Une créatrice de mode sur Dijon ? Vous ne le saviez pas ? Et bien nous non plus à vrai dire. C’est lors du festival de mariage You&Me que nous l’avons découverte alors qu’elle présentait sa marque de robe de mariées sur-mesure : l’Atelier du Balcon. Immédiatement, une foule de questions nous est venue à l’esprit, toutes rassemblées autour d’une problématique principale : comment réussit-on une carrière dans la mode en BFC ? Et quel meilleur endroit que ce festival pour lui faire notre demande, un genou à terre, l’autre replié : « Amélie, accepteriez-vous de répondre à une interview pour Sparse ? » L’émotion était à son comble. Après un grand « Oui », le rendez-vous fut confirmé… Malgré sa réussite et son talent, c’est avec humilité et beaucoup d’humour que cette artiste attachante nous reçoit dans son atelier dijonnais.

 

Crédit : Jeanne Tanne

Créatrice et costumière originaire du Morvan à la tête de deux marques : L’Atelier du Balcon & la marque éponyme Amélie Loisy-Moutault,  cette trentenaire, couturière bourguignonne, est une personne à connaître. Loin de la figure de « femme de » qu’elle pourrait représenter face à son mari Vincent Moutault, coiffeur dijonnais internationalement reconnu. Elle mène sa carrière avec brio, réussissant à se démarquer tout en collaborant parfois avec lui sur un pied d’égalité parfait. Une main de fer dans un gant de velours malgré sa réussite et son talent, l’artiste nous accueille dans son atelier dijonnais, situé dans les ateliers Ernest.

Lorsqu’on lui demande quand elle a commencé sa carrière, c’est avec une spontanéité déconcertante qu’elle nous répond : « toute petite ». Sa maman l’initiant à la couture, lui permettant de se construire des trousses ou coudre son propre pantalon pour sa rentrée en 6ème« Des choses improbables en mode jeu de construction » comme elle le décrit. Titulaire d’un BEP couture industrielle et d’un diplôme technique des métiers du spectacle option costume, elle commença à travailler en tant que costumière, créa l’Atelier du Balcon en 2013 qui était à l’époque un atelier de création de costume. Puis voyant ses envies évoluer, elle en fit progressivement un atelier de créations de sur mesure, principalement de robes de mariées, pour enfin fonder sa marque éponyme : Amélie Loisy-Moutault, lançant sa première collection Jeanne en 2016.

 

« J’ai besoin d’un certain bien-être et de calme autour de moi pour pouvoir créer et me développer. »

 

Dans sa carrière, elle a beaucoup voyagé, travaillé sur Nice en prêt-à-porter, dans le Sud-Ouest, la région Toulouse et le Lot pour les costumes et a également vécu quelques temps à Paris. Mais il n’y a qu’en BFC qu’elle est bien, « dans mes racines » dit-elle avant de poursuivre : « J’ai besoin d’un certain bien être et de calme autour de moi pour pouvoir créer et me développer, chose que je n’avais pas à Paris. Là-bas c’est trop oppressant, trop speed pour moi. Je vis dans la région, dans une maison à la campagne, j’ai besoin d’être connectée au monde. » D’ailleurs sa collection Jeanne, créée en Bourgogne, lui a très certainement été inspirée par son environnement actuel. « Je crée pour des femmes au tempérament affirmé, et déterminées. Ce sont des silhouettes de combattantes qui vont de toutes leurs forces vers leurs objectifs, avec leurs vies de femmes, de mères et d’amantes. J’aurais sûrement voulu parler d’elles à Paris mais avec certainement plus de violence. La période où j’ai vécu là-bas se rapproche plus des créations de ma collection Women of Darkness avec ses corsets… Alors que j’ai apporté plus de douceur dans la collection Jeanne que j’ai créée à Dijon. »

