Raffinement, histoire et modernité… Plongée au coeur de La Maison des Cariatides, en plein quartier des Antiquaires.

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Ce restaurant invite à la rêverie. Transport évident dans le passé, déjà, puisque il se situe dans le quartier des Antiquaires, qui se prête adéquatement à la flânerie. Mais surtout le propriétaire du lieu a eu l’intelligence de mettre en valeur le génie architectural de la maison Pouffier, créée au tout début du XVIIème siècle par une riche famille de chaudronniers : des cariatides (statues de femmes habillées en tunique et remplaçant des colonnes) et des atlantes (leurs variantes masculines) confèrent une beauté unique au lieu, d’ailleurs consacré monument historique. L’endroit a tour à tour été une épicerie, un magasin d’antiquités, une fabrique de poêles et de cheminées, une entreprise d’ameublement… mais ne semble aucunement avoir souffert de ces étonnants usages : la magnifique poutraison a été préservée, et d’imposants abats-jours modernes forment un intéressant contraste, tout en sauvegardant la sobriété de la pièce : une lumière très tamisée rend le lieu tout à fait romantique, recommandable pour les dîners en couple qui se veulent un peu raffinés.

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On y est aussi confortablement installé dans un mobilier moelleux, sur de magnifiques tables laissant apparaître les aspérités du bois. C’était en effet une idée fort louable de faire de ce lieu une place forte de la gastronomie bourguignonne ; et de ce qu’il nous a été donné d’entrevoir, on ne doute pas un instant de son avenir.

La soirée pourrait d’ailleurs débuter dans deux beaux bars à vins se situant à proximité du restaurant, en fonction de vos affinités avec les patrons et la population qui les fréquente : Chez Bruno et le récent La Cave se rebiffe, qui ont tous deux une carte excellente de vins bourguignons. En vérité – et même si des rumeurs circulaient sur le côté peu garni des assiettes – nous devons bien vous mettre en garde contre le souhait de picorer dans un autre établissement avant de vous rendre dans celui-ci : l’équipe a multiplié les mises-en-bouche et les entremets pendant tout le début du repas, avec pas moins de cinq petits services forts appréciés.

Un chef en permanence accroupi à
quelques centimètres de ses créations

Ces petites bouchées ont le don de mettre vos papilles en alerte, vous renseignant d’emblée sur la qualité de la cuisine pratiquée ici. Leur variété ne peut également que ravir, surtout si vous êtes facilement émoustillés par les surprises, entendre : ce qui n’était pas prévu dans le menu. Il nous a été ainsi servi de petits cubes de jambon persillé maison avec la fameuse mayonnaise légère dont nous aurons à reparler par la suite, et des gougères au comté parfaitement réalisées.

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Nous avons opté pour le menu « découverte », qui porte relativement bien son nom, permettant en effet à la fois de mettre à profit certains aliments peu usités dans les cuisines dijonnaises, et de révéler la minutie du chef. Celui-ci est d’ailleurs en permanence accroupi à quelques centimètres de ses créations, leur portant une attention ostensible. L’idée de la cuisine ouverte est d’ailleurs vraiment une réussite, d’autant que celle-ci ne s’avère pas particulièrement bruyante : les plus curieux pourront même venir observer la petite équipe de Thomas Collomb s’affairer, en prenant soin quand même de ne pas gêner le service. Nous avons pu apercevoir des enfants gourmets mettre à profit leur smartphone, puisque ici de toute évidence, le plaisir des yeux n’est pas un vain mot.

Notre entrée était la « Féra du Léman briochée avec ses pointes d’asperges, mayonnaise chaude et semoule végétale ». Par le terme brioché, il faut justement entendre une certaine cuisson qui donne un aspect toasté très agréable par contraste avec d’une part la peau ferme et croquante, et la chair molle et douce du poisson de Suisse (en fait il est introduit dans les lacs alpins et jurassiens depuis un petit moment). Pour ceux qui s’inquiètent sitôt que le mot « mayonnaise » est prononcé, il nous faut les rassurer : elle est d’une légèreté confondante, de cette discrétion nécessaire, celle qui permet aux aliments simples de dévoiler leurs propriétés : ainsi de ces morilles cuites à la perfection, libérant toutes leurs saveurs. Le Chablis au verre (6 euros) que nous avons choisi pour l’accompagner, semblait pour sa part un peu trop discret, et il était un peu jeune (2011). Cela dit, cette légère minéralité pouvait là aussi apparaître comme une proposition adaptée, permettant la mise en valeur de la vivacité et de la justesse du plat avant tout. La carte des vins est très riche et se prête à tous les budgets, mettant heureusement en valeur des vins de la régions.

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On notera enfin l’originalité d’une telle proposition, loin des rébarbatives Saint-Jacques et du foie gras qui, travaillé ou non, n’en devient pas moins un met standard dans les restaurants gastronomiques de la France entière. On se garde le « Pâté chaud de lapin fermier de « Oucherotte », ragoût de blettes et navets du pré velot à la marjolaine. » – ouf ! – pour la prochaine fois, puisque il était d’ores et déjà certain que nous reviendrons.

