Dire que le pays de Montbéliard est rock dans l’âme, c’est, au mieux manier l’euphémisme, au pire pratiquer l’enfonçage de portes ouvertes à grands coups de tatanes. Depuis 2018, cette réputation est sanctifiée par la tenue chaque été à Valentigney du Bocksons Festi’Val, rendez-vous désormais incontournable des amateurs de bières et de guitares électriques. Cette année encore, l’événement offrait un équilibre parfait entre têtes d’affiche (Komodrag and the Mounodor, The Inspector Cluzo), étoiles montantes (Sun Brutal Pop) et groupes régionaux qui ne tarderont pas à rejoindre les catégories susnommés. C’est le cas de Deadly Shakes, trio mulhousien qui a enflammé le début de la seconde soirée et que nous sommes allés cueillir à la sortie de leur explosive prestation.

En partenariat avec les Interrockations.

Votre second EP, Fields of Gold, est sorti en septembre dernier. Comment ça s’enchaîne pour vous depuis la sortie ?

Tristan (basse/chant) : De mieux en mieux. On a enchaîné les belles dates jusqu’à décembre. Puis, on a fait une petite coupure pour se focaliser sur les clips. Et là, on enchaîne les concerts depuis le mois de mars. Ça commence à trouver son public, surtout ici en Franche-Comté où des gens commencent à nous suivre. Tout à l’heure, il y avait des mecs devant avec nos t-shirts. Tu te dis « Oh putain ! Ça y est ! » L’EP a permis d’agrandir notre fan base, de sortir un peu d’Alsace. On a mis tout ce qu’on pouvait dedans. Il y a une vraie évolution dans le son, dans l’approche d’écriture des chansons.

© Brice Kieffer Photography

Les six titres sont d’une efficacité assez folle, avec des riffs ultra catchy et des refrains bien fédérateurs. Est-ce que c’est cette nouvelle approche qui rend l’EP si percutant ?

Nicolas (guitare) : Je sais que personnellement, mon approche de la musique est très simpliste. Plus c’est simple, plus je trouve que c’est efficace. En termes de riff, faut aller à l’essentiel.

Tristan : En fait, notre patte, c’est toujours de faire un truc où on veut surprendre les gens et de ne pas faire une chanson où pendant trois minutes, t’entends la même chose. On veut vraiment créer de la surprise. Sur Evil Charmer par exemple, on a essayé de faire quelque chose de plus pop, plus catchy mais on y a quand même inséré un twist qui fait que tu vas te prendre la patte Deadly Shakes dans la gueule.

Cette patte, ce son vous l’appelez « Wild Rock ». Quelle en serait la définition ?

Nicolas : C’est l’énergie et la spontanéité. Il n’y a pas deux lives qui sont pareils.

Anthony (batterie) : C’est cette patate que tu te prends quand tu nous vois sur scène !

Tristan : C’est wild parce qu’on n’a pas trop de limites. On est fous sur scène, moi j’ai les cheveux dans la gueule, j’y vois plus rien. C’est du rock chevelu, gras et puissant ! Et ça renvoie à certaines de nos racines musicales comme Deep Purple ou Led Zep, du rock à tignasse, quoi !

« Avoir un antillais noir dans un groupe, c’est très rare et on a parfois ce truc de « putain, qu’est-ce qu’il fait là ? » Il faudrait sortir de ces stéréotypes-là. »

Justement, dans vos influences, il y a des trucs très seventies comme les groupes que tu viens de citer mais il y a aussi pas mal de références plus années 2000 comme Rival Sons, Wolfmother. Pour vous, ces réfs modernes, elles sont aussi importantes que celles plus classic rock ?

Tristan : Bien sûr ! C’est des mecs qui ont réussi à puiser l’essence du rock seventies et à le mettre au goût du jour sans le rendre kitsch. C’est pas qu’une simple adaptation. J’ai vu Rival Sons en première partie de Deep Purple et je les ai trouvés meilleurs (rires) ! C’était hallucinant ! Ils arrivent à mettre cette patte moderne dans un son très seventies et je trouve ça fantastique.

