« De retour chez moi cette nuit-là, un peu avant l’aube, je suis assis dans ma chambre et je regarde des programmes religieux sur le câble car je suis las des clips et il y a ces deux types, des prêtres, des prêcheurs peut-être, sur l’écran, âgés de quarante ou quarante-cinq ans, en costume cravate style homme d’affaires et lunettes de soleil roses, qui parlent des disques de Led Zeppelin et prétendent que lorsqu’on les joue à l’envers on découvre ‘des passages inquiétants à propos du diable’. L’un des types se lève et casse le disque en deux. […] L’homme se déclare ensuite très préoccupé par la santé morale de la jeunesse. ‘Car les jeunes sont l’avenir de ce pays’, braille-t-il avant de casser un autre disque. »

Bienvenue à Los Angeles là où « les gens ont peur de se retrouver ». Portrait d’une jeunesse dorée prête à payer le prix fort pour s’envoyer en l’air, Moins que zéro n’est qu’une abîme de vie où les gens se croisent sans se voir. Dans cette ville sans âme, règne du « Tous ensemble, chacun pour soi », le consumérisme a bouffé sa part d’humanité. Errant d’une villa à l’autre, du jacuzzi à MTV, tous s’ennuient et croulent sous le désintérêt de leur vie achetée à crédit.

Mal entouré par ses amis – des gens qu’il voit plus souvent que d’autres – et sa famille – un père absent, une mère et deux sœurs qu’il regarde comme des étrangères – Clay ère de bar en club, d’une ligne de coke à celle qui ne faut pas franchir, côtoyant une masse informe de jeunes gens sans repères, blonds et bronzés, à la recherche de sensations fortes.

Entrecoupée de flashbacks de vacances, l’histoire se déroule pendant la période des fêtes de fin d’année. Clay appréhende la traditionnelle question de Noël car il n’a pas la moindre idée de ce qui lui ferait plaisir. Il ne désire rien. Au moment où son père fait venir un téléphone pour appeler le sien la veille de Noël, lui se sent stupide à la table de chez Hansen. Très peu de mots sont échangés au cours de ce réveillon. Et lorsqu’il rentre chez lui, il n’a plus la force de faire semblant. Il voudrait souhaiter un joyeux Noël à sa mère mais les mots ne sortent pas de sa bouche. Tout sentiment semble avoir été aseptisé chez Clay pour qui le seul tabou demeure ce qu’il fait. Conscient que son existence se résume en trois points de suspension, il préfère éviter la question. Les soirs de pluie, ses rêves aussi se suspendent. Le vide emplit peu à peu l’espace vital de Clay.

Symbole de la génération X, Clay se meurt de fin avec une cuillère en argent dans la bouche. D’une écriture glaciale et déshumanisée, Bret Easton Ellis frappe à merveille les maux d’une jeunesse à l’agonie. Sans ressorts, ni artifices, le récit n’est qu’une dépouille qui glisse lentement le long de la pente du néant. La douce mécanique minimaliste d’Ellis est imparable. « On peut disparaître ici sans même s’en apercevoir ». Ne reste que ce panneau publicitaire, emblème de l’inanimé, qui pointe d’un slogan l’incurable mélancolie par laquelle la fleur de l’âge se fane sur pied.

Aircoba
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