Une carte réduite qui garantit
la précision et la qualité des plats

Malgré le fait que nous nous soyons laissés tenter par un verre de Chambolle-Musigny (11 euros quand même, mais c’est bien le prix pour un Arnould-Lachaux), notre choix a divergé pour le plat de résistance. Mon accompagnatrice, décidément ravie par la qualité du plat de poisson en entrée, se décide pour un « Sandre sur peau, quenelle aux morilles fraîches, fumet réduit au vin jaune, choux farci à l’anguille fumé » présenté de manière ravissante. Les saveurs des quenelles explosent en bouche, le chou forme un contraste saisissant avec la tendresse du sandre, et on retrouve cette attention insigne du chef pour le jeu des textures. J’ai pour ma part opté pour la « Basse côte « Black Angus » oignon doux confit au poivre de sarawak, consommé de mousseron. » Celle-ci, avec votre aval -très important – est servie saignante, presque bleue, ce qui ne manquera pas d’en inquiéter quelques un(e)s et de faire surgir les instincts carnassiers chez d’autres.

La « Black Angus » est une race bovine créée au XVIIIème siècle en Ecosse, à la chair légèrement persillée, juteuse et très grasse, ce qui permet bien entendu de redoubler son goût. Elle est très en vogue dans les pays anglo-saxons, qui apprécient sa succulence, garantie sans hormones, avec des bêtes nourries avec certaines céréales spécifiquement sélectionnées pour mettre en valeur ces caractéristiques de goût de la race.

viandePour tout dire, et même si la part de viande était tout à fait respectable, nous nous sommes souvenus de ragots sur la taille des mets aux Cariatides : l’assiette semblait effectivement un peu trop vide au premier abord : le consommé de mousseron, certes exquis avec ses teintes légèrement sucrées, accompagnait parfaitement la viande et l’oignon doux confit qu’on ne songe à cuir uniquement lorsque on fait des planchas ; l’assiette n’en restait pas moins très claire. Mais très rapidement, l’équipe des serveurs aux petits soins nous ont amené un potage très odorant où flottaient de petits raviolis fromagés très doux, et d’où ressortait cette touche d’ail absolument pas agressive se mariant parfaitement avec l’oignon doux évoqué plus haut. Une généreuse assiette de purée maison très crémeuse venait mettre fin à nos inquiétudes et contenter nos papilles.

L’assiette de fromage était plutôt petite, mais nous a permis de terminer en bonne compagnie notre Chambolle-Musigny : d’infimes parts de chèvre cendré et coulant, et de l’indispensable Epoisses permettent de se sustanter honorablement. Le dessert devait être commandé au début du repas pour être confectionné de façon opportune par le chef et son équipe. On ne peut là encore que s’extasier sur l’originalité du premier plat sur lequel un de nos choix s’est porté : pour finir tout en fraîcheur, une assiette de fraises. Cela dit, nous devons bien confier ne pas avoir senti le moins du monde le poivre… Avec la note, vous découvrirez des petits caramels mous fabriqués par le chef, absolument délicieux. Pour 39 euros, nous n’avons absolument pas été déçus : combien de chauffe-plats dijonnais vous proposent sans honte du surgelé pour à peine dix euros de moins ? Bien sûr, quelques esprits chagrins reprocheront la taille de la carte, contenant cinq entrées, plats et desserts. Mais cela garantit vraiment au contraire la précision et la qualité des plats. Et puis la direction nous a affirmé que de nouveaux étaient proposés environ tous les deux mois. Ce qui nous a été servi nous a paru déjà exceptionnel, nous invitons donc les Dijonnais à y faire un tour si leur porte-monnaie leur permet.

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La Maison des Cariatides est de ces établissements qui nous invitent parfois à mettre la main à la poche sans aucun regret, et nous incitent à retrouver cette humeur rêveuse dont nous parlions au début de notre article. Combien de tables dijonnaises peuvent nous permettre de retrouver un tel sentiment de plénitude à chaque service ? Pour vous donner un ordre idée du plaisir que nous avons pris dans cet établissement, je laisse la parole à cet écrivain qui a tâché de penser les rapports entre nos différents sens. Et tant pis si le ton de ma chronique paraît apologétique:

« Entre la stupeur et le ravissement, comme en une chute heureuse, nous sommes saisis d’une émotion qui contient aussi une confirmation profonde : un léger frémissement court dans le voile mystérieux, le rideau de miracles de notre monde sensoriel. Il n’est pas de mets, à la table où nous sommes, qui ne soit épicé d’une parcelle d’éternité » – Ernst Jünger, Le coeur aventureux, p. 40

– Tonton Stéph
Photos : DR – La Maison des Cariatides – T.S.

La Maison des Cariatides, 28 rue Chaudronnerie
03 80 45 59 25 – Site internet