Alors que des rumeurs insistantes évoquaient une fermeture programmée de ce cinéma du centre-ville – rapport au ciné censé ouvrir à la Cité de la gastronomie – le Devosge continue son bonhomme de chemin et propose en ce moment une petite rétro du réalisateur du meilleur film des années 2000, Mulholland drive. Au programme : Twin peaks Fire walk with me et Eraserhead ! Et toi tu fais quoi, tu vas rester à te regarder le nombril ou mater Top Chef ? Allez, va au Devosge, pour les raisons évidentes suivantes.

  • Parce que Twin Peaks, bordel de merde. En vérité ça se passe d’arguments. Mais pour les esprits un peu chagrins qui préfèrent tout de même de l’argumentation, on répond dans les points suivants.

 

  • Déjà, il s’agit d’une version restaurée 4K, ce qui ne sera pas incompatible avec le côté granuleux voire un peu dégueux volontairement recherché par le réalisateur génial – cela ne fera que mettre davantage en valeur sa captation des nuances de couleurs crépusculaires qui nimbent le destin tragique de Laura Palmer.

 

  • Tu as envie d’y comprendre quelque chose : qui est Bob ? Qu’est-ce que la loge noire ? Quel est ce mal, ce feu qui semble dévorer la principale protagoniste ainsi que les autres habitants de cette petite bourgade de l’Orégon ? Tu seras décontenancé, et cela fait parfois aussi du bien. Surtout devant une oeuvre d’art.

 

  • Parce que tu as des potes qui haïssent l’idée-même que quelqu’un d’autre qu’eux pourrait proposer une interprétation à leur film et leur série chérie : Twin Peaks est de ces oeuvres protéiformes.

 

  • David Bowie, – R.I.P- et Chris Isaak font des apparitions brillantes, ce qui relativise un peu la tristesse de ne pas voir tous les acteurs présents dans la série. Il y a même Kiefer Sutherland, a.k.a Jack Bauer dans 24, tout jeune, qui fait une apparition amusante. En tout cas, plus amusante que lorsque Bob apparaît.

 

  • Tu pourras peut-être saisir, dans les vingt premières minutes du film, que le thème de l’inversion est cher à David Lynch, avec ce patelin de Deer Meedow qui semble autant l’envers photographique, la Camera obscura de la ville de Twin peaks. Le thème du double maléfique, voire de la gemellité affleurera aussi à travers le personnage de Teresa Banks.

 

  • Parce que voir un nain danser et parler à l’envers en te montrant une bague, ça n’a pas de prix.

 

  • Si les thèmes du péché, de la rédeption, du tourment, de l’enfer, d’un feu qui brûlerait pour toujours, du mal t’intéressent, il serait temps de voir un vrai film d’horreur. Du genre de ceux où un être humain consume lentement, longuement, et le sait.

 

  • Pour le final, non pas composé par le génial Angelo Badalamenti – dont la B.O est elle-aussi stratosphérique et vénéneuse à souhait – mais par Luigi Cherubini : il s’agit du Requiem en ré mineur, composé pour la mort de Louis XVI, et qui est proprement sublime. Il était d’ailleurs joué à l’église Saint Bénigne, à Dijon, il n’y a pas deux semaines ! Pour le reste, des thèmes rock restent longuement en tête.

 

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  • Han, Twin Peaks, c’est trop branché, t’as vu : mate donc mon tote-bag où la black lodge et la chouette sont sérigraphiés. J’ai même un badge avant l’agent Cooper. Hé oui, le mec ou la nana qui ne vit que par/pour son esthétisme, on t’a grillé, tu es tenu d’y aller.

 

  • Plus sérieusement, c’est presque devenu trivial de le rappeler, mais Twin Peaks est devenu un monument incontournable de la pop culture contemporaine, diffusant ses effets dans un certain rapport aux années 80, dans les groupes de rock un peu pétés, même ceux de rap (ainsi de Butter Bullets qui s’y réfère) comme dans la façon de voyager sur la côte ouest américaine, d’apprécier une tasse de café, voire une tarte aux cerises.

 

  • Parce que Lynch sait mêler le grotesque et le tragique, le soap-opéra d’amourettes adolescentes façon AB productions et les thématiques les plus profondes et universelles qui soient.

 

  • Il faut savoir que Fire walk with me est le prequel indispensable. C’est David Lynch qui te prévient à ce propos, à la juste compréhension de la saison 3 de la série qui vient à peine de débouler. Tu es donc tenu de voir le film, même si tu ne comprendras pas forcément tout, admettons-le !

 

  • Parce que David Lynch, dans un épisode de la série, avait annoncé en 1992 que Laura donnait rendez-vous à l’agent Cooper dans 25 ans. Et il a tenu sa promesse. Charles Pasqua affirmait cyniquement que « les promesses n’engagent que ceux qui y croient » – accent corse compris. Eh bien il fallait y croire. C’est donc le moment de revoir le film.

 

  • Parce que pour comprendre qui a tué Laura Palmer, il faut être [ATTENTION, SPOILER] plus ou moins au courant des moeurs ayant cours dans les familles de l’Yonne.

 

  • Le film a été hué dès la fin de sa projection à Cannes. Comme des films de Gaspard Noé ou de David Cronenberg. Autant dire que c’est bon signe.

 

  • Parce que la fin, d’ailleurs, est très probablement parmi les plus somptueuses du cinéma récent, disons avec Hana-bi de Kitano ou Magnolia de P-T Anderson.

 

  • Quelqu’un a-t-il d’ailleurs déjà aussi bien filmé des gros plans sur les visages ? La remasterisation de l’oeuvre permet de voir autrement ce film qu’on avait pu le voir sur le petit écran.

 

  • Pour quiconque aurait tout de même envie de comprendre davantage ce qu’il se passe dans la petite ville et ses environs, le film apporte de multiples clés et permet de réenvisager le déroulement de ce qu’il se passe dans la série, saison 1 et 2.

 

  • Parce que même si tu en as entendu parler, tu n’as pas encore vu Eraserhead, alors que tu ne loupes jamais une occasion de revoir Elephant man ou Sailor et Lula. La honte.

 

  • Et si tu vois une vieille, une bûche à la main, assénant que « Les tendres rameaux de l’innocence brûlent en premier » à une Laura Palmer médusée, ne te dis pas que cela pourra la ralentir en quoi que ce soit.

Tonton Stéph
Photos : DR

Cycle David Lynch au cinéma Devosge, du 6 au 27 juin 2017. Plus d’infos ici.