Graham Lewis et Colin Newman, membres du groupe mythique Wire, se sont arrêtés pour répondre aux questions de Campus. Des mecs très tranquilles, trop même, et qui pensent tout le plus grand mal de Thatcher. Discussion à la cool. In English.

On est toujours étonné d’avoir des groupes qui existent depuis aussi longtemps (NDLR : Wire s’est formé en 1977). Est-ce que vous êtes vous-même étonnés par votre longévité et de poursuivre ensemble votre passion en 2018 ?

Colin Newman : Pour nous, le début s’est fait le 1er avril 1977. Ça n’a pas été d’un trait car il y a eu des périodes où il y a eu des blancs. Je ne peux pas trop en dire mais notre première album Pink Flag de 1977 va être réédité cette année comme ceux de toute la période fin 70-début 80.

Graham Lewis : Ce qui est bizarre pour nous, c’est qu’il y a toutes ces vieilles choses qui vont ressortir cette année. Mais en même temps, on a le sentiment d’être toujours très contemporain et c’est la manière dont on a toujours vécu la chose même à l’époque de Pink Flag.

Colin Newman : Le problème maintenant, c’est l’héritage. C’est vrai qu’il y a plein de groupes qui ont un héritage énorme qui ne se posent même pas la question, ils continuent à jouer en se reposant sur leurs vieux trucs. Pour nous, c’est une méthode qui a du sens, surtout artistiquement mais aussi par rapport à ce que cela nous rapporte.

Graham Lewis : C’est aussi comme ça qu’on a formé le groupe. On vient tous du même endroit, on a fait des études d’art. C’est les mêmes problématiques dans l’art, on a l’impression que quand un artiste contemporain fait des vieilles choses, il est mort ou inactif. Mais nous, on a toujours été dans ce schéma-là.

Ça veut dire que vous ne vous êtes jamais posés la question de la longévité du groupe ?

Graham Lewis : Non, en fait, quand on est arrivé à la période de One Five Four, on s’est rendu compte qu’on était dans un son qui était tellement en avance par rapport à ce que faisait les autres que quelque part on allait être emmerdé, mais d’un autre point de vue.

« La deuxième école disait qu’on était les meilleurs parce qu’on a cassé toutes les règles du punk. Ma réponse à ça : Abba aussi l’a fait. »

Vous pouvez nous parler un peu du Londres de 1977 ? C’était au moment où vous commenciez, avec d’autres groupes déjà présents, c’était quelle énergie à Londres à ce moment-là ? Est-ce que vous avez profité de cette énergie ?

Graham Lewis : Déjà, il faut se rappeler et c’est dur de se l’imaginer. Pour cela, je vous recommande un livre d’un Japonais qui a fait des photos du Londres dans les années 1977. Il n’y a rien de glamour, rien d’attirant à propos de ces endroits. Quand tu les regardes, tu as l’impression que la seconde Guerre Mondiale vient de se terminer. Y’a des trous, des bâtiments très abimés, les couleurs sont monochromes et pendant ce temps là, y’a très peu de gens qui s’amusent, tu vois des grèves, des choses qui brûlent. C’est ça, 1977. Il fallait bien trouver quelque chose pour essayer d’être heureux.

Colin Newman : On avait l’impression à l’époque qu’on venait tout juste de se remettre de la guerre. Ça ressemblait vraiment à pas grand chose. On n’était pas trop dans la scène punk. On n’est pas punk en fait. 

Pourtant, il y a quelques années, le magazine Rolling Stone disait que vous étiez le groupe qui reflétait le mieux le punk anglais. Et là, vous nous dîtes le contraire…

Graham Lewis : S’ils le disent, c’est que cela doit être vrai (rires).

Colin Newman : Il y a 2 écoles de pensée. La première école dit que si tu vas demander à un groupe de punk des années 70, pour eux, on était vraiment un sous groupe de punk. On n’était pas bon. Les punks n’aimaient pas ce qu’on faisait. Les morceaux étaient trop courts, on faisait des « slows ».

Graham Lewis : On n’avait pas l’image, on était trop propres, beaucoup trop propres.

Colin Newman : La deuxième école disait qu’on était les meilleurs parce qu’on a cassé toutes les règles du punk. Ma réponse à ça : « Abba aussi l’a fait ».

Graham Lewis : Ma réponse à moi c’est que les Monks l’ont fait avant tous les autres…

On aimerait revenir sur votre travail actuel. Vous dîtes : « on fait des disques ». Malgré le break qu’il y a eu dans l’histoire du groupe, vous continuez à en faire et c’est pour cela vous êtes reconnus. C’est quoi le travail sonore pour vous ? Vous avez fait des dizaines d’albums. Comment vous faites pour vous renouveler ? Comment on arrive à chercher un son toujours nouveau pour un nouvel album ?

Colin Newman : C’est la mauvaise manière de voir les choses pour moi. On essaie de trouver quelque chose qui marche entre les différents membres du groupe et de rendre la chose aussi transparente que possible. On n’essaie pas d’avoir un nouveau son ou de sonner différent, on fait ce que le groupe sait faire, et si ça marche, c’est cool !

