Booba disait à la France du rap que celui qui voulait détrôner le Duc allait la prendre dans le « uc ». Une grosse décennie plus tard, il n’avait très certainement pas prédit que la situation allait se retourner et que les Ducs, hockeyeurs sur glace de Dijon, allaient en avoir pour leur fion. Les Ducs sont à sec. Une faillite administrative et financière assez bizarroïde qui a conduit à une mort sportive et à des adieux expéditifs avec la Ligue Magnus, l’élite du hockey français. Entre big bazar, résistances passionnées d’amoureux du club et construction d’une nouvelle ère hasardeuse, retour sur la putain de descente en enfer des seigneurs de la glace.

C’est à la fois un cauchemar, à la fois un gros merdier. Un vrai clap de fin bien puant qui s’accompagne du silence intégral des dirigeants de la section professionnelle du club, laissant plusieurs interrogations en suspens. Le couperet est tombé à la fin septembre : les Ducs ne retourneront pas sur la glace de sitôt. Enfin, c’est désormais l’équipe senior de l’association du club, et non plus l’équipe pro sénior anciennement gérée par la SAS des Ducs, qui reprend le flambeau officiel de l’équipe-fanion. Elle évolue actuellement dans la poule C de la D3, le 4ème échelon national de hockey sur glace français.

Comme dans pas mal de clubs sportifs, on retrouve deux entités dans le club. Une association qui gère le côté amateur et une structure type SAS/SA qui gère le côté professionnel. Au Dijon Hockey Club, c’est particulier. Pendant de nombreuses années, c’est l’association (CPHD) qui gérait l’équipe pro. C’est seulement depuis mai 2016 qu’une nouvelle restructuration a eu lieu avec l’asso dirigée par Olivier Ritz, qui était donc de fait président du Dijon Hockey Club et la SAS présidée depuis par Fabien Geantet, à partir du 1er mai 2016. La restructuration était obligée par la nouvelle formule de la Ligue Magnus, qui a engendré de nouvelles exigences à partir de la saison 2016-2017 notamment en terme de nombres de matchs (de 26 matchs à 44 matchs en saison régulière).

Crédit : Alexandre Claass

Mais les Ducs, c’est quand même des titres et des gros résultats sportifs : des coupes de France en 2006 et 2012, des demi-finales de play-off de Ligue Magnus, un club qui faisait partie du paysage de l’élite du Hockey quoi. Les Ducs, c’est aussi de la formation avec Nicolas Ritz ou encore Anthony Guttig qui cartonnent à Rouen et jouent avec l’Équipe de France. Un nouveau chapitre plus galère débute à présent pour le Dijon Hockey Club mais n’éloigne pas pour autant une interrogation que tout le monde se pose : Comment ils ont pu en arriver là ? Faut s’y retrouver, et c’est pas forcément simple car, sur l’échelle de la complexité, on se situe quelque part entre le Kamoulox et un cour de mandarin chinois.

Motus et bouche cousue.

En réalité, la rétrogradation s’est faite en plusieurs étapes et les surprises ont été progressives. Lors de la conférence de presse organisée par l’état-major des Ducs le 5 juillet dernier, le président de la SAS Fabien Geantet ainsi que le président de l’association du hockey mineur, Olivier Ritz – président de l’association qui s’occupait du club pro de 2008 à mai 2016 – clamaient qu’il était nécessaire que les Ducs sortent de la Ligue Magnus pour repartir en D1, l’échelon d’en dessous, histoire de rétablir la situation financière du club et poser des jalons solides pour l’avenir. Sauf que le dossier administratif a été rejeté car non-livré dans les temps, idem pour la D2, qui demeurait aussi incomplet. En gros, ce refus de la Fédération de hockey sur glace a officialisé la mort du hockey professionnel dijonnais. Un coup de tonnerre que personne n’avait imaginé, ni les joueurs, ni les membres de l’association, ni même Olivier Ritz.

La situation demeure confuse, l’heure est à la clarification, mais c’est pas évident. Niveau chiffres, on sait pas grand chose hormis que le déficit annuel de la SAS s’élève à 9.000 euros, une somme évoquée lors de la conférence de presse de juillet, loin d’être gravissime. Néanmoins, la question du déficit précis reste encore floue puisque Olivier Ritz nous a confié qu’il s’agirait, en réalité, d’un déficit beaucoup plus important, de l’ordre de 129.000 euros.

