« Étienne, Étienne, Étienne… Oh, tiens le bien ! ». Question de ça, il le tient bien, le cap. Pilier de la musique électronique à la française, depuis 1992, Étienne de Crécy ne cesse de mener sa barque avec brio. Il nous a longtemps fait entrer en transe avec sa scénographie spectaculaire du Beats’n’Cube et nous étonne encore aujourd’hui avec son nouveau show visuel et musical, Space Echo. A l’occasion du Printemps de Bourges et pour la deuxième fois en représentation avec cette nouvelle « expérience techno », on a rencontré celui qui ne se dit pas « musicien » mais qui provoque des réactions hystériques à l’écoute de chacune de ses musiques.

« Déso, je viens de me réveiller, ça va vous ? ». La marque de l’oreiller sur la joue, un plateau repas dans les mains : non, Étienne de Crécy ne sort pas de l’hosto, mais de sa loge du Printemps de Bourges 2019. Il nous tape la bise amicalement, s’assoie et commence à déjeuner. Il est 16h. « On dirait pas mais c’est meilleur qu’à l’hosto ! ». Il nous fait marrer, nous met à l’aise, on en oublierait presque le taff. Pourtant, quand on se retrouve devant un tel personnage – attaché à la tradition des shows électro à l’ancienne, où les artistes sont à peine reconnaissables – on a envie de percer le mystère.

Comment as-tu connu la musique électronique ?

On s’est rencontrés il y a très longtemps, dans une rave party sur une péniche, à côté du Pont du Puteaux ! C’était en 1992.

Qu’est-ce qui a changé depuis 1992 ?

(Rires) Tout ! La société a changé et donc a changé l’accès à la musique. Un peu avant la révolution d’internet, il y a eu la révolution électronique qui a initié une révolution dans le domaine de la musique. À l’époque, faire de la musique, donc un disque, ça coûte cher. Or, la musique électro, ça ne coûtait rien. Du coup, tout le monde a pu faire de la musique et plus particulièrement de la musique électro et moi, j’ai connu cette époque, ces débuts. Ensuite, tout s’est démocratisé et désormais tout le monde peut faire de la musique avec un ordinateur. C’était impossible avant ! Il fallait d’abord plaire à un directeur artistique dans une maison de disque, lequel investissait des fortunes pour faire ton disque. Du coup, il avait un gros droit de regard sur ta musique. Ensuite, les gens devaient payer pour y avoir accès. Maintenant, tu as accès à la culture plus facilement et ça pour le coup c’est une évolution positive !

Tu te qualifies souvent de punk, c’est quoi l’Étienne de Crécy punk ?

J’ai d’abord aimé le punk. Ce qui me plaisait dans la techno, c’était de sa manière d’être encore plus punk que le punk. Le moment où l’artiste ne se met plus en en scène. Alors que le punk qui scande « No future ! », il mettait quand même deux heures à coiffer sa crête. Dans la techno, y’avait – parce que ça a changé – une notion de disparition de l’artiste qui me plaisait. Et puis, la techno, c’est un univers qui s’offre à des gens qui ne savent pas faire de la musique, comme le punk, donc ça, c’était pour moi !

A tes débuts, tu as créé ton propre label pour pouvoir t’autoproduire. Pourquoi les labels de l’époque ne voulaient pas de toi ?  

Aux prémices de la techno, les labels n’étaient effectivement pas intéressés. Pour sortir notre musique on avait donc besoin de s’autoproduire et de fabriquer nos disques. On allait chez M.P.O, un fabriquant de vinyles, et on lui demandait d’en faire 1000, il était ok donc pourquoi se faire chier avec les maisons de disque à ce compte là ? Et t’imagines, c’était une musique qui n’existait pas.  Les premiers qui ont signé en maison de disque avec de la musique électro sont les Daft Punk, parce qu’ils sont tombés sur un mec intelligent qui s’était dit que ce serait le musique du futur : Emmanuel de Buretel.

T’as connu beaucoup de choses, énormément de scènes dans le monde entier, des gros festivals.  Est-ce qu’il y a encore quelque chose qui te fais rêver ?

Je continue à bien aimer tourner mais je ne tourne pas assez en Amérique du Sud. J’ai déjà fait le Pérou, le Mexique, le Brésil et la Colombie mais jamais l’Argentine ou le Chili et je rêve d’aller mixer là-bas. J’ai des énormes stats sur Spotify en Amérique du Sud, ils adorent l’électro. Malheureusement, ils ne m’ont jamais booké et je commence à être vexé. Si jamais un Argentin ou un Chilien lit cette interview, je lance un appel, je suis tout à vous !

C’est quoi ton secret pour ne jamais te lasser de faire de la musique électro ?

D’en écouter hyper fort en buvant de l’alcool ! (rires)

Ça vient d’où cette scénographie mythique du Beats’n’Cube et pourquoi aujourd’hui Space Echo ?

Ça fait 6 ans que j’ai arrêté le Beats’n’Cube. Faut changer. Après, j’ai arrêté les scénographies parce que j’avais l’impression d’avoir gagné une course et d’être arrivé alors même que les autres n’avaient pas commencés à courir. Sauf qu’il faut quand même se remettre dans la course : j’ai créé Space Echo avec Alexandre Lebrun de Lightlab qui a imaginé la scénographie et Armand Beraud qui a fabriqué les images. L’ensemble ressemble à des voiles solaires de sonde. Ce sont des écrans LED transparentes. Plus qu’un concert, l’idée est de fabriquer une expérience techno.

https://www.youtube.com/watch?v=oJH9rNuEYPE

Au delà de la musique, tu accordes  finalement beaucoup d’attention à ce qu’il va se passer visuellement durant ton live ?

Le visuel, que ce soit pendant mes concerts ou mes pochettes de disque, c’est très important. Presque plus important que la musique. Autant dans la musique je n’ai pas eu de ligne directrice très claire. En revanche, dans tout ce qui est artwork et visuel, je sais que j’ai une ligne assez droite depuis vingt ans dont je suis assez fier. Je travaille de plus en plus seul : je fais mes logos, mes pochettes de disque. Finalement, la musique est devenu un prétexte pour faire des concerts parce que ce qui m’éclate réellement désormais, c’est le show visuel.

Est-ce qu’il y a un groupe électro français dont tu aimes le travail ?

Presque tous. J’ai besoin d’inspiration et j’aime le fait que les gens fassent de la musique, donc je les aime bien tous. Je suis hyper impatient d’écouter le nouvel album de SebastiAn.

Quelqu’un avec qui tu aimerais travailler ?

Dans la musique électro ? Personne. On se marcherait sur les pieds. Autant aller vers l’antinomique et David Byrne (du groupe Talking Heads, ndlr) est quelqu’un qui me fascine et m’impressionne.

Niveau actu, on est comment ?

Je tourne avec Space Echo, je l’améliore, le truc est construit mais maintenant faut le poncer. J’en suis fier mais je sais que j’ai une marge de progression et c’est un travail évolutif. Chaque fois que je fais un concert je m’améliore au cours du temps. A l’inverse des albums qui demandent un long travail en amont qui se fige ensuite, Space Echo demande un long travail en aval, dans lequel rien ne se fige.

Voir Étienne de Crécy en live c’est finalement assister à un concert inédit, qui s’améliore de dates en dates et dont on ne peut jamais se lasser.

  • Victoire Boutron