiculles complètement hors-normes ; est-ce que ça aurait un sens de le faire ailleurs ? Et puis c’est vrai qu’il y a de l’usure, toute l’équipe est éparpillée à Paris, Lyon, Rennes ou Grenoble, ça devient de plus en plus compliqué à organiser, même si il ne fait pas le moindre doute qu’on aime se retrouver chaque année ici. »

« Un festival à Culles-les-Roches… c’est forcément les Festiculles! » Thibaut Clerc, en 2007.

« Je fatigue, concède lui aussi Arthur Delaval, organisateur et programmateur de la soirée du vendredi, et du coup, je me demande sérieusement si ça vaut le coup de faire tout ça pour frôler le gouffre financier à chaque fois. Et puis cette année on a quand même une sacrée édition et je trouverais ça hyper-classe qu’on se casse là-dessus ! » C’est vrai que cette dixième édition des Festiculles avait quelque chose de plus abouti ou de plus dense que la précédente. Vendredi, les 600 festivaliers ont découvert l’électro-folk soyeuse de June Bug, l’hallucinogène psyché rockabilly des Love Cans, le rap caustique de Schlaasss et le bon gros hip-hop de motherfucker des bataves de Dope D.O.D. Petite facétie des Festiculles, un brin agaçante quand même, c’est de programmer des groupes fantastiques à des heures pas possible. Ils nous avaient fait le coup en 2015 avec 100% Chevalier et cette année c’est Guili Guili Goulag, trio de math-rock expérimental qui clôturait la première soirée à 3h du mat’.

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« Quand on sollicite des tourneurs, rajoute Xavier, ils ont souvent cet a priori d’un festival un peu loufoque et quand ils nous demandent la prog’ des éditions précédentes, ils sont stupéfaits, genre : vous avez fait venir tous ces groupes dans le trou du cul du monde ! »  Arthur rajoute : « Même si on est très fier de notre prog’, on a toujours du mal à avoir une tête d’affiche grand public. Maintenant on a un peu de presse : The Drone, Les Inrocks et même Glamour ! Mais ce qui me surprend toujours, c’est de voir à quel point on est soutenu par les salles de concerts des environs : La Cave à Musique de Mâcon ou La Péniche de Chalon-sur-Saône. C’est super d’avoir un retour enthousiaste de ces lieux qui t’ont inspirés, où tu en as pris plein la gueule. » Le samedi fut homérique et pour cette « dernière » journée, les organisateurs ont fait péter le budget, avec une témérité qui confine à l’inconscience. Sur les SIX scènes, on a pu voir les excellents Bagarre, Ropoporose, le baptême du feu de Pom Pom Galli et cette invraisemblable Colonie de Vacances.

La Colonie de Vacances : un western spaghetti

Bon, on ne va pas repomper le dossier de presse, disons que la Colo’ c’est un peu le United Noise du rock français : onze musiciens, de quatre groupes différents, qui jouent ensemble aux quatre coins du terrain. La compo est invariable : Pneu en charnière centrale, Marvin en pointe et sur les ailes Electric Electric et Papier Tigre. Ce quadriphonic-machin-chose tient autant du concept que du concert et le résultat est étourdissant. On pourrait aligner comme ça les superlatifs, mais ça en deviendrait suspect ; alors disons juste que ce fut un set ahurissant comme le gun-fight cathartique d’un western spaghetti quand le bon, la brute et le truand se tancent du regard en jouant du colt dans la quadrature du cercle. Je ne serais d’ailleurs pas surpris qu’un jour, la Colonie de Vacances soit classée parmi la liste des stupéfiants.

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« Quand les petits festivals sont motivés ça se passe très bien, explique Grégoire Brédel, batteur de Marvin, et c’est même parfois mieux que les grosses structures qui peuvent négliger le projet. En fait, ici, il y a plus de monde pour nous aider à l’installation et finalement ça se passe plus facilement. » Cela peut paraître anodin pour beaucoup mais il y a quand même, dans ce petit festoche, une audace incroyable et un culot monstre. Tant de festivals établis, professionnels, subventionnés n’ont pas les couilles de programmer la Colo’ pour des prétextes logistiques un peu vaseux ; au milieu de nulle part, une nuit de juillet, ces soixante bénévoles l’ont fait.

– Édouard Roussel
Photos : É.R.