Mais qui est donc Terrence Malick ? Juste un des plus grands cinéastes actuels. Tout simplement. Et pourtant, ce réalisateur reste injustement méconnu. Peut-être parce qu’il n’apparait jamais en public, qu’il n’accorde jamais d’interview et qu’il laisse planer le mystère autour de lui. Les seules traces laissées sont ses films, incroyables, véritables poèmes en images, où chaque plan est d’une beauté consternante. Pourtant on peut dire que la rareté de ses apparitions est proportionnelle au nombre de ses films : 5 chefs d’oeuvre en 40 ans!

Son premier film est La Ballade Sauvage en 1974, avec Sissy Spacek et Martin Sheen en couple symbole d’une jeunesse rebelle et révoltée, un peu comme de jeunes Bonnie et Clyde. Un coup d’essai qui annonce déjà les futurs coups de maître. Vient 4 années plus tard Les Moissons du ciel avec Richard Gere et Sam Shepard. Sur le carnaval des animaux de Saint Saëns et une magnifique composition d’Ennio Morricone, on suit le parcours funeste d’un jeune couple (à nouveau) durant les moissons au Texas. Il suffit de quelques plans de champs dévastés par les flammes pour comprendre qu’on a affaire à un cinéaste perfectionniste, attentif à ce que peu dégager une image. Ce qui lui confert un respect semblable au génie de Kubrick.

21 ans passent et La Ligne Rouge, projet fleuve auquel les meilleurs acteurs de la planète rêvaient de participer, sort enfin en 1999. Car l’importance est de pouvoir dire un jour : « J’ai travaillé avec Terrence Malick. » Il prend son temps sur le tournage et rend les acteurs fous furieux à force d’attendre la lumière idéale. Plus qu’un simple film de guerre sur la fameuse bataille de Guadalcanal, La Ligne Rouge est un film sur l’homme, sa folie détruisant la vie, la nature, impuissante. Précisons au passage que la prestation de George Clooney est réduite à 5 minutes, et que Johnny Depp et Viggo Mortensen sont coupés au montage. Idem pour Ben Chaplin dans Le Nouveau Monde, l’histoire de Pocahontas sortie en 2006. Il ne fait pas dans la dentelle Terrence, il a toujours le final cut, tourne en équipe très restreinte et favorise l’improvisation. Quant au montage, il peut durer des années, la preuve : 2 ans de montage pour Les Moissons du ciel ; quant au très attendu Tree of life,  il devait être présenté l’an dernier à Cannes mais le montage n’étant pas fini, Thierry Frémaux a du se contenter d’attendre. Mais cette semaine aura-t-on la chance d’apercevoir ce bon vieux Terrence à Cannes? Pas en présence de Sean Penn en tout cas. Les deux amis (ils ont tourné 2 films ensemble et haïssent la presse) ne se parlent plus, allez savoir pourquoi… Il faut dire que les deux ont l’air d’avoir un caractère bien trempé. Sean a annoncé qu’il ne monterait pas les marches avec l’équipe du film, dommage…

Parlons un peu du parcours de Terrence Malick.  Né un 30 novembre 1943 ou 1945 au Texas, à Waco ou Austin (le mystère plane). Très jeune il contemple la nature en découvrant sans le savoir les principes de la philosophie. A Harvard, il étudie la philosophie puis obtient une bourse à Oxford et passe sa maîtrise. Mais il se dispute avec son directeur de thèse (il se dispute souvent apparemment) et décide de claquer la porte juste avant d’obtenir son doctorat. De retour au pays, il traduit Heidegger, écrit dans Life et le New Yorker, malaxe le ciment et récolte le blé comme son père, et enseigne la philo au Massachusetts Institute of Technology. En 1969, il entre à l’American Film Institute et participe à l’écriture de L’inspecteur Harry avec Clint Eastwood et d’autres films pour financer ses études. Il décide ensuite de devenir réalisateur.

La particularité qui fait le style si personnel de Malick est sa mise en scène unique. Dire que Malick filme la nature dans tous ses films, c’est un euphémisme : plans sur des herbes se balançant au gré du vent, sur la faune, les arbres, un cours d’eau, le ciel… Toutes ces magnifiques images sont assemblées minutieusement dans un montage des correspondances, où parfois le sens des relations entre les images est difficile à saisir. C’est tout au long du film, lorsque l’intrigue se perd, que nous comprenons peu à peu le rapport entre ces images a priori anodines et les actions des protagonistes.

La nature est filmée comme un témoin des événements, que ce soit du triangle amoureux et de la misère dans Les moissons du ciel, de la bataille de Guadalcanal dans La ligne Rouge, ou du combat entre colons et indiens dans Le nouveau monde. Au gré de sa filmographie, Malick nous montre que le personnage principal à la présence constante est la nature, dans toute sa splendeur, dans sa faiblesse et sa destruction. Malick est sans conteste un cinéaste poète, de par sa culture étendue, son goût de l’épicurisme et du voyage. Malick aime aussi montrer les envolées d’oiseaux, comme un dernier symbole de liberté.

S’ajoute à la poésie la communication de la philosophie. Dans chacun de ses films, Malick introduit une ou plusieurs voix-off, enfantine dans Les moissons du ciel, plurielle et masculine dans La ligne rouge, plurielle et mixte dans Le nouveau monde. Le rôle de la voix off est tout à fait particulier. Il n’a pas de but narratif, mais laisse exprimer le personnage au gré de ses pensées. On se retrouve à écouter avec passion les multiples questionnements, les méditations et l’émerveillement des personnages, face à une nouvelle situation sociale, face à la mort,  à l’amour, à la nature ou même à évoquer des souvenirs. Tout un éventail des sentiments humains. En ressort une profonde méditation des émotions humaines et du sens de l’existence. On pense alors à Heidegger ou à Whitman, philosophes amoureux de la nature et de l’existence, qu’a étudié le cinéaste. On attend donc avec impatience Tree Of Life, nouvelle réflexion cinématographique sur l’éducation, la vie et le cosmos, que certains annoncent déjà comme son 2001, l’odyssée de l’espace. Malick est un poète du cinéma, et certainement l’un des meilleurs.

__
Tree of Life
. De Terrence Malick. USA. Avec Sean Penn, Brad Pitt, Jessica Chastain…
Sortie nationale le mardi 17 mai. En avant-première le lundi 16 mai à 20h, en VOST, au cinéma Eldorado.