Jean Giraud alias Moebius est mort samedi dernier. Un vrai coup dur pour les amateurs de bédé et de graphisme de tous poils. Puisque Giraud avait seulement 73 ans et que son talent était proportionnel aux années qu’affichait son compteur, il lui restait énormément de bonnes choses à nous offrir. Mais disons le tout de suite, Moebius n’a jamais, mais vraiment jamais eu en France la reconnaissance qu’il méritait.

Y‘a 15 jours encore, le galeriste d’Arludik, un lieu spécialisé à Paris, m’indiquait qu’il était le premier à avoir exposé ses œuvres il y a une petite dizaine d’années ! Rendez-vous compte : ce type actif sur sa planche à dessin depuis les années 60/70, reconnu outre-Atlantique depuis les années 80 et considéré au Japon comme un demi-dieu du dessin… n’a commencé à être reconnu ici qu’à 60 piges, et la première grande rétrospective c’était seulement à la fin 2010, Fondation Cartier !

Alors pourquoi on parle tant de Moebius ? Tout bêtement parce que ce monsieur avait un talent énorme. Ils sont nombreux à avoir du talent mais en plus et surtout, ce type ne semblait connaître aucune limite. Et c’est pas excessif de parler de génie créatif.
Avec un facilité déconcertante, il passait du registre cowboys et indiens, Blueberry, sous le nom de Gir… à l’Incal et ses univers baroques, sous le pseudo Moebius. Y’a tout juste un an, je vous parlais du très beau recueil 420 pages sur ses années au sein du mag’ Métal Hurlant. On y trouvait des mondes, des histoires complètement barrées, surtout différentes les unes des autres et absolument originales dans le paysage de l’époque. Je vous le re-conseille ou à défaut, replongez-vous dans cette magnifique chronique consultable ici-même.

Invention de nouveaux mondes et psychédélisme

A l’arrivée, on retiendra de cette personnalité multiple ses inventions de mondes : des cactus, des cowboys, pour une esthétique western spaghetti ou carrément mentale, et à coté toute une série d’histoires métaphysiques ou autofictionnées ou de science fiction, ou tout ça mélangé. Entre nous, j’l’ai jamais considéré comme un véritable auteur de SF. Pour moi, ces déserts et ces espaces étaient de grandes ouvertures métaphysiques en bon héritier de De Chirico et des surréalistes. Le psychédélisme est aussi forcément un mot qui colle à son œuvre même si contrairement à sa réputation, Giraud n’a jamais été un grand consommateur d’hallucinogènes. Il déclarait n’avoir gouté qu’une seule fois aux champignons lors d’un voyage de jeunesse initiatique au Mexique. Bon, ça lui a sûrement collé une énorme claque puisqu’il n’a jamais cessé de dessiner des déserts et des grands espaces…

Ce visionnaire a été consultant sur pas mal de films dans les années 80, notamment pour Ridley Scott et son Alien ou pour Tron et ses décors de synthèse. De mon coté, je vous conseille la lecture de l’Incal, sommet d’excentricité, d’inventivité et de liberté crayons et pinceaux en main. Le Monde d’Edena, une série relativement étalée dans le temps, il y est allé tranquille le pépère : un monde futuriste finalement concentrationnaire où l’amour est en butte avec le mécanisme de la société, tout en couleurs délicates -espèces de pastels- et en rondeurs typiques de la patte géniale de Moebius. Et puis, y’a aussi cette invitation de Stan Lee à dessiner une histoire du Surfer d’Argent

Paradoxal, maître du contrepied, schizo… voilà les derniers qualificatifs qui collent et qui résument assez bien Giraud et son œuvre. L’hommage est unanime, normalement ça sent le truc pourri, mais vraiment, vraiment, on vient de perdre un des plus beaux talents graphiques que la France ait porté. C’est les mouettes à béton qui vont être tristes…

Martial

http://www.moebius.fr
http://xn--mbius-hbb.com

Photo : Jean Giraud à la Fondation Cartier (c) SIPA