Crédit : Alexandre Claass

On a cherché à avoir des explications de la part la direction de la structure professionnelle des Ducs, mais cette dernière ne s’est pas vraiment distinguée par son côté loquace. Après plusieurs appels laissés, une promesse de réponse de mail finalement sans lendemain, la direction du club et Monsieur Geantet n’ont pas jugé bon d’éclaircir les raisons de la décadence. Ce silence radio ne s’est pas appliqué qu’auprès de nous. Fabien Geantet est resté silencieux auprès de ses joueurs et même d’Olivier Ritz qui affirme ne plus avoir de nouvelles depuis le 22 septembre, au matin. Chelou.

La bascule des Ducs, la faute aux infrastructures ?

Ça a toujours été compliqué financièrement au Dijon Hockey Club et les nouvelles exigences de la Ligue Magnus, trop onéreuses, ont été estimées comme une contrainte financière supplémentaire. Qui dit plus de matchs, dit plus de frais d’arbitrages, plus de frais de déplacements, etc. Des dépenses en plus, quoi. Selon Olivier Ritz, qui a répondu positivement à notre demande d’entretien, il faut 1,5 million minimum pour être en Magnus, alors que le budget du DHC pointe à grosso modo 800.000 € entre subventions publiques, partenaires privés et billetterie comprise.

Cependant, l’un des arguments phares qui émane de la direction de la SAS et du président de l’association Olivier Ritz, c’est la qualité de l’infrastructure centrale : la patinoire Trimolet. Elle date du début des années 70’s et est jugée trop vétuste pour accueillir un nombre de spectateurs décent. Il estime que la jauge est insuffisante pour constituer des recettes de billetterie acceptables pour un club de Ligue Magnus. Pour info, la part de la billetterie représente environ 10% du budget. Olivier Ritz souhaiterait que le projet d’une nouvelle patinoire à deux pistes soit mis à l’étude par la mairie de Dijon d’ici les prochaines années. Sans la mairie de Dijon, rien ne peut se faire. S’il estime que l’état de la patinoire n’a rien à voir avec la chute des Ducs, Jean-Claude Decombard, adjoint aux sports à la mairie de Dijon, nous a affirmé que le projet sera mis à l’étude d’ici la fin de mandature de François Rebsamen. Il mentionne également que le hall de la patinoire a fait l’objet de rénovation. Jean-Claude Decombard évoque d’autres raisons, plutôt culturelles, car il est vrai que le hockey sur glace ne jouit pas de la même réputation que le foot ; rappelant que le nombre de spectateurs a toujours fait défaut, sans que la patinoire en soit la cause. C’est en fait l’éternelle passe d’armes entre la mairie et le Dijon Hockey Club, et ça ne date pas vraiment d’hier non plus.

S’il estime que tout le monde tient une part de responsabilité, Olivier Ritz regrette la posture silencieuse de Fabien Geantet qui a manqué de clarifier la situation avant et d’assumer devant les joueurs. L’absence de communication n’a pas vraiment aidé les joueurs mais plonge également l’association dans le brouillard. Est-ce que l’association va chopper les dettes de la SAS ? Ajoutées à celles existantes ? On ne sait d’ailleurs rien sur l’avenir de la SAS qui existe toujours physiquement mais n’officie plus. Va-t-elle déposer le bilan par exemple ? Beaucoup de questions restent en suspens.

SOS joueurs en galère.

