« Terroir, terroir, dis-moi qui est la plus belle ». Telle est, en somme, la mission des 80 participants réunis en cette fin décembre 2024 au CFA de Bethoncourt : élire la grande gagnante du concours de Saucisses de Montbéliard IGP. Dégustation, délibérations : nous avons traîné notre couenne à ces J.O. de la cochonnaille. Récit.
Article issu du mag n°49
Astérix : mission salaisons
La saucisse de Montbéliard, c’est une aventure millénaire. Ses origines remonteraient au 1er siècle avant J.C. À l’époque, les Mandubiens, une tribu gauloise présente dans l’est de la France, développent un certain savoir-faire dans l’art des salaisons et de la conservation des viandes. Cette expertise, ils la transmettront ensuite aux Séquanes qui dissémineront sur tout leur territoire des fumoirs à viande comme on en a découverts de nos jours du côté de Mandeure. La réputation de ces produits régionaux devient rapidement internationale et arrive même aux oreilles (et aux papilles) de Jules César en personne qui en aurait publiquement vanté les mérites. Empereur certes, mais foodie avant tout ! Et ce succès d’estime ne s’est pas arrêté à l’Antiquité, loin de là.
« La salle plonge alors dans une ambiance des plus mystiques : un silence quasi religieux et des adeptes se faisant passer des saucisses, se les glissant sous les naseaux pour examen olfactif attentif. »
Aujourd’hui, le produit affiche des statistiques tout bonnement affolantes. En 2018, ce sont plus de 34 millions de saucisses qui ont été vendues. On considère qu’en France, 64 montbé’ (son surnom pour les intimes) sont consommées chaque minute, soit une chaque seconde ! Un chiffre à provoquer des crises de foie même chez Gérard Depardieu. Pour sanctifier une telle réussite, une Indication Géographique Protégée est obtenue en 2013, reconnaissant ainsi la qualité du produit. C’est également à partir de cette date que sont organisées deux fois par an par A2M (l’association qui représente, défend et promeut les saucisses de Montbéliard et de Morteau) des concours permettant d’évaluer pédagogiquement les 23 producteurs de la filière, obligés de participer à cette épreuve pour soumettre leurs productions au verdict de professionnels mais aussi d’un grand jury populaire. Que nous nous apprêtons à rejoindre.

Vox populi
Bethoncourt, ambiance polyvalente. Carrelage, néons. Il est 10h du matin quand nous sommes conduits à une table où nous attendent sept autres convives ; nos compagnons de voyage pour cette odyssée porcine à venir. Une douzaine de tables similaires à la nôtre sont disposées un peu partout dans la salle, attendant que l’ensemble des jurés bénévoles prenne place. Les conversations vont bon train, ça taille le bout de gras, ça discute des expériences de chacun et l’on se rend vite compte que notre équipage est composé d’habitués des concours, de briscards de la dégustation de produits du terroir. La plupart se sont d’ailleurs déjà croisés au concours de saucisse de Morteau organisé quelques mois auparavant. À notre droite, Patricia qui se remet tout juste d’un concours de pains d’épices et de rillettes de truites organisé la semaine précédente à Besançon. À notre gauche, Thierry, se coltinant quasi 6 heures de trajet aller/retour depuis le fin fond du Jura spécialement pour l’occasion. Quand on les interroge sur ce qui les motive à sillonner les routes pour ce genre d’événements, les réponses sont unanimes « fierté régionale et amour du terroir ».
« En France, 64′ Montbé’ (son surnom pour les intimes) sont consommées chaque minute, soit une chaque seconde ! »
Après quelques mots d’introduction nous vantant l’excellent bilan commercial de 2024, notamment en raison du mauvais temps ayant frappé la région tout l’été (le Franc-comtois est basique : pluie en juillet? Bam ! Saucisse/cancoillotte pour se retaper le moral), l’heure est venue d’ouvrir les hostilités. Arrive alors à notre table un saladier rempli de 10 saucisses. 5 producteurs représentés par 5 saucisses liées chacune à leur jumelle car, à l’inverse de la plus solitaire Morteau et à l’instar des Twix, la Montbé’ va toujours par deux. Très vite, l’on sent autour de la table qui sont les experts et qui sont les débutants en la matière. Les plus aguerris de nos compagnons commencent à se saisir de leurs spécimens avant de débuter l’examen … quand d’autres frôlent le drame dès les premiers instants ! Un de nos camarades de route, probablement aussi affamé qu’inexpérimenté, créé la stupeur autour de la table en commençant à découper sa saucisse ! Erreur ! À l’étape 1, on ne touche pas aux couverts ! Tout se joue à l’œil et au nez ! Ça renifle, ça reluque mais ça ne goûte surtout pas ! Les critères pour le produit cru sont au nombre de trois et nous sont détaillés dans un guide posé sur notre table afin de nous aiguiller dans notre notation : la couleur (un bel ambré, uniforme, sans coulure de suie ou tâches blanches), l’odeur (de fumé) et l’aspect (bien courbée, non fripée et sans bulle d’air). La salle plonge alors dans une ambiance des plus mystiques : un silence quasi religieux et des adeptes se faisant passer des saucisses, se les glissant sous les naseaux pour examen olfactif attentif. Chacun s’attelle dans la foulée à évaluer les différents critères et à attribuer une note sur 20 à chaque produit, avec appréciation s’il-vous-plaît ! Car, comme nous le confiera plus tard la directrice d’A2M, Claire Legrand, « l’objectif de ces concours est aussi d’inciter les producteurs à s’améliorer. On enregistre donc tous les commentaires pour qu’ils puissent être transmis aux salaisonniers afin de faire évoluer leurs recettes. Cela permet d’être plus vigilant sur la qualité des produits ».

