Elle a dû germer dans des esprits bien à jeun ; l’idée de faire du breuvage le plus populaire qui soit l’occasion d’une sorte de festival, avec toute la lourdeur de l’organisation que cela implique. Sur le papier, why not? Surtout pour ceux qui finissent par vraiment saturer de n’avoir affaire qu’au pinard de la côte – truc de Beaunois snobinard. L’ambition était de rameuter tous les brasseurs de la région pour les amener à faire déguster leurs breuvages à l’air libre ; mais, premier bug, un temps bien grisâtre qui n’incite pas franchement à vouloir se poser en terrasse. Pourquoi ne pas faire ça plus vers l’été les gars ? Sérieux ?

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Il y a des suffixes qui font mal : si on compare aux Olympiades, qui ne sont pas qu’un arrêt au bout du métro 14, c’est ici ton foie et ton lever de coude qui seront soumis à rude épreuve… à moins que. Ici, pas de rigoles de pisse comme à l’Oktoberfest, en vérité : on sera dans un délire bien plus sobre. L’annonce avait pourtant fait rapidement le tour de Dijon et des environs : la fête à la binouze, gros, trop bien. Mais range tes grosses pintes et ton porte-clé décapsuleur. Le Bépé avait déjà relayé l’esprit souhaité par les organisateurs : les Houblonnades, ça « se veut familial ». WTF? Genre tu viens test des binouzes avec mamie et le ptit dernier ? Le site précise tout de même que c’est réservé aux adultes. Kévin restera donc à Genlis pour se la coller vers le pont du train comme tous les week-ends. Ici on sera entre gens bien. Enfin, avec des dreads et des chiens, parfois, quand même. Il y avait même un mec déguisé comme au Moyen Âge pour faire goûter sa bière. Bon…

Fonds de verre, prix du jury et prix tout court

Les Houblonnades sont organisées par des assos aux noms chelous. Visez plutôt : la « Confrérie des Chevaliers de Gambrinus » et « Tensai Ingénierie Culturelle ». Apparemment elles lorgnaient au moins sur le festival de Cannes, puisqu’un « prix du jury » devait carrément être remis à la meilleure binouze, ainsi qu’un « prix du public »… Le public, on le sait féru de 8,6 et de Maximator, ou habitué à claquer vingt boules les trois bières aux Berthom après être arrivé cinq minutes trop tard pour l’Happy Hour. Il est bonne pâte, le public, hein. Et il a du fric à claquer, tiens.

Parlons de gros sous. On avait anticipé le bordel et acheté des pré-réservations, permettant d’obtenir des jetons à la con. À la con ? Ouais, parce qu’une fois l’obole locale versée, sous forme de jetons, cela permettait d’obtenir un kit de dégustation à 10€ avec « verre » officiel – un gobelet pour ta brosse à dent -, jetons dégustations et le « jeton du parrain »… Et cela donnait droit à chaque fois à… 6 cl de bière dans ton verre en plastoc. Certains exposants jouaient tout de même le jeu en servant davantage, histoire que ce soit un peu digne. D’autres, bien radins, donnaient juste envie de retourner mater DFCO-Nancy sur Be In boire les mêmes bières qu’ici, achetées à un prix plus que raisonnable au Comptoir des Bières à Chenôve ou à La Grapillotte rue Monge (ouais, plans qu’on t’a déjà conseillé, on voit que tu suis). Du coup, il ne fallait pas se fier aux noms donnés aux jetons. La recharge « Pinte » à 6€ ? Huit jetons dégustation, soit un peu plus de 33 cl. Sans parler de celle intitulée « Demi » à 4€, autant te jeter sur la première Tourtel venue…

