Parfois une banale recherche sur internet peut emmener loin. Jusqu’en Asie ? Peut-être. Au détour d’une discussion, le nom du réalisateur Jia Zhang-ke est tapé dans un moteur de recherche. Dans la page des résultats, un autre nom nous interpelle : Vesoul. Étrange. On approfondit. Vesoul, Asie, cinéma… Ah mais oui le FICA! Le « festival international des cinémas d’Asie de Vesoul ». 100% notre came, pourtant on a jamais testé. 31ème édition du 11 au 18 février, c’est bon pour les dates. Une rapide concertation et c’est validé !
Avant tout, un petit éclaircissement s’impose. Vesoul et l’Asie ça sonne pas immédiatement comme une évidence. Alors quoi ? Une faute de frappe ? Vesoul, Séoul ça peut vite déraper sur un clavier. Ou bien est-ce que comme le Texas a son Paris, le Sichuan aurait son Vesoul. Non, non, c’est bien lui. Vesoul, 70, Haute-Saône. On est au bon endroit. L’histoire est on ne peut plus simple et elle ne date pas d’hier. À l’origine du FICA le couple Thérouanne (Martine et Jean-Marc de leurs prénoms), deux passionnés de cinéma et de cultures asiatiques originaires de (*roulements de tambours*) : Vesoul. Équation résolue. Ils décident avec quelques collaborateurs cinéphiles de monter une manifestation centrée sur les cinémas asiatiques. Première édition en 1995, ça démarre tout petit avec 1500 curieux venus découvrir une douzaine de films projetés dans un petit ciné de la ville. Trente ans plus tard, c’est 30 000 spectateurs par édition, un jury international, une ribambelle de professionnels invités, une programmation qui frise la centaine de films, des récompenses (les Cyclos), il est même dans le top 10 des plus gros festivals de ciné français. Un trentenaire assez solide donc. Mais disons que pour un festival qui a pour ambition de couvrir (et c’est sa particularité) tout le continent asiatique, c’est la bonne taille.

Retour à l’édition 2025. Cette année c’est pas moins de 91 films présentés. C’est immense, on ne pourra pas tout explorer, même à raison de cinq films par jour sur les dix que comptent l’événement. De toute façon on reste trois jours, calmons-nous. Au programme donc : La compétition officielle composée de neuf longs métrages de fiction et huit documentaires inédits, un focus sur le cinéma Birman, une sélection cinéma d’Hong Kong, une thématique intitulée génération(s), des films jeune public, des classiques, des raretés, des tables rondes… bref, c’est chargé ! Mais l’événement cette année, c’est la venue du réalisateur chinois Jia Zhang-ke et un sacré programme en ce qui le concerne : Président du jury, un cyclo d’honneur à récupérer, une masterclass, la diffusion de l’intégralité de sa filmographie (quatorze longs métrages), la totale ! la géniale actrice Zhao Tao, sa muse et femme est également présente et recevra son Cyclo d’honneur également.
Pour nous c’est carton plein. Des grands films, des bon films, rien à jeter.
Et il fallait bien ça pour rendre hommage à l’un des plus importants cinéastes chinois contemporains. Il est depuis les années 90 une figure emblématique du cinéma réaliste. Pas le cinéaste le plus populaire, certes, on reste quand même sur une niche cinéphile, mais une reconnaissance internationale et les prix qui vont avec. On attend de pied ferme la sortie de chacun de ses films. Zhang-ke c’est le cinéma du réel. Le fil rouge de son œuvre, c’est le peuple chinois en prise avec les mutations industrielles, sociétales et architecturales totalement affolantes de la Chine. Pour raconter son pays et les gens qui l’habitent, son outil c’est surtout la fiction, parfois le docu. Le style est cru, brut ou au contraire hyper esthétisant, très graphique. On sent chez lui un goût prononcé pour les expérimentations, narratives ou visuelles. Si il y a bien une constante dans son cinéma par contre, c’est une certaine lenteur. Zhang-ke aime prendre son temps. Pour installer ses personnages, le contexte, les enjeux, on y va doucement. En bref, si on a envie d’essayer de comprendre les quarante dernières années de la Chine au travers d’une vision juste et sensible, sa filmographie (avec celle du documentariste Wang Bing, petite reco au passage) donne un nombre de clés considérables.

