Depuis plus de dix ans, l’eau polluée du bassin du Doubs tue à petit feu la Loue, qui voit son nombre de poissons baisser chaque année. Démunis, les pêcheurs tirent la sonnette d’alarme. Érigés porte-paroles de la cause, on a discuté avec Alain* et Pierre*, du collectif SOS Loue et Rivières Comtoises, de la situation et des impacts sur la population.

Entretien issu du mag n°49

Qu’avez-vous constaté dans la Loue ?

Alain : Une maladie de poisson qui est très connue depuis longtemps, la saprolegnia. Normalement, elle touche plutôt des poissons d’aquarium, d’élevage. Ils sont un peu confinés, manipulés, parfois un peu maltraités. En rivière, elle devrait concerner uniquement quelques poissons qui n’ont pas de chance… Ces grands épisodes de maladie sont apparus sur la Loue d’abord en 2009, puis sur le Doubs en 2010, puis dans le Dessoubre qui en 2014, a perdu 70 % de ses poissons en quelques semaines.

Et d’où vient cette anormalité, il y a un facteur externe qui l’explique ?

Alain : Les rivières de Franche-Comté sont toutes malades de l’Homme. Il ne faut pas considérer ça comme des pollutions accidentelles dues à un déversement de produits toxiques, comme ça peut arriver parfois. C’est plutôt une dégradation chronique de la qualité de l’eau depuis plusieurs dizaines d’années. Dans des milieux dégradés, une maladie qui devrait être bénigne se retrouve à atteindre des proportions qui sont complètement anormales.

Pierre : La Loue est alimentée par le bassin du Doubs. Donc ce qui se passe dans le Doubs arrive dans la Loue.

Alain : La source de la Loue est alimentée par des fissures qui sont plus loin en amont dans le lit du Doubs. On est dans un paysage calcaire, très fissuré. Le calcaire étant une roche soluble, il y a des grosses fissures, des crevasses qui sont dedans et on a des communications souterraines parfois très lointaines entre deux cours d’eau. Et là c’est le cas. Des pertes qui sont dans le lit du Doubs font un chemin souterrain, et ressortent sous la forme de la source de la Loue. Si on fait une coupe du sol, on a quelques dizaines de centimètres de terre en surface, et très rapidement on part sur des centaines de mètres de roches calcaires solubles et fissurées avec des interconnexions de cours d’eau souterrains très présentes.

« L’engrais des épandages se retrouve dans la rivière et fait pousser des choses au fond. »

Mais cette pollution, elle vient d’où ?

Alain : Puisqu’on a des épaisseurs de terre qui sont très faibles, toute activité agricole qui se déroule en surface va être très peu filtrée avant d’atteindre la roche. Chez nous l’agriculture, c’est pour produire le Comté. Quand un agriculteur fait un épandage de lisier, s’il pleut juste derrière, l’eau va circuler très rapidement dans le sous-sol, rejoindre les fissures souterraines et atterrir dans les sources les plus proches. Tous les cours d’eau qui naissent sous ce paysage-là sont contaminés à peu près de la même manière.

Pierre : L’engrais des épandages se retrouve dans la rivière et fait pousser des choses au fond. Des algues vertes, des algues noires ou une mousse qu’on peut voir. Les invertébrés qui vivent au fond de la rivière, alors couverte de mousse, n’ont plus la possibilité d’aller sur les roches et de s’y s’accrocher. Il n’y a donc plus de vie dans cette rivière et il n’y a plus de possibilité pour les poissons de se nourrir. Ils vont s’affaiblir et attraper la maladie.

Il y a des solutions pour tenter de faire renaître la biodiversité ?

Pierre : On pourrait commencer par refaire les stations d’épuration, ou le réseau d’eau.

Alain : Évidemment qu’il y aurait des solutions pour améliorer la rivière, mais ce n’est pas simple. Parce que deux études menées font apparaître une responsabilité de l’agriculture, de l’ordre de 80% des nutriments qui arrivent dans les rivières. Nous, on est juste des sentinelles d’un milieu qui se dégrade. On est là pour un peu tirer les sonnettes d’alarme. Mais si on veut obtenir des grands changements au niveau de la filière Comté, c’est du ressort des politiques.

Pourquoi ce phénomène de mort de masse s’exprime plus en hiver ?

Alain : C’est simple. En décembre, c’est le début de la reproduction des truites. Les eaux commencent à se rafraîchir, les poissons se mettent en action pour se reproduire. Cette période est fatigante car pour se reproduire, ils sont obligés de creuser de petits habitats naturels de ponte dans le sol composé de cailloux et de sable. En se grattant comme ça sur le sol, ils vont se créer des micro-blessures qui vont être un point d’entrée pour cette maladie. Et si la rivière était en bon état, on ne se retrouverait pas avec ça. Pas de chance, ça vient aussi s’accumuler avec la fin de la période de gel à laquelle les agriculteurs se séparent de leurs cuves de lisier. Et ils vont faire ce qu’on leur a dit de faire, c’est-à-dire de les mettre sur leurs terres. Alors ça va descendre rapidement dans la rivière. On dit qu’il faut à peu près 20 heures depuis le plateau du Doubs pour arriver dans la vallée de la Loue.

La situation s’est intensifiée depuis plus de dix ans maintenant, une extinction totale de la truite est possible en l’état actuel ?

Alain : Oui, si on continue comme ça. On constate que les effectifs de poissons les plus sensibles à la pollution, dont les truites ou les ombres sont en constante régression. L’extinction est possible mais on n’en est pas encore là.

Quelles sont les autres conséquences sur la rivière et même plus largement sur les habitants ?

Pierre : Il ne faut pas oublier que la vallée de la Loue vivait du tourisme de la pêche. Il n’y a presque plus de pêcheurs. À Vuillafans cette année, on a vendu 77 cartes de pêche. Il y a quelques années, on en vendait 500. Mais il y a d’autres impacts, on s’aperçoit bien qu’il y a une réelle diminution de tous les volatiles qui se nourrissent d’invertébrés.

Alain : C’est très alarmant. il y a 30 ans, on s’apercevait que les invertébrés aquatiques disparaissaient. La majorité de la population s’en fichait, à part les pêcheurs à la mouche. Maintenant ce sont les poissons qui disparaissent. On peut considérer ça comme le dernier fusible avant nous. Puisque évidemment, on ne peut pas faire sans eau. Besançon s’alimente à 80% des nappes et des rivières. Jusqu’à aujourd’hui, on nous dit qu’on est capable de traiter l’eau de façon à la rendre potable. J’habite à 900 mètres d’altitude, je bois de l’eau au chlore. Je ne suis pas convaincu que ce soit très bon.

*Les prénoms ont été modifiés.

Texte et propos rapportés : Killian CESTARI