En rose, avec son nouveau club, Damien Bourguignon, qui va vouloir changer de nom de famille (Crédit : Typhaine Grolier)

Il y a eu de vrais problèmes humains derrière tout cela. On a des joueurs professionnels qui se sont sentis livrés à eux-mêmes, à l’abandon, sans nouvelles de leur président, et sans aucune perspective d’avenir claire et précise. La SAS n’a pas accompagné les joueurs dans la tempête. Objectivement, on peut se demander où étaient les dirigeants du club pro dans l’accompagnement des joueurs. Un joueur nous a confié “être parfois dégoûté, parfois trop énervé de ne pas avoir de nouvelles”. Il y a eu des situations qui n’ont pas lieu d’être. Comme, par exemple, des salaires du mois de septembre non versés. Très vite et peu de temps après l’annonce de la non retenue du club en D2, un large comité d’aide aux joueurs s’est très vite mis en place, avec pour objectif la défense et l’accompagnement des joueurs afin de “préserver les valeurs du sport et la dignité humaine”. Une cagnotte a été mise en ligne afin de payer le loyer des joueurs par exemple. Une partie de ce comité s’est constituée en association (CAHD, Comité d’Aide aux Hockeyeurs Dijonnais) avec à sa tête Sophie Touflet. Le but est d’aider les joueurs notamment dans les démarches administratives.

Ce chaos a laissé un gros sentiment de gâchis chez certains qui estimaient avoir un très bon groupe, capable de faire de belles choses. La Fédé de hockey a exceptionnellement débloqué le sort des joueurs pour les autoriser à retrouver un nouveau club, sauf que plusieurs joueurs ont joué de leur réseau pour signer ailleurs. Certains joueurs comme Damien Bourguignon ambitionnaient de représenter le DHC encore en Ligue Magnus, pour finalement patiner pour Viry-Châtillon… en D2. C’est comme si tu passais du Real Madrid aux Chamois Niortais, en l’espace de quelques mois. Si certains ont rebondi vers d’autres clubs en France ou à l’étranger, d’autres ont connu une issue plus compliquée, comme les joueurs canadiens du DHC, bien aidés par le comité de soutien pour aller à l’aéroport et qui ont du retourner au pays à l’exception de Nathan Meideros, parti à Montpellier. S’il reconnaît le côté louable de leur action, Olivier Ritz estime que l’action médiatique du comité a desservi la cause du hockey dijonnais, lui donnant une fausse image. 

Quid de la nouvelle ère ?

Niveau moral, c’est tendu et la chute de la structure pro n’a que des retombées néfastes et colossales sur l’image du club mais également sur la formation. Faut bien essayer de repartir de l’avant. Le nouveau projet soufflé par Olivier Ritz se veut ambitieux, peut-être trop au regard des moyens et des difficultés. Olivier Ritz souhaite que l’équipe soit composée de joueurs dijonnais en grande majorité, en mettant l’accent sur une formation de qualité. Celle-ci sera entraînée par Lionel Simon. Des anciennes gloires du hockey dijonnais ont même décidé de revenir filer un coup de main symbolique comme Aram Kevorkian, 35 ans.    

Néanmoins, la disparition de l’équipe professionnelle du DHC élimine toute perspective réjouissante pour tout jeune qui rêve de hockey. C’est comme si on éteignait la lumière située au bout de l’échelle. Ça va obliger l’équipe de D3 à des impératifs de résultats immédiats pour maintenir une cohérence dans le projet car tout le monde le sait : sans jeunes licenciés, la mort du hockey dijonnais est quasi assurée. Et encore, une hypothétique montée en D2 n’apporterait aucun gage.  

Puis le climat au sein de l’asso est vachement tendu. Les dernières assemblées générales mettent à jour la crise ambiante entre membres de l’asso et membres du bureau. Autant te dire que Trump et Kim Jong-un, c’est de la merde à côté. La dernière assemblée générale du 9 novembre aura duré 2h50. 2h50 de tensions, de mots crus, de critiques infiniment violentes. Les gens se demandaient « Quand est-ce qu’on monte le ring ? » Manquait juste Paul Amar et ses gants de boxe. Des membres de l’asso, parents bénévoles pour la plupart, ont dénoncé un manque de transparence et de clarté au niveau de la comptabilité de l’association. Ils ont également critiqué la direction du nouveau projet et le sort réservé aux catégories de jeunes, pointant du doigts plusieurs dysfonctionnements (manque d’entraîneur, problème de transport et de participation aux tournois).

À la toute fin de cette assemblée limite théâtrale, un mec a eu le génie d’ironiser discrètement : « Et maintenant, le pot de l’amitié ? ». En attendant, ça nous fait bien chier de voir le hockey dijonnais boiter comme ça. Courage mes Ducs. 

  • Mhedi Merini