Philippe Perrin aime la boxe, le rock, les polars, les flingues, les bandits romantiques… Installé à Nice depuis un certain temps, il a aussi fréquenté des types un peu louches, des gens du milieu. Connu -entre autres- pour son installation hommage à Jacques Mesrine lors de la Biennale de Lyon en 1991, il excelle dans les œuvres mêlant violence et tendresse. Invité à Dijon dans le cadre du festival One+One, on a discuté un petit moment lors du vernissage de son expo à la galerie Barnoud, entre deux binouzes et une dizaine de clopes. Entretien caillera et sans compromis, avec un mec vraiment attachant.

Comment tu es arrivé ici à Dijon, pour One+One ?
J’ai reçu un mail, via différentes galeries de je-sais-pas-quoi, via la galerie Barnoud à Dijon. Ils voulaient savoir si ça m’intéressait de faire une exposition chez eux à l’occasion du festival One+One. Donc moi je leur ai dit « a priori ouais, dites m’en plus… ». Et voilà maintenant je suis là !

Tu connaissais Dijon ?
J’étais jamais venu. Je suis né à Grenoble, donc comme ça ressemble un peu si tu veux ça, me rendait un peu allergique.

T’en penses quoi ?
J’en sais rien, je connais rien à Dijon. Je suis là depuis 3 jours, on a fait deux-trois restos, mais je connais pas. Il paraît que c’est une ville très sympathique, j’en ai entendu du bien artistiquement parlant.

Et ton expo ?
Bah, je l’aime bien.

Tu peux nous la présenter ?
Tu l’as vu, tu peux en parler, toi. Tu vas pas m’emmerder !

Ouais mais j’aimerais que ce soit toi qui en parle.
C’est une sélection de pièces. C’est un peu des pièces de musée quand même, y’a des trucs qui ont été montrés au musée Maillol, à la Maison européenne de la photographie.
Donc c’est une sélection cohérente pour faire un bel ensemble. Je trouve que ça marche bien, ça s’appelle « Stairway to hell », qui est évidemment une contraction des titres de rock qu’on connait : « Stairway to heaven » et « Highway to hell ». Et je leur ai proposé des œuvres, assez ciblées quand même, pour pas qu’ils aient trop de choix ! On a vu tout ça et on les a mises en scène ensemble, avec l’esprit galerie/appartement/maison chez des gens. C’est sympa.

T’aimes l’esthétique des gangsters ?
Oh j’en ai marre de répondre à ces putain de conneries. (rires)
Tu coupes pas ça, hein ! Non mais oui… j’aime bien.

Ça t’emmerde d’en parler ?
Disons que c’est la formule rapide. C’est le fast-machin, le digestif de mes œuvres. Mais oui, en même temps y’a des flingues de partout. J’ai fréquenté des gangsters, les plus gros de la planète. Maintenant si tu veux, au bout d’un moment, ils étaient cons comme des manches à balai, j’en ai rien à foutre et on en parle plus.

Ils étaient cons ?
Oui… mais non, enfin bon on va pas… J’vais me faire buter après ! (rires)
Les plus intéressants sont morts maintenant. Ça a changé, c’était une autre époque encore, tu vois les codes et les trucs comme ça, ce sont plus vraiment les mêmes.
Il en reste un peu dans le sud, deux-trois à Paname, mais ils sont âgés. Donc voilà, j’ai toujours été comme ça, j’ai grandi dans des quartiers un peu cailleras. Mais c’est pas que les gangsters en fait, c’est le polar, c’est tout le romantisme qui va avec…

Le cinéma ?
Ouais exactement.

Scarface ?
Même plus tôt, Borsalino, les trucs d’avant, avec les guns en agrandis, les films italiens.
Et bien sûr Scarface, Il était une fois en Amérique, etc.

C’est quoi ta scène préférée de Scarface ?
Rah… comme ça là, à l’arrache ? Quand il est bourré dans le bar, « c’est moi le mauvais garçon » et qu’il insulte tout le monde de fils de pute. Je crois que ça doit être celle là.