Elle ajoute : « La Bourgogne m’inspire de part son histoire, son architecture, sa nature, je me sens chez moi dans ce cadre. Ces villages, ces bâtiments, ces rues qui racontent des siècles d’histoire donnent des appuis pour rêver, se laisser porter. Pour la collection Jeanne, je me suis inspirée, au début, de l’armure, puis de cette jeune femme guerrière, je me suis raconté une histoire pour chaque modèle, là le bûcher, ici la sanctification, la rencontre avec le roi Charles… J’ai imaginé pour chaque moment important un vêtement. C’est vrai qu’elle n’est pas Bourguignonne et qu’elle a été récupérée par des groupes peu recommandables mais j’avais envie de parler de la détermination de Jeanne d’Arc qui a changé le cours de l’histoire, dans cette collection. La collection Women of Darkness est une suite de personnages féminins fantasmagoriques, l’inspiration est venue de plusieurs sources, livres, envie de défi technique, films… »

 

« La place de la mode dans la région ? La question n’est pas aussi globale, tout dépend de la gamme proposée. »

 

Crédit : Jonas Jacquel

Inspirante, la région, d’accord. Mais est-ce réellement un endroit où se développer ? C’est ainsi que nous avons abordé cette grande problématique de la place de la mode et de la création en Bourgogne-Franche-Comté. En réalité, la question n’est pas aussi globale, tout dépend de la gamme proposée. Pour la griffe la plus couture, Amélie Loisy-Moutault, il a fallu bouger pour la faire évoluer : « j’ai de très bons collaborateurs ici. Des photographes notamment comme Jonas Jacquel et David Brenot. J’ai également un très bon coiffeur bien sûr ; pour les créations éditoriales, j’ai rencontré une formidable designer-textile Anne Victor Studio, vivant à Dijon et avec laquelle je prépare ma nouvelle collection. Mais pour faire parler de soi il faut sortir de la région, nous ne sommes plus dans un monde où on est exclu régionalement. J’ai participé à la Western Canada Fashion Week et j’y retournerai en 2019 pour présenter ma nouvelle collection. La création se fait en Bourgogne-Franche-Comté, ensuite il faut une diffusion et je la souhaite plus large. » Pour sa collection prêt-à-porter, elle fonctionne avec un réseau porteur assez confidentiel, qui s’étend hors des frontières, tout le monde n’ayant pas l’audace de porter des pièces aussi fortes. A contrario, pour l’Atelier du Balcon, la diffusion se veut plus locale, Amélie explique : « Pour la création de robes de mariée, on peut créer des liens locaux et régionaux. Ce que je veux dire c’est que par le mariage, il a quelque chose de beaucoup plus intime et du coup on doit resserrer les relations avec les clients d’un point de vue géographique. Ce qui facilite également les rendez-vous puisqu’il y a de nombreux essayages et que la collaboration se fait sur le long terme. »

 

« Il est donc surprenant de constater que peu d’événements sont organisés dans la région pour mettre en valeur les créateurs. »

 

Pour répondre à la question de la place de la création et de la mode dans la région, tout dépend de la gamme proposée, alors que les plus « classiques » telles que les créations mariage seront boostées par les salons tels que Le festival de Mariage You&Me, le wedding business étant florissant (le marché pesait tout de même 5 milliards d’euros en France en 2016). Il compte de nombreux représentants et est donc avantageux à encourager. A contrario, les créations les plus coutures seront plus discrètes, en dépit des collaborations d’autres artistes locaux, ces dernières suscitent moins l’intérêt des néophytes et de la région elle-même qui ne semble pas être prête à leur laisser une place dans la lumière. Pourtant la Bourgogne-Franche-Comté est fière de vendre sa culture, avec ses réalisateurs et musiciens, par le biais de nombreux festivals. Il est donc surprenant de constater que peu d’événements sont organisés pour mettre en valeur les créateurs, empêchant les habitants d’apprécier l’étendue de la diversité artistique que la région représente, puisqu’Amélie n’est pas la seule créatrice de la région.

 

  • Lison Detang

Photo Une : Jonas Jacquel