On est au Majestic. Cossu multiplexe des années 2000, dans son jus, bien conservé, confortable. Quelques décorations de type lanternes, branches de cerisier, affiches de films (et même un Tuk tuk) sont là pour signaler la présence du festival mais ça reste sobre. On sent bien que le hall est plus agité que d’habitude, surtout pour un jeudi à 9h du matin. La soirée d’ouverture c’était la veille dans le théâtre du centre-ville (avec la projection du grand classique « Le roi des masques » de Wu Tianming), mais le vrai départ du festival c’est maintenant. L’organisation a l’air au poil, tout est carré, c’est bien rodé. Direction la première séance pour un démarrage en beauté avec « Xia Wu, artisan pickpocket ». Premier film de l’invité d’honneur Jia Zhang-ke réalisé en 1995. La lose à Fenyang. Errance « professionnelle » et romantique d’un petit malfrat inoffensif, doué ni pour le crime ni pour l’amour. Nos petits cœurs de cinéphiles sont comblés.

Suivront neuf autres projections durant notre court séjour. On a essayé d’être éclectique. La sélection hongkongaise nous a quand même pas mal fait de l’œil ! On retiendra « Women » de Stanley Kwan (1985), un portrait de femmes sensible et progressiste à l’ambiance 80’s absolument délicieuse (du moins si on aime la laque et les couleurs bariolées). Et aussi le très touchant « Painted Faces » (1988) d’Alex Law. Gros coup de cœur. Film biographique doux amère chroniquant les enfances et adolescences des futures stars du cinéma d’action Hong-Kongais, Sammo Hung et Jackie Chan. Situé dans une petite école de l’opéra de Pekin aux méthodes éducatives beaucoup trop sévères, on y suit les entraînements ultra-rigoureux d’une bande de jeunes garçons. En ce qui concerne la compétition officielle, on a pu découvrir le poignant « Kaneko’s commissary » de Go Furukawa, drame social japonais se déroulant dans l’univers carcéral (avec une très chouette interaction entre le public et le réalisateur en fin de séance). Les documentaires Birman étaient super aussi, on en aurait bien vu plus !
C’est 30 000 spectateurs par édition, un jury international, une ribambelle de professionnels invités… Il est même dans le top 10 des plus gros festivals de ciné français
En tout cas pour nous c’est carton plein. Des grands films, des bon films, rien à jeter. Et visiblement le public est au courant. Le matin c’est plutôt tranquille, mais à partir de 14h, c’est blindé et ce jusqu’aux séances du soir. Réjouissant ! Pas de folies entre les séances, aucune danse du dragon ou autre démonstration de taiko à l’horizon. Studieux on a dit ! Mais ça reste bon esprit. De toute façon on est tous là pour la même chose : les films. À noter que chaque séance est précédée d’une petite présentation animée par l’un des membre du festival ou d’un invité souvent bien calé sur le sujet (dédicace à Frédéric Ambroisine, passionnant spécialiste du cinéma d’Hong-Kong). Le boss du Fica avait d’ailleurs revêtu son plus beau t-shirt Bruce Lee pour venir présenter l’un de ses souvenirs d’adolescence, « Big boss » justement.

On a enchaîné les films, ça passe très vite, on est ravi mais pas encore tout à fait rassasié. On finit donc par la tant attendue masterclass de Jia Zhang-ke. Il est là, costard noir, lunettes noires, habillé comme sur la photo projetée sur l’écran derrière lui. Puis ça parle de son dernier film « les feux sauvages », projet introspectif, expérimental, patchwork fou composé de séquences tirées de ses anciens films, mais aussi d’images totalement inédites. Il nous explique que pour ce projet, il s’est comporté comme les IA. Puisque celles-ci puisent dans des œuvres déjà existantes pour en créer de nouvelles, il a lui-même fouillé dans son propre travail pour accoucher de quelque chose de totalement unique. Intelligent, mais pas artificiel. John Connor serait fier de lui. Passionnant. (Pour information, le vainqueur du Cyclo d’or cette année : le coréen Park Ri-woong pour le film « Land of the morning calm ». On l’a pas vu.)
Texte : Sylvain Catet // Photos : Thai-Binh Masanobu Phan-Van