La scène de la tronçonneuse est quand même magique aussi.
Oui mais celle-là, elle est trop classique. Quand il est bourré et qu’il insulte tout le monde j’ai l’impression de me voir quand j’étais plus jeune.

T’étais comment ?
J’étais plus que pénible. Au lycée ils m’ont pas gardé longtemps, juste quelques mois. Je suis allé au beaux-arts juste après. Le lycée c’était pas pour moi, ça me faisait chier. J’étais très bon à l’école, jusqu’en sixième. Et après ça m’a saoulé. Ça m’intéressait pas. Je trouve que l’école, c’est un truc où on te formate. Le système éducatif est mal foutu, surtout en France. Enfin je sais pas comme c’est ailleurs mais on dit que c’est mieux.
J’avais une sorte d’allergie naturelle, c’était pas calculé. Et puis je suis allé aux beaux-arts à 16 ans, ça m’a permis d’être bien dans un truc. Les beaux-arts à l’époque c’était marrant, maintenant on y fabrique des produits tout prêts. Les beaux-arts aujourd’hui, c’est la Star Ac’. Le Centre Beaubourg on dirait l’émission de Canal+, le Grand journal. Ça va, c’est un peu pénible. Les mecs apprennent à faire du business, ils n’apprennent plus à réfléchir. Ils apprennent à vendre un truc.

 

« Je vois que les gamins maintenant veulent voter FN. J’hallucine un peu. Alors que quand on était gamins on était tous de gauche. Même le mec qui devenait super de droite après, bah il était de gauche quand il était jeune »

 

Y’a un message derrière tes œuvres ?
Non, c’est à toi de voir ce que tu veux. Après y’a plein de strates, plein de choses. Y’a des gens qui parlent de mes œuvres mieux que moi-même, qui voient des trucs que j’ai même pas vu. Et qui des fois ont raison en plus ! Moi je fais ça un peu bestialement, au premier degré. C’est une sorte de pensée, des émotions. Mais je calcule pas. Et pour le sens, je laisse les gens vivre les œuvres. Je suis pas là pour faire le guide dans une expo.
Pis j’aime pas trop parler de l’art, j’ai pas beaucoup de copains artistes.

Donc faire un vernissage comme là ce soir, ça t’ennuie ?
Non, c’est sympa. J’ai fini mon travail maintenant, je suis là pour boire des coups et fumer des clopes ! On va essayer de passer de la musique et tout ira bien. Mon travail est fait tu vois. Je suis pas le mec qui va t’expliquer que 1+1 ça fait 2. Souvent maintenant, les mecs c’est ça. T’arrives ils te disent qu’1+1 ça fait 2. Ah ouais ! Putain, pas con ! Super. Donc moi je te dis rien, tu te démerdes. Là par exemple tu regardes ça (il montre les tableaux accrochés au mur). Tu crois que ce sont des éclipses, alors qu’en fait c’est la dernière vision d’un mec qui se prend une balle dans la tête. Et en même temps c’est un barillet 6 coups. C’est un 357 quoi. C’est comme une rafale en fait, une rafale de balles dans la tête. C’est pas du tout une éclipse. Et elles ont toutes un p’tit nom, tu vois c’est comme des portraits. Et la grande là-bas c’est Big Jim Colosimo, un des premiers gros mafieux Américain.

Tu te documentes vachement ?
Ouais, mais c’est naturel. Si on cherche à se documenter déjà, ça veut dire que ça fausse aussi le truc. Et à force de voir des trucs, t’en déduis que c’est cette pièce que t’as envie de faire. Je fais pas des recherches pour faire une pièce.

C’est quoi la plus grosse connerie que tu aies jamais faite ?
Ah j’en sais rien, j’en ai fait plein. Je sais pas. Peut-être qu’il y en a que je peux pas dire non plus. (il sourit)

Allez, un petite connerie alors.
Y’en a que des grosses. J’ai fait pas mal de gardes à vue.