Pour la seconde phase, un protocole similaire mais une différence de taille : les saucisses sont désormais cuites et prêtes à la dégustation ! Nos critères à évaluer cette fois sont : la texture en bouche, l’aspect de la tranche (pas de charpie), le goût de fumé et l’assaisonnement en cumin. À notre table, les débats font rage « elle a forcé sur les épices la 17 ! », « elle se tient moins bien en bouche la 13, non ? ». Car oui, pendant toute l’épreuve, les saucisses sont anonymisées et représentées par un simple numéro. Pour quelles raisons ? Afin d’éviter toute tricherie ou corruption, pardi ! Nous devons d’ailleurs signer à notre arrivée un document attestant que nous n’appartenons pas à la famille d’un des producteurs et que nous ne céderons pas aux tentations du favoritisme. Ici, tout est fait pour protéger les acteurs de la filière et l’appellation. Une appellation menacée chaque jour, essentiellement par de viles contrefaçons. Claire Legrand nous explique : « la saucisse de Montbéliard répond à un cahier des charges très précis, sur la qualité de la viande et du lait avec lequel sont nourris les porcs notamment. Aussi, lorsque vous voyez en boucherie des produits estampillés « façon Morteau » ou « façon Montbéliard », cela signifie que sont revendus des produits non contrôlés, moins chers et de moindre qualité. Nous contactons alors ces personnes pour leur signifier qu’ils utilisent notre dénomination tout en trompant le consommateur. Cela peut aller jusqu’à la procédure judiciaire si l’appellation n’est pas changée ». Alors, tu l’auras compris, si tu vois ça chez ton boucher, n’hésite pas, dégaine ton phone et balance ton porc !
Twelve points goes to …
Le jury populaire s’achève lorsque chaque tablée en a fini de déguster et d’évaluer les saucisses qui lui étaient attribuées. Les notes vont maintenant être regroupées pour en tirer les huit plus hautes. Les huit producteurs élus seront soumis à une nouvelle sélection dans l’après-midi : celle du super-jury ! Des acteurs de la filière et d’anciens salaisonniers qui auront la lourde tâche de constituer le podium et de distribuer les médailles de cette édition 2024.

Post-dégustation et pré-digestion, nous allons nous poser à la table de Jean-François Nicolet et Michel Delacroix, respectivement actuel et ancien président d’A2M. Comment se porte la filière ? « Plutôt bien, on revient à nos chiffres de ventes pré-covid mais c’est la partie immergée de l’iceberg. Derrière une matinée comme celle-ci où l’on est fiers de présenter des produits de qualité, il y a des normes, des cahiers des charges, des audits, des commissions à Paris et à Bruxelles, des contrôles sur la viande et sur le lait mais aussi sur les étiquettes, les logos, les ficelles. C’est un combat permanent pour protéger le produit ». Ce combat, nous osons ici la question, le mènent-ils face à ce que certains nomment le « péril végan » ? Quid de l’impact environnemental du régime carnivore ? « Il s’agit d’un faux débat, lorsque l’on a vraiment faim, on ne se pose pas ces questions-là » ou autres « de tout temps, l’homme a mangé de la viande pour se nourrir » nous font vite comprendre que la Morteau végé ou le tofu de Montbé’ ne représentent pas l’avenir de la filière. Next question, please. Le verdict tombera en début de soirée. L’or est attribué, pour la troisième année d’affilée, aux salaisons Renaudot (25500 Les Fins, pour les curieux). Enfin une médaille que n’aura pas monopolisé Léon Marchand en ce millésime olympique ! Était-ce la numéro 19 qui avait fait chavirer nos papilles et reçu tous nos suffrages ? Le mystère est entier. Une nouvelle dégustation s’impose.
Texte : Picon Rabanne // Illustrations : Louise Vayssié