La place de la Bastille vient tout juste de se vider. Quelques canettes trainent ici ou là. À part le retour d’Axel Bauer, on n’a pas encore bien vu les traces du changement. À Dijon non plus, c’est Thierry Caens qui levait sa trompette en guise de victoire… Bon sang, pour une pléthore de pékins, retour de la gauche rime pourtant bien avec culture à chaque port. Vendredi dernier, à 6h du mat, on rentrait avec Gazza de la boum donnée par le Théâtre Universitaire. Plein de poire et d’espoir, je suis allé trouver le boss spirituel du TdB. Gazza, lui, est allé se coucher en sifflotant Don’t Stop ’til You Get Enough.

Le théâtre c’est politique. Au Théâtre Dijon Bourgogne, c’est politique ET poétique. Raison de plus pour demander à Chattot de nous montrer un peu le revers de la médaille. « Il faut prendre l’énergie des poètes dans leur bouche » martèle François Chattot depuis 2007 à la tête de la Maison Saint-Jean. Moi, c’est surtout un Perrier tranche que je prends pour enquiller sur une discussion et tenter de piger pourquoi Théâtre en mai reste un moment dans la saison théâtrale dijonnaise qui semble ne pas vieillir, et voir ce qu’il reste à faire pour qu’on sache que le théâtre est en vente libre. Rencontre matinale avec un entêté du partage, avec un ressasseur de formules à ouvertures. Ironie du jour, le rade où on se retrouve s’appelle Le Jouvence.

François, tu nous refait le coup des étrangers, des jeunes pousses et des vieilles planches. C’est vraiment une histoire de fidélité ?
Oui, il y a des troupes qui reviennent, Motus, Théâtre Group’ ou encore les Ukrainiens avec le prologue à Lear. Mireille a bien bossé. Il y a aussi les équipes sorties des écoles. On les a presque fait toutes venir, il ne nous aura manqué que deux écoles : Limoges et Bordeaux. Pour ça il fallait que le CDN de Bordeaux mette un peu de blé pour la reprise du spectacle. Avec le gel des crédits de l’état, plus notre incapacité à tout couvrir pour la venue de ce spectacle, on n’a pas pu le faire. Sinon, c’est pas mal. On bosse beaucoup avec le JTN sur ce projet avec les écoles de théâtre. Normalement, la tradition veut que le Jeune Théâtre National ne doit rester en lien qu’avec Strasbourg et Paris, les deux grandes écoles nationales. On ne mélange pas les torchons et les serviettes. En fait, les conseils généraux ont joué leur rôle et se sont engagés vis à vis des autres écoles, et Paris a suivi. C’est la province qui a contraint la capitale ! C’est nouveau et Théâtre en mai n’est pas pour rien dans cette évolution. Ça relance également le projet de Jean-Louis Hourdin sur la Maison Copeau à Pernand-Vergelesses. Il faudrait un parrainage pour que le Ministère se mouille davantage. Pour que Pernand devienne vraiment la Maison nationale de la décentralisation, il va falloir jouer serré. Même si Copeau a fait au final très peu de décentralisation, peu importe. C’est l’endroit de la naissance du mythe pour les Vilar, pour les Dasté. Ils viennent tous de là. La création de l’école du Théâtre National de Strasbourg vient directement de là aussi. Tout est là. Il faut que quelque chose s’ancre ici, avec un parrainage. Ça peut être formidable. On sait jamais, si Rebs devient ministre.

On a quand même plus l’habitude de s’attacher à ce qu’on peut trouver dans la programmation qu’à des enjeux pédagogiques quand on est simple spectateur, non ?
La vraie question est celle de l’insertion professionnelle. On sait qu’il y a les aides des premiers spectacles mais après ? C’est souvent démerdez-vous. Ce qui est complètement absurde. Il y a des tonnes de compagnies qui explosent de ce fait. C’est à nous, CDN, de fédérer un réseau interne, cet enjeu est le nôtre et celui d’un festival comme Théâtre en mai. J’ai pas arrêté d’essayer de le faire mais tout le monde se marre. Ce serait magnifique d’arriver plus tard à fédérer les scènes de la région comme Mâcon, Chalon, Auxerre, Le Creusot et d’autres théâtres municipaux. Sur des équipes jeunes et des équipes plus confirmées, on peut même essayer d’inventer une création ensemble. Les projets prendraient un poids considérable.

Ok pour l’aspect pro, mais pour le public ? Là aussi, une fois encore c’est politique ? Faire venir des écoles c’est aussi former des regards ?
Théâtre en mai continue d’être l’endroit de rencontre entre les jeunes compagnies et le public, entre autres. Alors, j’aurai aimé pouvoir faire venir des écoles étrangères, qu’on sorte du franco-français. Imagine, l’école du Teatro Piccolo de Milan, c’est classique, oui, mais on peut voir la tradition d’une grande école unique en Europe, c’est magnifique donc primordial. Il faudrait aussi pouvoir mêler les écoles et l’université. Ce serait fabuleux. Quand tu remontes un peu dans le temps, tu rencontres Chéreau, Planchon, Vincent. C’est pas rien. Là aussi il faut faire friction, comme disait Cantarella. Quitter cette idée que les grandes écoles sont la voie royale. Royale, oui, pour ceux qui sont royalistes. Des voies, il y en a partout !

C’est sans doute le dernier festival complet sur lequel ton équipe travaille avant ton départ en décembre prochain, as-tu posé des pistes pour un festival 2013 ?
Pour l’an prochain, on a laissé libre au maximum la programmation de Théâtre en mai pour le prochain directeur, qui sera nommé sans doute fin septembre. On a calé seulement deux choses pour faire encore, comme je l’adore, un grand écart. Matthias Langhoff a monté en Russie un oedipe magnifique. C’est avec les plus grands acteurs Russes, du grand art. De l’autre côté, il y aurait ce que sera sans doute le dernier spectacle de Pierre Étaix qui tourne encore à 87 ans. C’est mon copain Pierre Meunier qui a été un de ses élèves qui m’en a parlé. Étaix, c’est le gagman de Tati puis le mari d’Annie Fratellini. Ses films sont magiques. Ce serait magnifique, ça, Matthias avec ses Russes et Pierre Étaix avec ses petits papillons sur son fil !

Bon, on a peu parlé de la prog’ du festival, mais ce qui est important, c’est sans doute que d’une, les dépliants et autres acteurs feront bien mieux le boulot que moi, et de deux c’est que les changements ne viennent pas toujours d’où on les attends. Pour le théâtre à Dijon, tout se joue en coulisses, sous le bâton d’un arpenteur qui est loin loin loin d’avoir dit son dernier mot même devant un chantier si gigantesque. Évoquant son futur, Chattot glisse ceci : « Je reste avant tout un comédien. Si un metteur en scène a besoin d’un vieux, je laisse mon numéro à l’accueil. »

 

Badneighbour
Photo : charter97.org

Théâtre en mai
du 16 au 27 mai 2012
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