Vous nous connaissez, chez Sparse, on aime la culture. Celle de la région bien sûr mais, pas chauvins, on s’intéresse aussi à celle d’autres régions, alors il nous arrive de feuilleter des magazines culturels nationaux chez mamy de temps à autre, genre Théâtral magazine ou Télérama. Et puis un jour, on a lu un article sur un metteur en scène assez badass qui faisait des pièces plutôt bien reçues. Et grande classe, on a appris qu’il avait installé sa compagnie chez nous ! Alors forcément on s’est demandé, pourquoi un mec qui pèse autant a décidé de venir se poser au Creusot plutôt que dans le haut lieu du théâtre, à Paris.

C’est comme ça que le rendez-vous fût fixé avec Kheireddine Lardjam, metteur en scène originaire d’Oran, vivant entre l’Algérie et la France, dans les bureaux de sa compagnie nommée « El Ajouad » situés à quelques pas de la mairie du Creusot. L’entretien est rapide, il va à l’essentiel, son temps est précieux, rien d’étonnant venant d’un artiste hyperactif tel que lui. A peine a t-il terminé un projet qu’il pense déjà au suivant, présent sur tous les fronts, voyageant sans cesse, il ne s’arrête jamais. Il rentre d’Oran où il préparait un projet avec des jeunes, vient de terminer la création de sa dernière pièce « Alerte » dont la première avait lieu le 28 septembre à la Comédie de Saint-Etienne, continue les représentations de « Saleté » qui ont repris du 9 au 13 octobre à Aurillac et ouvre en parallèle 3 années de réflexion sur les thématiques de la diversité, du multiculturalisme, de l’immigration et de la langue française.

« Je me vois comme un facteur essayant de retisser le lien entre la France et l’Algérie, deux amoureux qui se sont disputés après une rupture. »

 

Il faut dire que ces thèmes sont chers au metteur en scène qui affirme d’ailleurs que ses créations sont souvent en lien avec son histoire personnelle. « L‘artiste commence toujours par l’intime, sa première source d’inspiration est le quotidien » dit-il lorsqu’on lui demande pourquoi la plupart de ses spectacles sont liés à ses origines avant d’expliquer que « le lien entre la France et l’Algérie est énorme, l’immigration fait partie de l’ADN de cette dernière », chose qu’il n’avait pas réalisée avant de venir ici. Il ajoute que « le rapport entre l’Algérie et la France, le racisme, l’immigration, ces sujets sont peu abordés au théâtre » d’où l’importance d’en parler et de mettre ces questions en scène aussi bien en France qu’en Algérie où sa compagnie est également installée. D’ailleurs Kheireddine se voit comme « un facteur essayant de retisser le lien entre la France et l’Algérie, deux amoureux qui se sont disputés après une rupture ».

« J’ai vécu le terrorisme en Algérie et le fait qu’il me poursuive m’a heurté »

 

Pour en revenir à son projet de réflexion future, parfaite illustration du théâtre de Lardjam, il lui a été inspiré par le climat de ces dernières années, troublé par le terrorisme qu’il a lui même vécu lorsqu’il était en Algérie. Retour à Oran, nous sommes en 1994, le dramaturge Abdelkader Alloula est victime d’un attentat islamiste alors qu’il se rendait au théâtre pour un débat, il est le premier intellectuel victime de ce clan dans l’histoire du pays. Touché par ce fait, Kheireddine Lardjam répondra à ce crime en montant en 1996 la compagnie El Ajouad (les généreux), référence au titre d’une pièce d’Alloula, dans le but de créer le premier département représentant l’art dramatique du conservatoire d’Oran.

Algéroman 

Il traitera souvent par la suite le sujet du terrorisme, comme pour extérioriser ses démons, jusqu’à cette sinistre journée de janvier 2015 où l’attentat de Charlie Hebdo réveilla ses souvenirs. « J’ai vécu le terrorisme en Algérie et le fait qu’il me poursuive m’a heurté ». Viendront ensuite les attentats du Bataclan accompagnés des maladresses des médias « présentant des jeunes nés en France, ne connaissant rien de leurs origines, comme étant Algériens » ajoutant également leurs amalgames et leur intérêt soudain pour la diversité dans « un moment mal approprié » qui lui vaudront l’écriture d’une tribune dans le magazine Télérama, mais également la création de sa trilogie. Pour lui, le théâtre sert à redonner du sens, il va alors l’utiliser pour montrer qu’être d’origine étrangère ne signifie pas forcément garder cette culture comme l’illustrera le premier spectacle adaptation du roman de V. Hugo : Milles francs de récompense. Interprété par de grands acteurs français nés en France, ayant fait les grandes écoles de théâtre françaises « mais s’appelant, entre autre, Azeddine Benamara ou encore, Linda Chaïb, des acteurs aux noms d’origine maghrébine avec Victor Hugo comme culture ».

« Au Creusot, on ne rencontre pas des grands sites historiques ou des musées renommés, on rencontre des gens »

 

Avec autant de projets à son actif, une tribune pour Télérama, des tournées entre la France et l’Algérie en passant par l’Angleterre, l’Italie, on pourrait se demander ce qu’un metteur en scène aussi talentueux fait dans une ville telle que le Creusot. En réalité, il s’agit d’un double coup de foudre remontant à ses débuts. Alors que la France célèbre « L’année de l’Algérie en France » en 2003, Lardjam se lance dans 6 mois de tournée sur les scènes françaises présentant « Ellitham» (le baillon) un spectacle né en Algérie. Durant son passage au Creusot, il rencontre Nadine Varoutsikos-Perez, directrice de la scène nationale de l’Arc, et qui découvre son travail ; elle lui propose alors un collaboration sur « L’échappée » qu’il développait à cette époque. Concept de son invention, le projet consistait à inviter un artiste étranger à investir un quartier français afin de collaborer sur une création artistique avec les habitants « les artistes ont un regard neuf qui ramène quelque chose d’intéressant ». C’est avec ce projet qu’il découvrit les habitants du Creusot, il dira d’ailleurs que « la rencontre avec les habitants à été magnifique ». C’est également à ce moment qu’il rencontra la mère de son fils, double trouble le menant à poser un pied au Creusot, ville où selon lui « on ne rencontre pas des grands sites historiques ou des musées renommés, on rencontre des gens ». Il en fera d’ailleurs son laboratoire, même si il crée en région parisienne, il expérimente ses projets au Creusot où il retrouve beaucoup « de mixité et d’histoire d’immigration » ; une ville à l’image de son théâtre.

  • Lison Detang

Photos : La compagnie El Ajouad