Chalon-sur-Saône, d’ordinaire si paisible, accueille chaque été depuis trente ans le Festival Transnational des Artistes de la Rue. Ce raout estival transforme la ville en congrès annuel des punks à chiens avec ateliers de tressage de laisse en chanvre bio, des stands de coiffeurs visagistes pour « dreadlocketeux » et même un symposium sur le rapport prix/biture des bières allemandes. Bon, tout ça nous intéressant finalement assez peu on a plutôt été voir des spectacles.

Il y a des festivals qui nécessitent un mode d’emploi pour s’apprécier à leur juste valeur. Dédié à tous les arts de rue, du cirque  au théâtre en passant les myriades de sous-genres qui jalonnent la route entre les deux,  Chalon dans la rue est un joyeux bordel dans lequel on peut vite se perdre. En flânant le nez au vent au hasard des rues on n’en effleure que la surface.  Il est même délicat de faire la différence entre le in, le off voire le off du off parmi le foisonnement de spectacles, souvent gratuits, disséminés sur 80 scènes plus ou moins improvisées aux quatre coins de la ville. Il faut donc impérativement se procurer le programme glissé dans le JSL. Ces quelques feuilles, imprimées sur du PQ, ont le mérite de donner au jour le jour le timeline des spectacles et de souffler des suggestions souvent avisées aux spectateurs curieux.

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Pour ceux qui ont la flemme de courir aux quatre coins de la ville et de ce taper huit fois par jour le spectacle de David le Magicien ou les groupes de guinguette qui squattent les rues du centre-ville, le mieux est encore de se poser dans l’un de ces lieux gérés par un collectif. Que ce soit au square Chabas, aux Abattoirs, au Conservatoire ou à la cour de l’Évêché, les spectacles s’enchaînent et on peut chiller peinard, boire un verre et manger un bout. Il est quand même cocasse que 30 ans après le début de ce festoche, certains n’ont toujours pas compris…

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Chalon vs son festival

Trente ans de festival à Chalon, ça devait se fêter dignement. On avait donc mis les petits plats dans les grands et la bibine au réfrigérateur, d’autant que Pedro Garcia (à ne pas confondre avec Rudy Garcia) vivait sa dernière année en tant que directeur artistique après treize ans de bons et loyaux services. Album collector façon Panini à l’appui, on allait voir ce qu’on allait voir, foi de chalonnais, et au diable les discours incohérents du maire de la ville depuis des mois concernant le devenir du festival, sauf que… Sauf que les sorties à l’emporte-pièce du bonhomme ont une fois de plus fait le buzz et Chalon dans la rue a failli se transformer en Platret dans la rue, ce qui nous aurait valu sans doute des spectacles sur Napoléon et Sarkozy, idoles de notre premier édile. La face de la Saône et Loire en eût été alors changée.

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C’était sans compter David le Magicien qui a mis tout le monde d’accord : ce festival doit continuer. David, sous acide du matin jusqu’à point d’heure, faisant peur aux enfants, foirant un tour sur deux mais véritable symbole de cette culture de rue. David, qui sera peut-être le remplaçant de Pedro Garcia si Dieu le veut. Lui seul est capable de réconcilier Gilles Platret et les artistes par son côté populo et abscons à la fois. Mais le maire a t-il envie de se réconcilier ? On en doute. Entre ses coupes de budget et le lapin posé à la ministre de la Culture venue le jeudi, sous le prétexte étrange de la sécurité et de mensonge d’État, il semblerait que le festival ne soit définitivement pas son truc. Gilles préfère Napoléon, et ça a quand même plus de gueule que ces spectacles de saltimbanques…

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Pépite sur le cookie, cette année a été particulièrement riche en spectacles dits « sociaux », en prise directe avec l’actualité qui fâche. On a eu droit aux migrants avec Bouc de Là par la Cie Baraque Liberté et son texte percutant, aux SDF grâce à la Cie Schtrockben venue de la Réunion, à l’écologie qui part en vrille, à l’économie qui nous tue ou encore aux fachos qui nous guettent en 2017 par le talent de Franck Baruck jouant le bouquin de Pavloff, Matin Brun.  Que des sujets passionnants et passionnels pour un maire apparenté droite dure, qui n’aime guère les langues étrangères, les repas de substitution et donc tout ce qui va avec. Même les caissiers de Carrefour du centre-ville avaient endossé un tee-shirt vantant une marque de bière pour alcoolos ! C’est dire si cette 30ème sentait le soufre et la révolution à venir.

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Discours de poétique générale

La bonne nouvelle de cette édition 2016 c’est quand même l’absence totale de diabolo. L’autre tendance c’est l’invasion du poétique. Quantité de spectacles s’en revendiquent : on a du cirque poétique, de la danse poétique, des déambulations poétiques, du théâtre poétique. Bientôt les chiottes et les food-trucks seront poétiques. Cette posture en devient lassante et galvaudée, surtout quand elle ne sert qu’à cacher la vacuité de ces spectacles qui, à défaut d’idées, se réfugient dans l’abstraction lyrique.

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Tout n’est pas à jeter évidement et certaines propositions étonnent et détonnent. Bizangos de la compagnie Rara Woulib emmène le spectateur dans un univers fantastique lors d’une déambulation qui vire à la randonnée nocturne sur les bords de Saône. Ce spectacle navigue entre le conte et l’opéra de plein air, imprégné de rites païens. Follement ambitieux, Bizangos est aussi épuisant qu’impressionnant. Mélangeant allégrement le théâtre, la musique et le cirque, ParasiteS a aussi contaminé pas mal de spectateurs. Penchant dangereusement vers la folie et le théâtre de Beckett ce spectacle était traversé par quelques fulgurances, comme cette guitare pilonnée pour accompagner les acrobaties les plus déglinguées. Pour ce qui est d’augmenter la réalité, Chalon dans la rue est quand même nettement plus gonflé que Pokémon Go !

– Rox et Rouky
Photos : Édouard Roussel