Nicolas : Et c’est vraiment quelque chose qu’on essaie de faire aussi. Prendre les influences qui nous plaisent aux trois en tant que musiciens, puiser dedans mais y donner une vibe pour proposer quelque chose de neuf. Le piège, c’est de sonner copié-collé et de s’enfermer dans les clichés.

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Ça fait écho à une phrase dans votre bio qui m’a marqué qui dit que le groupe « ne sera pas le prochain cliché de sa génération ». Vous entendez quoi par là ?

Tristan : C’est refaire ce qui a déjà été fait. Je te prends un exemple. C’est pas pour être médisant, parce que j’ai un putain de respect pour ça mais quand tu écoutes un groupe comme Greta Van Fleet, je me pose des questions. Ils sont jeunes, ultra-bons mais est-ce qu’ils se sont pas carrément appropriés la musique de Led Zep ? Pour moi, c’est un peu la limite.

Nicolas : Après, ça participe à un revival rock qui est super excitant ! Tout le monde a quelque chose de neuf à proposer et je trouve ça génial. La scène rock française se porte super bien ! Chez nous, il y a des groupes comme Last Train ou Dirty Deep où t’as une fierté à te dire « putain, ils sont du même coin que nous ».

Et parmi tous les clichés rock, avec lesquels il faudrait en finir une bonne fois pour toutes ?

Anthony : En tant qu’antillais noir, je dirais sortir de certaines représentations. Ce truc de « ah tiens, cette personne ne correspond pas à l’identité que je me fais d’un musicien rock ». Disons qu’avoir un antillais noir dans un groupe, c’est très rare et on a parfois ce truc de « putain, qu’est-ce qu’il fait là ? » Il faudrait sortir de ces stéréotypes-là. Comme mon père me l’a appris, la musique n’a pas de frontières.

« On est fous sur scène, moi j’ai les cheveux dans la gueule, j’y vois plus rien. C’est du rock chevelu, gras et puissant ! »

Comment s’annonce la suite pour vous ? Premier album ? Changement de structure ? J’avais lu dans une interview que vous songiez à un moment d’inclure un clavier façon Deep Purple ?

Nicolas : Y a plus besoin maintenant que j’ai rejoint le groupe (rires).

Tristan : De moins en moins, peut-être un jour. On a vraiment trouvé notre alchimie en tant que trio. Le triangle, c’est quand même la structure géométrique la plus forte. Mais si ça apporte quelque chose ou qu’on trouve la perle rare… L’album, bien sûr on y songe mais on va déjà profiter de cette énergie qu’on a les trois pour défendre les titres de l’EP. Ce qui n’empêche pas d’en écrire de nouveaux et de les tester en live. La scène, c’est le vrai crash test. On sait ce qui nous attire nous, on commence à comprendre ce qui attire le public.

Anthony : Sur le premier EP, on avait des morceaux plus longs mais c’est vrai qu’en festival, sur un set de 40 minutes, c’est compliqué de jouer des morceaux de 7 minutes.

Tristan : On se doit d’être exigeants avec nous-mêmes pour faire le tri dans tout ça.

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Et dernière question pour finir : Montbéliard ou Mulhouse, c’est qui la vraie Motor City ?

Tristan : Ohlala, le match, le derby (rires) !

Anthony : C’est deux vibes différentes. Mulhouse, t’as une grosse diversité culturelle, tu peux tout trouver en termes de musique. C’est cosmopolite et on adore la ville pour ça. Ça nous nourrit.

Nicolas : Alors que Montbé, c’est carrément plus rock. On l’a vu quand on a joué aux Môles. Mais je choisirais quand même Mulhouse, c’est les racines (rires).

Tristan : Moi, je vais faire le suisse et dire match nul au péage de Fontaine (rires).

Texte & propos rapportés : Picon Rabbane // Photos : Brice Kieffer Photography