Qu’est-ce qu’Adrien Rivoire, un soldat français de la Première Guerre mondiale fiche, à peine la guerre terminée et les plaies pas encore bandées, devant une tombe d’un de ses récents ennemis, en Allemagne, pleurant le disparu et fleurissant le monument ? C’est le mystère qui tiendra en haleine une bonne moitié du film, voire même tout au long puisqu’une ambiguïté constitutrice va jouer le destin d’Anna (jouée par la somptueuse Paula Beer, au sympathique nom), la fiancée de Frantz, le schleuh éponyme disparu. L’absent prend décidément beaucoup de place, et voici dix bonnes raisons d’aller, toi aussi, visiter sa tombe de soldat effectivement assez inconnu.

• Parce que même s’il va pas tarder de souffrir du deuxième effet Kiss Cool de la hype, Pierre Niney est un acteur exceptionnel, malgré cette trogne de lévrier battu affichée pendant les trois quarts du film. Ses démons – et sa lâcheté de Französe – semblent comme vécus. Du reste, il a appris le violon et l’allemand pour jouer le film, rien que ça ! Alors que toi tu sortais à peine une note à la flûte et écoutait rien en cours de teuton avec Madame Jouanique en 5ème B.

• Tu suis les infos, on t’apprend rien, Angela Merkel vient de se faire botter le train par l’extrême droite à des élections régionales ; le film dépeint, en 1919, la sourde montée du ressentiment xénophobe. C’est peu dire que l’ambiance actuelle, avec les migrants, peut t’y faire songer. Par ailleurs, le film ressemble, si on songe au misérable destin de la personnage principal, à une longue métonymie du ressentiment lié à l’inique Traité de Versailles…

• Parce que l’amitié franco-allemande ne consiste pas qu’à aller picorer des petits fours à la Maison de Rhénanie-Palatinat en faisant des blagues sur la Blitzkrieg ; François Ozon thématise avec pudeur la teneur des tensions pas si anciennes avec nos couz’ d’outre-Rhin, et c’est passionnant. La promesse de bonheur non tenue et le dépit qu’elle suscite est ici tout de même mieux thématisée que le mièvre Joyeux Noël

• Ce même réalisateur a mis le paquet  pour ce qui est de la justesse des reconstitutions : le noir et blanc classieux (il se peut que quelques couleurs apparaissent ça et là, on ne vous en dit pas plus) permet assez facilement de se transporter dans cette époque tourmentée et romantique qui n’est clairement pas que celles des années folles.

• Parce qu’une longue séquence de ce film en trois parties se déroule à Saulieu ! Cocorico ! Ton nombrilisme pourra même reconnaître quelques rues non loin de chez Bernard Loiseau. Du reste, l’ambiance du film est à peu près aussi poisseuse que la façon dont celui-ci a tiré sa révérence.

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• D’ailleurs, il s’agit de l’Histoire, mais aussi d’une histoire de deuil et de résilience, thématisant la nécessité et en même temps l’impossibilité de surmonter le trépas d’un proche – qu’il s’agisse du lien filial ou amoureux, c’est vraiment avec subtilité qu’Ozon expose les ambiguïtés des divers protagonistes, partagés entre haine et bienveillance, ressentiment et espoir.

• L’œuvre concourt à la Mostra de Venise, ce qui devient davantage un gage de qualité que le grand cirque de la croisette, où Xavier Dolan va de toute façon gagner les trente prochaines palmes.

• Mine de rien, au-delà de l’indéniable mélodrame, il s’agit d’une comédie romantique qui évite de sombrer dans les niaiseries habituelles à la Hugh Grant ; où il sera beaucoup question de projections fantasmatiques et de mensonges, avec une réécriture du scénario (il s’agit d’un remake d’un film de Lubitsch) par le réalisateur favorisant une certaine finesse de la mise en scène, laquelle suggère de nombreuses fausses pistes, jouant notamment sur le thème du double.

• Parce que le film est parsemé de références poétiques – et pas seulement musicales – n’hésitant pas à évoquer Rainer Maria Rilke ou Verlaine pour illustrer cette époque littéraire tout aussi tumultueuse que l’ambiance géopolitique. Et toi, on t’a vu lire de la poésie au Chez nous, une fois. C’est mignon.

• Parce que pour une fois, ça se passe au cinéma Darcy, et qu’ils font l’effort de passer le film en V.O, ce qui t’oblige d’habitude à devoir te rendre rue d’Auxonne rejoindre les amis/vieux de l’Eldo pour éviter les doublages foireux.

– Tonton Stéph
Photos : DR