La politique, ça t’intéresse ?
J’ai fait une grosse campagne à Nice, en 1994.

Tu voulais briguer un mandat ?
Non je voulais faire chier l’ancien maire de Nice qui était ex-Front national. Il s’était fait virer du Front national j’crois parce qu’il était presque un peu trop facho. Et j’avais fait un truc :  « Philippe Perrin – Blanc comme neige ». Je sais plus si c’était des cantonales ou municipales. C’était juste pour emmerder le monde hein. Y’avait les trois mètres par quatre, les tracts, j’allais sur le marché. C’était pour dénoncer le système politique véreux de la Côte d’Azur à ce moment là. Faut quand même dénoncer les choses, montrer aux gens dans quoi ils vivent. Et c’est devenu une œuvre à la fin.

Tu vas voter à la présidentielle ? (ndlr : cette interview a été réalisée avant le premier tour)
Oui.

Tu sais pour qui ?
Oui. Pour moi. (rires)

Tu vas mettre ton nom sur le bulletin de vote ?
Oui. Ça fera un bulletin nul et puis c’est tout. De toute façon avec que des nuls, autant foutre un bulletin nul. Là je suis très perplexe, comme beaucoup de gens hein. On sait que le système, il est mort. Personne ne sait pour qui voter, à part les fanatiques PS ou les fanatiques UMP. Moi je ne vois plus de droite, plus de gauche. Je vois que les gamins maintenant veulent voter FN. J’hallucine un peu. Alors que quand on était gamins on était tous de gauche. Même le mec qui devenait super de droite après, bah il était de gauche quand il était jeune. Maintenant les mecs ils sont tout de suite FN, donc je sais pas comment ils finiront ceux-là.

T’aimes le rap ?
J’aime aussi le rap oui. Joey Starr, Didier Morville, c’est un bon copain.

C’est un peu pourri ce qu’il fait maintenant, non ?
Euh non le truc, c’est que quand il joue dans des films de Beigbeder, là ça me fait un peu chier parce que je trouve ça pas très hip-hop du tout. Le dernier album je le trouve plutôt pas mal.

Et Polisse ?
Quoi le groupe de rock ? (rires)

Le film avec Joey Starr.
Mais je vais pas voir ça, j’en ai rien à branler de toute façon je vais plus au cinéma. Enfin j’y vais une fois tous les 10 ans.

C’est quoi les derniers films vus au ciné ?
Gomorra, The Wrestler… j’y vais vraiment quand le film le mérite.
Fighter aussi, un film merveilleux avec Mark Wahlberg et Christian Bale. Je trouve que ces mecs méritent des Oscars, plus que Dujardin. Putain Christian Bale avait perdu 12 kilos. Tu l’as vu ce film ? C’est un chef d’oeuvre. Et les histoires de boxeurs moi j’aime bien.

Tu boxes ?
J’en ai fait quand j’étais jeune et j’ai repris cette année. Pour pas mourir.

Tu fais des compétitions un peu ?
Là pour l’instant je fais du ring. Mais attend à 48 ans je vais pas non plus aller me faire défoncer la gueule !

T’avais suivi le dernier combat de Mormeck ?
Je savais qu’il allait se prendre une branlée. Tu vois le mec qui est en face, franchement… (rires) Il espérait boxer comme Tyson, mais Mormeck même s’il a du cœur, c’est pas Tyson. L’autre, il sera plus champion du monde le jour où il arrêtera de faire de la boxe.
Tant qu’il sera en forme il sera imbattable. Il a une allonge trop grande, tu peux pas avancer. Mormeck voulait boxer à la Tyson, il voulait passer sous les bras du grand et le prendre au corps. Il est gentil comme tout, mais le pauvre, il a pris une branlée.

 

Propos recueillis par Pierre-Olivier Bobo
« Stairway to hell », exposition de Philippe Perrin, jusqu’au 16 juin à la galerie Barnoud.
festival One+One, prochain événement samedi 05 mai à la Ferronnerie.
Concert de Jean-Luc Verna & I Apologize.
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