Comment vous savez que ça marche ? Vous avez sorti énormément de lives, vous êtes plus à l’aise avec le son live ou le son studio ?

Graham Lewis : Non, c’est vraiment deux choses différentes pour nous.

Colin Lewis : Pour nous ça veut pas dire grand chose, Pink Flag est sorti en décembre 1977, il y a un concert live qui est sorti sur Legal Bootleg le même mois et je pense que c’est sur celui-ci où l’on jouait juste 2 morceaux de Pink Flag.

« L’album Pink Flag a été super important car il a servi a beaucoup d’autres gens. »

 

L’envie de créer des morceaux, d’être un groupe de rock reste le vrai moteur…

Graham Lewis : On n’est pas vraiment un groupe rock. C’est pas la question pour nous.

Colin Newman : C’est plus juste un média, un procédé artistique sur lequel on n’essaye pas de coller un terme précis.

Graham Lewis : On essaye juste d’être contemporain et de courir après ce truc un peu actuel, comme d’autres artistes.

Il faut rappeler que dans les années 70, il y’a des groupes outsiders comme vous, qui disent : « On veut casser les codes du rock ». Contre quoi est-ce que vous vous battiez ?

Graham Lewis : On ne se battait contre rien. Au début des années 70’s, j’ai eu la chance de voir Roland Kirk jouer, d’écouter Can, j’en n’avais pas grand chose à faire de voir des groupes de rock jouer dans les bars. Les Pistols étaient drôles.

Colin Newman : C’est vrai, on ne se battait contre rien. On faisait juste ce qu’on avait envie de faire. Quand je raconte cette histoire où on jouait juste 2 morceaux de Pink Flag, 2 semaines après que l’album soit sorti, personne nous avait dit à l’époque qu’il fallait jouer ces morceaux. On écoutait juste notre instinct et quelque part cet instinct de base, c’est le seul que tu as.

Graham Lewis : Peu importe ce que tu as à faire, tu dois te pousser pour faire quelque chose de différent.

Ce son que vous faisiez dans l’urgence en 1977, 40 ans après, quand vous le réécoutez, vous en pensez quoi de ce son de Pink Flag ?

Colin Newman : On n’y retournerait pas hein. Franchement, c’est un peu dur. C’est pas conseillé, c’est assez monophonique.

Graham Lewis : L’innovation était importante à l’époque mais avec le recul, ça peut sembler un peu naïf, un peu simple. D’une certaine manière, c’est pour ça que Pink Flag continue à marcher et a une vie si longue. À l’époque, c’était ce qu’on voulait faire et aussi ce qu’on était capable de faire car on n’avait pas des masses de connaissances. Par contre, on avait beaucoup d’imagination et d’énergie. Cet album a été super important car il a servi a beaucoup d’autres gens, notamment à la scène hardcore aux Etats-Unis mais également en Suède. C’est un album qui a changé la vie de beaucoup car il voulait clairement dire : « Vous aussi vous pouvez le faire ». C’est juste qu’on y a pensé avant eux.

« On adorait aller jusqu’à Manchester et voir ces pauvres types pour leur montrer ce qu’on portait. »

À l’époque, vous étiez potes avec qui ?

Colin Newman : Des amis ? Personne ! On n’avait pas d’amis !

Vous avez quand même pas mal changé de look les gars depuis tout ce temps, ça vous fait quoi de vous voir avant sappés comme ça ?

Colin Newman : Quand je regarde ces photos de nous dans les années 70, je me dis qu’on avait l’air cool. On n’était pas si stylé en fait.

Graham Lewis : Moi j’aimais bien cette idée de la mode, c’était important et quelque chose dont je faisais attention.

Et la pose ? L’attitude ? C’est important aussi.

Graham Lewis : Oui, l’attitude ça remonte à longtemps. Il y a toujours eu cette idée en Angleterre, pour les travailleurs, de se moquer des classes supérieures en s’habillant un peu comme eux, de reprendre un peu leur code mais de façon sarcastique. On se moquait des dandys et les modes sont un très bon exemple pour ça. Puis les punks sont arrivés après les mods.

Puis après le look Wire …

Colin Newman : Peut-être, mais on a emprunté plus aux mods qu’aux punks. Puis, on portait le greenmax, c’était comme des manteaux de pluie très longs et verts qui venaient d’Allemagne.

Graham Lewis : À l’époque, les gens se seraient entretués pour porter ça ! On adorait aller jusqu’à Manchester et voir ces pauvres mecs de Manchester, pour leur montrer ce qu’on portait.

Vous vous êtes battus déjà d’ailleurs, vous étiez du genre castagne entre groupes ?

Graham Lewis : Non, on se parlait même pas. Nous, on était tellement cool !

  • Interview réalisée par Martial Ratel & Chablis Winston. Traduction : Sophie Brignoli.

Photos : Nicolas Coupet.