Une copie à réviser

Si on ne prend en compte que l’affluence, les Houblonnades étaient une sacrée réussite. Mais en fait, ce n’est pas si simple. Il suffisait de passer devant l’entrée et de voir la gigantesque file pour comprendre qu’il y a eu un gros problème d’anticipation. C’est bien de proposer des pré-ventes, mais après il faut envisager la venue d’autres intéressés. Or le site, le square des Bénédictins, proposait une jauge vite saturée. Si bien que nombreux furent les déçus restant derrières les grilles et les vigiles, sans pouvoir s’abreuver. Cela a au moins pu faire le bonheur des troquets du coin, ne serait-ce que le Flannery’s, qui a dû exploser son chiffre d’affaires pour un samedi aprèm. Parlons-en, tiens, de rades : on a moyennement apprécié le jeton spécial d’un partenaire, Au Fût et à Mesure, qui donne droit à un verre gratuit ; enfin, gratuit uniquement si tu recharges ta carte de paiement de vingt boules, tout de même. Oui car dans cet établissement, tu ne peux boire qu’avec une carte à créditer ; la fameuse que t’avais rechargé de cinquante balles l’année dernière, mais qu’ils décrétaient périmée au bout de six mois ! L’esprit des établissements du marché, si tu vois ce que je veux dire… Même si rien n’est gratos dans la life, on a trouvé que l’esprit n’y était pas vraiment, mais passons.

Indulgence aussi pour la grande désorganisation constatée à l’entrée : c’était une première, après tout, et mettre en place un tel évènement n’est pas à la portée du premier venu. Tolérance zéro, en revanche pour la musique complètement pérave chantée une bonne partie de l’après-midi : sérieux, un groupe bretelle intitulé Bibéo, affublé de cravates rose et hurlant « Je suis un groooos dégueulaaaaaasssseu », couvrant même le son du pauvre stand de la Cinémathèque de Bourgogne, ben ça gâche le goût de ta bière ambrée ou I.P.A, franchement. Samedi, il y avait tout de même Groove Hill après, on avait déjà les oreilles qui saignaient un petit peu moins. Mais le mal était fait.

Où voulaient en venir les organisateurs ?

Du reste, de nombreux commentaires Facebook de la page de l’évènement, qui ont inexplicablement disparus le dimanche au réveil, visaient le relatif amateurisme de l’ensemble de l’organisation, suggérant par exemple qu’il aurait fallu se contenter de faire sa fête à la bière, sans chercher à faire la sienne à la musique, qui prend déjà assez cher chaque 21 juin. Mais il semblerait que les responsables de tout ceci avaient une idée bien arrêtée de ce que devrait être un festival de la binouze ; ainsi, les choses s’éclairent un peu en lisant un article Ecodocs, où les organisateurs affirmaient déjà sans rire : « nous sommes des amateurs de bière et nous voulions présenter cette boisson comme on peut le faire pour le vin, autour de la dégustation et du plaisir – mais loin du cliché bière, foot et pizza. »

On a envie de dire : où est le problème avec le « cliché » en question ? Et quand on reconnaît que c’en est un, pourquoi le réutiliser dans une argumentation ? Nous on attend l’Euro 2016 avec impatience, binouzes à l’appui, et on n’avait pas attendu ce festival pour connaître les divers brasseurs locaux, qu’ils soient de Longchamp, Vitteaux, Saint-Apo etc., priés de venir pour faire « découvrir » leurs bières. Quiconque vit pleinement Dijon et la région avait déjà testé les produits des trois quarts des partenaires du festival. Mieux : leurs bières sont dégustables en divers établissements de la ville, où il n’est pas dit, d’ailleurs, que le public aperçu sur place, soit habitué à se déplacer. Nous l’y invitons, ça leur permettra de pas mal relativiser « l’évènement » d’une  »fête de la bière ». Par ailleurs, la bière, tu peux déjà la boire un peu n’importe quand en vrai, gros. Et pas dans un verre en plastoc en te faisant bousculer par une foule de plus en plus éméchée, ou en faisant la queue pour espérer des fonds de verre. Et puis, si tu venais surtout pour trouver de la chaleur humaine, je suis sûr que tu pourras en trouver ailleurs : au crématoire de Mirande, par exemple.

– Tonton Steph
Photos : T.S., DR